Les soldes, oui, mais les soldes ?

J'hésitais à publier cet article, mais je viens d'avoir une conversation avec un professionnel qui m'a confirmé ce que je pensais.

Lorsque j'étais de l'autre côté de la barrière commerciale, c'est à dire cliente, j'étais moi aussi attirée comme une mouche sur un pot de miel par les soldes alléchantes des grandes enseignes : P..ki., C.m..eu, K..bi et compagnie.

C'est vrai ... attaquer ses soldes avec des articles à -70% avec grandes campagnes publicitaires à l'appui, c'est très agressif, très prometteur, en gros, très racoleur !

Je me suis toujours demandé comment on pouvait proposer des rabais pareils et n'entrevoyais que deux réponses : soit ces enseignes pratiquent un coefficient gigantesque, soit elles travaillent à perte, mais ça n'est pas leur genre ...

Restait donc la première hypothèse.

Dans ce cas de figure, il résulte que le client est vraiment prix pour un c.. !

Imaginez-vous le coef qu'il faut appliquer sur un article pour pouvoir le vendre à -70% et -80% en seconde démarque ???

Rendez-vous compte ....

Regardez le prix de l'article, et demandez-vous combien le petit chinois de 10 ans qui l'a fabriqué à touché, sachant qu'entre le petit chinois et vous, de multiples intermédiaires et taxes diverses ont été versées pour que la robe vienne de Chine et termine dans votre placard à ce prix là .....

Edifiant, non ?

Ce que m'a appris le professionnel dont je vous parlais, c'est que ces enseignes sont aussi des fabricants. C'est ce qui leur permet de pratiquer des prix si bas. Ils ont des enseignes aux 4 coins du monde (oui, je sais, la Terre est ronde, donc pas de coins ...), donc une fabrication en masse, par le petit chinois ci-dessus évoqué = des économies d'échelle, donc des couts de production bas. Ca va ? Vous suivez ? Oui, je le vois à vos yeux.

Revenons-en à nos articles à -70% (ils me restent en travers de la gorge, vous l'aurez remarqué).

Donc, ces articles sont tout simplement fabriqués tout exprès pour les soldes à ce taux de rabais. Ils sont mis en rayon 1 mois avant les soldes, histoire d'être en accord avec la législation, et sont en quelques sortes "sacrifiés" sur l'autel des sacrosaintes soldes.

Fabriqués pour être vendus sans bénéfice (mais pas à perte) pour pouvoir afficher ce fameux chiffre qui attire tout le monde !

Voilà, l'accroche du client est faite, le gros rabais est annoncé, justifié, en accord avec la loi. Ce gros chiffre n'est là que pour vous faire entrer dans le magasin, pour que vous dépensiez votre argent chez eux. Combien d'articles à -70 avez-vous acheté ? Quelle somme pourrez-vous consacrer au "petit" commerce ensuite ?

Mais si ça n'était que ça ....

Je vous livre le résultat des observations faites pour mes premières soldes d'été en tant que petite commerçante multimarque :

1/ les clientes attendent la seconde démarque parce qu'elles estiment que c'est là et pas avant que se font les bonnes affaires (et là, je leur dis: certes, les prix sont plus bas, mais vous n'avez plus de choix, de tailles etc)

2/ les clientes ne comprennent pas pourquoi nous, petits, ne pouvons pas afficher de pareils rabais. Nous sommes les grands perdants de la comparaison avec ces grandes enseignes.

Alors, remettons les choses à leur place. J'ouvre la porte de mon arrière boutique et vous invite à venir voir comment se passe la vie d'un petit multimarque.

Je ne vais pas m'attarder sur les charges qui nous mangent tout crus, je ne suis pas là pour pleurer sur ma condition, mais pour vous parler des soldes.

Sachez tout d'abord qu'à 50% de rabais, nous sommes "border line" comme on dit. Il nous reste quelques euros de chiffre d'affaire (mais pas de bénéfice). Selon les articles, nous sommes aussi border line à - 30% d'ailleurs! Tout dépend du coef et du prix d'achat. Sur certaines pièces, il faut sacrifier une partie de sa marge pour vous le proposer à prix correct.

A -60, nous y sommes de perte. Et vous vous souvenez ? Notre magasin, c'est notre travail, nous sommes sensés en tiré un salaire, salaire que nous ne volons pas, salaire qui contribue autant que le votre aux caisses de l'Etat (voire plus car nous cotisons pour des droits que nous ne pourrons pas toucher!) . N'oublions pas qu'un magasin, c'est une entreprise, susceptible de fournir du travail. Vous connaissez certainement quelqu'un qui est employé dans le commerce, non ? (Voudriez-vous le voir se retrouver au chômage et lui expliquer pour le consoler que vous aimez faire de très bonnes affaires ?)

Faut-il rappeler que nous investissons dans un stock, nous nous engageons financièrement. Les fournisseurs ne nous font pas cadeau des articles. Lors de votre acte d'achat, c'est toute une filière qui trouve sa rémunération en amont. Mais cette filière, nous commerçants, l'avons déjà payée. Alors vouloir faire d'excellents affaires, c'est compréhensible. Mais sachez que nous ne sommes pas des oeuvres de bienfaisance. Nous devons vivre, tout comme vous. 

Pour vous proposer des articles de qualité, des articles originaux, nous passons par les fournisseurs, qui achètent aux fabricants. Chacun prend sa rémunération au passage, ce qui est normal. Mais nous ne pouvons pas réaliser d'économies d'échelle en achetant en grande quantité. Nos prix ne peuvent donc descendre plus bas qu'un certain seuil, ne nous demandez pas l'impossible. Tout comme nous ne pouvons pas financer de grandes campagnes de pub pour vous attirer ! Nous n'avons que notre vitrine, notre choix de collection, notre investissement tant personnel que financier. Les armes sont-elles égales ?

A moins ... à moins de pratiquer auparavant  des coefficients supérieurs à la moyenne ....

Serait-on dans un cercle vicieux ?

Faut-il appliquer des coef indécents toute l'année pour pouvoir faire des soldes agressives deux fois l'an ?

Faudrait-il prendre les clientes pour des gourdes ?

Car n'en doutez pas, c'est ce qu'il se passera d'ici peu, c'est ce qui se passe déjà dans certains endroits.

Je m'y refuse.

Mais je boue lorsque j'entends les clientes comparer mes (nos) soldes à celles d'H & . !

Trop de soldes tuent les soldes, trop de rabais tuent les prix normaux, trops de grandes enseignes tuent les petits commerçants.

Le premier résultat visible à l'oeil nu de tout ceci : samedi, la rue Sainte Catherine était noire de monde (devrais-je dire noire de mouches parce que pleine de miel) au détriment des rues plus riches en petits multimarques ?

La clientèle est allée faire de super affaires et se faire super avoir chez ceux qui payent super mal le petit chinois et font de super bénéfices sur le dos de tout le monde.

Alors bientôt, vous n'aurez plus  que les hypermarchés, les grandes surfaces spécialisées, les enseignes gloutons pour vous habiller. La cliente n'aura plus qu'une offre uniformisée et seuls les gros requins tireront leur épingle du jeu économique. Et les quelques magasins qui survivront devront vous vendre 300 euros une robe qui en vaut 100, parce que la différence gagnée une fois de temps en temps lui permettra de combler le manque à gagner durant un temps.

Mon coup de gueule serait-il la chronique d'une mort annoncée ? Celle du petit commerçant ?