Il n’a pas été le premier à cumuler les vocations. Je me souviens de Jean-François Deniau qui fut, en plus, un navigateur courageux et un merveilleux conteur. La particularité de Jean-Christophe Rufin est, de mon point de vue, de ne pas assumer ses choix et de penser que le lecteur a des leçons à recevoir qu’il ne serait pas capable d’entendre autrement qu’à travers un roman dit de fiction alors qu’il est construit sur des faits réels.
C’est assez agaçant. On sait bien combien les choix de vie peuvent être douloureux, surtout quand on a le cœur serré par un conflit de loyauté entre deux pays, deux cultures, deux religions, deux amours.
On attend davantage d’un académicien. Et je trouve pitoyable -ou puérile- sa tentative pseudo-diplomatique de noyer le poisson tout au long d’une postface qui tourne en rond. Si l’ouvrage est une pure œuvre de fiction il est fortuit de plaider qu’on ne peut pas exclure que ces affabulations ne deviennent vraies demain … Et pourquoi ne pas l’écrire en préface d’ailleurs ?
Le plaisir de la lecture est compromis. On se dit qu’avec les connaissances qu’il a de la vie quotidienne en zone de conflits l’auteur ne peut pas nous trimbaler innocemment à dos de chameau. Il s’agit forcément d’un récit à clés. La première étant l'assassinat de quatre touristes français en 2007 en Mauritanie. La seconde la traque des fuyards d'Al-Qaeda avec la DGSE l’année suivante. Ce n’est donc pas une simple aventure et nous serions coupables de naïveté à ne pas prendre au sérieux les rapports de forces qui tiennent le désert saharien en étau.
Du coup, on lit du bout des yeux, hésitant à croire que l’Afrique du Sud est la destination incontournable dans le monde du renseignement. Agence de sécurité, déminage, protection en zone de conflits … tout va de pair. On se demande où est le fameux bon sens invoqué par l'écrivain. L’ imbroglio est sans fin entre la CIA, une agence de surveillance et de renseignement privée (Providence, basée à Washington, mais essaimant dans le monde entier), les services secrets algériens, le Quai d'Orsay et les groupes armés dans la mouvance d'Al-Qaeda. On a de bonnes raisons de penser qu’on a peur de nous en dire trop mais il nous manque des cartes pour nous mettre à géolocaliser pour de bon cette katiba (groupe armé mobile).
On comprend tout de même que la vie d’agent secret n’est pas toujours palpitante. Qu’il y a davantage de temps passé à attendre qu’à agir. Que ce n’est pas tous les jours qu’on aurait l’occasion de copier des carnets d’adresses par bluetooth. Ce n’est pas demain la veille qu’on va envoyer au contact, s’initier au profilage, se risquer à devoir dessouder avant que la situation ne se retourne.
On relève au passage quelques vérités inquiétantes. On préférerait ne pas savoir que pour des jeunes l’Islam est plus l’outil de la révolte que son but (page 340), ou que l’État, pour combattre le crime, en commet d’autres, aussi atroces (page 324).
On sourit à la définition du protocole (page 341) comme l’art de canaliser les personnalités pour les conduire à effectuer naturellement les mouvements que l’on a prévus pour elles.
On se dit qu’on a commis une critique qui n’est pas protocolairement correcte mais qu’on a peut-être bien raison de n’avoir pas très envie d’organiser un trekking pour occuper les vacances. Mieux vaut rester tranquille et continuer à explorer cette rentrée littéraire qui s'annonce palpitante.
Katiba, de Jean-Christophe Rufin, chez Flammarion, 392 p, 20 euros.