Si vous suivez un tant soit peu l'actualité téléphagique, vous connaissez le point commun entre Shameless et Being Human. Ce sont toutes deux des productions en cours en Angleterre, et qui s'apprêtent à tenter de conquérir le public américain, par le biais d'un remake, proposé respectivement par Showtime et SyFy.
"Remake", le mot fatidique est lâché. Et la téléphage que je suis entretient des rapports très ambigüs avec lui.
Bien sûr, cette tendance à faire voyager à travers l'Atlantique des concepts à succès n'est pas nouvelle, de Queer as Folk à Life on Mars, un certain nombre s'y sont risqués, avec plus ou moins de succès (généralement plutôt "moins"). Au vu de l'exaspérante mode actuelle consistant à faire des remake de leurs propres séries, il est logique que les scénaristes américains puisent également dans les viviers des créations étrangères. Cela a toujours existé. L'Angleterre n'est pas un cas isolé, d'Israël jusqu'en France, en passant par l'Amérique du Sud, les chaînes ne font pas de complexes géographiques. Sauf que lorsque HBO porte In Treatment à l'écran, en ce qui me concerne, je n'ai jamais eu l'occasion de visionner la version originale israëlienne. L'adaptation devient alors un moyen de diffusion du concept à travers le monde et finalement une forme de promotion pour le vivier créatif de départ (Envie d'aller faire un tour en Israël ?). Mais lorsque les chaînes américaines adaptent des séries anglo-saxonnes, elles s'adressent déjà à un public plus proche, qui a plus de chance d'avoir visionné la première version. Et, dans ces cas-là, il est fréquent que ces projets me posent un cas de conscience téléphagique.
J'ai même tendance à leur opposer une fin de non recevoir péremptoire. Sans aller jusqu'à parler de boycott de principe, disons que j'ai vraiment beaucoup de réticence à me lancer dans de telles séries. Pourtant, les "remakes" qui trouvent une identité propre existent. Et puis, Le destin de Lisa et Ugly Betty sont deux déclinaisons complètement différentes (je ne m'aventurerai pas sur le terrain qualitatif) d'un même concept. Au-delà des nombreux ratés regrettables, il y a aussi des adaptations où les nouveaux scénaristes apportent une réelle valeur ajoutée, et qu'il n'est pas inintéressant de regarder.
Le principal défi du remake réside en fait surtout dans la transposition de l'esprit et de l'ambiance du concept original. Chaque pays va retrouver ses propres réflexes télévisuels (je laisse volontairement de côté toute la problématique asiatique, qui pourrait avoir droit à un article complet, par exemple sur le cas Hana Yori Dango). Même avec une culture proche, il existe des fossés insurmontables, qui, s'il faut créer un pont entre les deux, génèreront des difficultés importante qu'il faudra contourner. Pour parler du cas qui m'intéresse aujourd'hui, le rapport Angleterre-Etats-Unis, les deux exemples les plus représentatifs qui me viennent à l'esprit, sont sans doute Queer as Folk et The Office. Connaissant trop insuffisamment le premier, je vais me concentrer sur le second. Cette création britannique, mise en image par Ricky Gervais pour la BBC, s'est exportée à travers le monde, chaque pays déclinant ce format à sa sauce (de la France jusqu'à la Chine). La version américaine a connu un joli succès et poursuit sa route sur NBC depuis plusieurs années. Or, elle constitue justement un cas d'école pour les faiseurs de remake, de ce qu'il faut éviter comme de ce qu'il faut réussir. Car The Office US ne décolle véritablement qu'au cours de sa deuxième saison. Pourquoi ? Parce que la première constitue en fait une sorte de copier-coller maladroit de la première saison britannique. Intrigues et répliques très proches, américanisées pour la circonstance, mais sans en changer véritablement l'esprit. Cela donnait une forme d'ersatz sans saveur, avec un scénario proche, mais privé de la noirceur cynique du mockumentary britannique. Le contenu, mais sans l'ambiance d'origine, cela sonnait désespérément creux. La deuxième saison, en revanche, opère un tournant créatif : elle s'affranchit complètement de sa grande soeur. L'aspect romancé s'accentue, les personnages et les histoires ne cherchent plus à "adapter", mais investissent et se ré-approprient le concept d'origine - cela est d'autant plus aisé qu'il a la particularité de se prêter à cette possible prise d'indépendance. Ce n'est plus une américanisation, c'est une pure série américaine qui est désormais devant nous. Et ce n'est pas pour rien que nombre de personnes aimant la version américaine ont pu être complètement déstabilisés en s'aventurant devant la version britannique. Parce qu'elle correspond à un autre état d'esprit, et sans doute à un téléspectateur plus familier des fictions anglaises.
Donc, même si cela reste rare qu'un remake parvienne à trouver le juste équilibre, pour concilier l'héritage de la série d'origine avec ses propres spécificités culturelles, cela est cependant possible.
Sauf que lorsque l'on m'annonce des adaptations de Being Human ou de Shameless, mon premier réflexe demeure un refus clair et net. Oh, j'argumenterai un peu, en pointant le manque de créativité et d'innovation des scénaristes. Et si jamais je m'installe devant le pilote, j'effectuerai des comparaisons entre les deux ; je blâmerai la perte qualitative, le caractère inadaptable de telle ou telle ambiance qui faisait la série d'origine. Mais derrière cela, si le mot "remake" me fait tant frémir, c'est avant tout dans l'hypothèse où je connais et où je me suis attachée à la série originale. Ce n'est pas véritablement la peur d'un gâchis qualitatif (les ratés, les programmes télévisés n'en manquent pas), mais c'est une réaction défensive instinctive. Quand ABC m'avait annoncé qu'elle voulait adapter Life on Mars - que je n'ai jamais pu regarder -, pourquoi ai-je réagi aussi violemment contre cette série, sans lui laisser la moindre chance ? Parce que ce type de remake me donne l'impression d'être une basse manoeuvre de la part de la nouvelle pour essayer de voler la place de l'ancienne. Je le ressens comme une tentative maladroite de capitaliser sur un affectif qu'elle n'a aucun droit de revendiquer. Que cela soit voulu ou non, c'est ainsi que je l'interprète.
Par conséquent, lorsque l'on me parle du Shameless ou du Being Human US (autant les fictions aseptisées et prévisibles de SyFy m'exaspèrent et ne m'encouragent pas à être optimiste, autant je pense objectivement que Showtime peut sans doute faire quelque chose de Shameless), mon problème n'est pas tant ce chaotique voyage Angleterre/Etats-Unis, à l'opportunité discutable et à la réussite très incertaine, mais plutôt mon attachement à la série originale. Et, croyez-moi, c'est l'obstacle le plus efficace pour m'empêcher de leur laisser la moindre chance, qu'elles le mérite ou non. Peut-être suis-je une téléphage trop bornée...