Il s'appelle Barack Obama et sa vision messianique ressemble à celle de Joachim de Flore. On y a
même cru au Vatican. Voici l'histoire d'un faux qui a malgré tout un fond de vérité
ROME, le 23 août 2010 – La tempête déchaînée ces jours-ci par les déclarations de Barack H. Obama à propos du projet du
Cordoba Institute de New-York – construire une mosquée à quelques pas des Twin Towers détruites le 11 septembre 2001 par des terroristes musulmans – a ramené au premier plan une question : quelle
est la vision d’ensemble de l'actuel président des États-Unis d’Amérique ?
Dans un premier temps, le 13 août, Obama avait déclaré à la centaine de musulmans qu’il avait invités à la Maison-Blanche
pour célébrer le début du Ramadan :
"En tant que citoyen et président, je crois que les musulmans ont le droit de pratiquer leur religion autant que n’importe
qui d’autre dans ce pays. Cela comprend le droit de construire un lieu de culte et un centre communautaire sur un terrain privé dans la partie sud de Manhattan, en accord avec les lois et les
règlementations locales. C’est cela, l’Amérique, et notre engagement en faveur de la liberté religieuse doit être indéfectible".
Mais le lendemain, sous le feu des réactions, il s’est senti obligé de faire marche arrière, pas sur le principe mais sur
le cas particulier :
"Je n’ai pas fait de commentaire – et je n’en ferai pas – à propos de la sagesse de la décision de construire une mosquée à
cet endroit ; j’ai fait un commentaire très spécifique à propos d’un droit qui remonte à la fondation de notre pays. Et je pense qu’il est très important, même si c’est difficile, que nous
ne perdions pas de vue qui nous sommes en tant que peuple et quelles sont nos valeurs".
Ceux qui critiquent Obama ont eu beau jeu de mettre en évidence cette oscillation du jugement qu’il a manifestée. Ce n’est
d’ailleurs que la dernière d’une longue série et elle rend incertain le jugement que l’on porte sur lui.
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Obama est aussi une énigme pour l’Église catholique. Il a fait l’objet de jugements enthousiastes et de condamnations
impitoyables, dont www.chiesa a rendu compte à l’occasion. Parmi les éloges, celui qui a été formulé par le cardinal Georges Cottier, il y a un an, a fait beaucoup de bruit au Vatican. Parmi les
anathèmes, on peut citer ceux de Mgr Michel Schooyans et de l’archevêque Roland Minnerath. D’après le premier, Obama est un nouveau Constantin, chef d’un empire moderne utile pour l’Église. Pour
les deux autres, c’est un faux messie qu’il faut démasquer.
Des divergences à son sujet divisent également l'épiscopat catholique américain – dont les leaders sont très critiques
quant à certains choix d’Obama dans les domaines de la vie et de la famille – ainsi que la secrétairerie d’état du Vatican, qui se montre plus compréhensive, de même que "L'Osservatore
Romano".
Deux livres récemment publiés en Italie étudient la personnalité d’Obama en s’attachant particulièrement à sa vision
générale du monde, ce qui est la question la plus intéressante pour l’Église.
Le premier a été écrit par un journaliste de Radio Vatican, Alessandro Gisotti, qui a une connaissance approfondie de
l’Amérique.
Le second a pour auteurs Martino Cervo, rédacteur en chef du quotidien "Libero", et Mattia Ferraresi, correspondant à
Washington du quotidien "il Foglio".
Ces deux livres montrent, à travers une documentation riche et précise, que la vision d’Obama est en effet pétrie de
contradictions.
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Un exemple très clair de contradiction apparaît quand Obama cite le théologien protestant Reinhold Niebuhr comme l’un de
ses inspirateurs.
Niebuhr (1892-1971), grand admirateur et interprète de saint Augustin, a été l’un des maîtres du "réalisme" en politique
internationale. Il affirmait en effet la primauté de l'intérêt national et de l'équilibre entre les puissances dans une humanité profondément marquée par le mal.
Niebuhr définissait la démocratie comme "une recherche de solutions provisoires à des problèmes insolubles". Et dans une
prière célèbre il disait : "Que Dieu me donne la sérénité d’accepter ce que je ne peux pas changer". Tout l'opposé, donc, de la rhétorique messianique qui imprègne les discours d’Obama, tout
l'opposé de son annonce permanente de l'avènement d’une "ère nouvelle", d’un "nouveau début", d’un "âge de paix", d’un monde racheté parce que "Yes, we can".
Dans son livre, Gisotti rappelle que le catholique George Weigel, célèbre biographe de Jean-Paul II, a montré que la vision
d’Obama est vraiment "l'exemple parfait de ce genre d’utopisme contre lequel Niebuhr, avec son sens profond de la fragilité de l’histoire et des capacités d’autodestruction des être humains,
s’est battu pendant trois décennies".
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Les discours d’Obama paraissent liés, plutôt qu’à Niebuhr, à l'utopie d’un célèbre moine et théologien médiéval : Joachim
de Flore, qui prophétisait un "âge de l’Esprit" après ceux, révolus, du Père et du Fils, un troisième et définitif âge de paix et de justice, où l’humanité ne connaîtrait plus de divisions, pas
même entre les religions.
