“D’autres vies que la mienne” d’Emmanuel Carrère

Par Kornaline

Avec « D’autres vies que la mienne », Emmanuel Carrère nous offre un récit particulièrement original, couplé à de profondes réflexions. L’auteur, qui est le narrateur à la première personne, n’est pas au centre de son livre : il se place en simple observateur, ou plutôt en simple conteur de vies qui ne sont pas les siennes et qui sont pourtant comme un reflet à ses propres souffrances, son propre mal-être dont on sent qu’il réussira petit à petit à guérir, grâce au travail que représente ce récit.

Les vies ainsi narrées sont d’abord celles du Grand-père et des parents de Juliette, quatre ans, petite fille dont la vie a été fauchée par la vague meurtrière du Tsunami, à quelques mètres de l’endroit où l’auteur était en vacances avec sa compagne, Hélène.

Peu après leur retour en France, c’est la vie d’une autre Juliette qui sera volée, celle de la sœur d’Hélène qui succombe à un second cancer alors qu’elle avait emportée un premier combat contre la maladie, plusieurs années auparavant – combat qui l’avait privée de l’usage d’une jambe. La jeune femme avait pourtant très largement surpassé son handicap : elle avait fondé une famille unie et aimante avec son mari, Patrice, et leurs trois petites filles. Elle avait également embrassé une carrière de magistrate où elle avait rencontré Etienne, juge comme elle au tribunal d’instance de Vienne, et handicapé comme elle. Tous deux avaient mené une extraordinaire bataille contre le surendettement qui remplissait les salles de leur tribunal. Ils avaient œuvrés pour que les contrats de crédit trompeurs voir mensongers puissent être dénoncés. C’est avec une grande application et une grande minutie qu’Emmanuel Carrère nous relate ces débats juridiques qui tenaient une place si importante dans la vie de Juliette, tout comme Patrice et leurs enfants, dont il brosse également un tableau d’une honnêteté désarmante.

L’auteur témoigne ainsi de son désir profond de relater d’autres vies, le plus fidèlement possible. Il doit pour cela écouter les différents acteurs, s’ouvrir à eux et à leurs histoires. On comprend petit à petit que cette ouverture extraordinaire sur des destins somme toute ordinaires, sera pour lui comme une thérapie, un redoutable miroir sur son égocentrisme et ses difficultés.

Emmanuel Carrère nous livre ainsi une belle et profonde réflexion sur l’ouverture aux autres et sur la capacité au bonheur qui réside en chacun de nous, même si elle semble parfois difficile à trouver.