La parenté d’idées entre Obama et Joachim de Flore apparaît tellement forte que, en 2008, les médias du monde entier
affirmèrent que le futur président des États-Unis s’était référé trois fois à lui dans des discours-clés de sa campagne électorale.
Cette information parut si crédible que, le 27 mars 2009, le franciscain Raniero Cantalamessa, prédicateur officiel de la
maison pontificale, la reprit dans l’une de ses prédications de Carême devant le pape et la curie romaine.
En réalité la nouvelle était fausse. Obama n’a jamais cité Joachim de Flore dans aucun de ses discours. Dans leur livre,
Cervo et Ferraresi reconstruisent avec précision la genèse et l’histoire de ce faux journalistique, auquel le prédicateur du Vatican s’est lui aussi laissé prendre.
Le père Cantalamessa fut interpellé par l'agence en ligne de la conférence des évêques des États-Unis, "Catholic News
Service", parce qu’il avait rappelé dans son sermon que Joachim de Flore était un hérétique. Il lui répondit :
"Quelqu’un a utilisé mes propos pour insinuer que je pense qu’Obama est un hérétique, comme Joachim, alors que j’ai une
profonde estime pour le nouveau président des États-Unis".
Donc, bien qu’Obama n’ait pas cité Joachim de Flore, il y a bien une ressemblance entre la rhétorique du premier et la
vision du second. Le théologien et cardinal Henri de Lubac aurait sans peine ajouté Obama à la troupe nombreuse de la "Postérité spirituelle de Joachim de Flore", titre d’un volumineux essai
qu’il consacra, il y a trente ans, à l’influence exercée jusqu’à nos jours par l'utopie de ce moine au sein et en dehors du catholicisme.
Mais la contradiction réapparaît de nouveau lorsque l’on compare les discours d’Obama avec ses décisions
concrètes.
Les troupes qui sont en Afghanistan y restent, Guantanamo ne ferme pas ses portes, des fonds fédéraux sont affectés à
l’avortement... Jour après jour, les décisions opérationnelles du président s’opposent à ce qui a été annoncé. Elles renvoient toujours à un "demain" imprécis la concrétisation de l'utopie
messianique que ses discours continuent à proposer.
La "nouvelle ère" de Joachim de Flore n’a pas commencé en 1260 comme il l’avait annoncé. Mais le rêve a survécu. Et Obama
le propose de nouveau aujourd’hui dans le cadre de ses fonctions d’homme le plus puissant du monde.
Cervo et Ferraresi écrivent :
"Le fait que des propos de Joachim aient été mis dans la bouche d’Obama est une touche d'ironie qui a tout l’air d’être un
signe du destin. L'inspiration millénariste, joachimite, totalitaire au fond, annule le caractère inexorablement limité de la nature humaine pour confier le salut de l'homme à l’homme lui-même,
ou tout au moins à celui qui se montre capable d’incarner le désir de changement. Que ce soit un roi, un philosophe, un demi-saint ou le président des Etats-Unis, cela ne change pas
grand-chose".
Sandro Magister
Les livres :
Alessandro Gisotti, "Dio e Obama. Fede e politica alla Casa
Bianca", Éditions Effatà, Cantalupa, 2010, 128 pages, 10,00 euros.
Martino Cervo,
Mattia Ferraresi, "Obama. L'irresistibile ascesa di un'illusione", préface de Giuliano Ferrara, Éditions Rubbettino, Soveria Mannelli, 2010, 128 pages, 10,00 euros.
Le sermon prononcé le 27 mars 2009 par le prédicateur de la maison pontificale, Raniero Cantalamessa, avec la référence à
Obama et à Joachim de Flore :
> Un'era dello Spirito
Santo
Lors de l’audience générale du mercredi 10 mars 2010, consacrée à saint Bonaventure, Benoît XVI a parlé de la réapparition
de l'utopie de Joachim de Flore dans certaines tendances progressistes postconciliaires :
> Comment piloter l'Église
dans la tempête. Une leçon
A propos du lien intellectuel avec Niebuhr affirmé par le président des Etats-Unis :
> Obama a un grand maître à
penser : le théologien protestant Reinhold Niebuhr (6.2.2009)
Et les critiques de George Weigel quant au bien-fondé de ce lien :
> Il professor Weigel boccia Obama : ha preso un
abbaglio
L'acte d’accusation contre le "faux messie" Obama, lu au Vatican par Mgr Michel Schooyans et l’archevêque Roland Minnerath
le 1er mai 2009, peu de temps après la parution dans "L'Osservatore Romano" d’un éditorial qui faisait l’éloge de ses cent premiers jours de présidence :
> Ange ou démon? Au
Vatican, Obama est l'un et l'autre (8.5.2009)
Et l'éloge encore plus enthousiaste d’Obama écrit par le cardinal Georges Cottier, théologien émérite de la maison
pontificale, peu de temps avant la visite du président des États-Unis au Vatican :
> Bienvenue à Obama. Le
Vatican lui joue un prélude de fête (5.7.2009)
www.chiesa
Traduction française par Charles de
Pechpeyrou.