Peut-on encore jouer Carmen?

Publié le 23 août 2010 par Chantalserriere

Elle est brune. Elle est belle. Elle vendrait aujourd’hui des paniers ou des bijoux artisanaux sur les marchés. D’autres fois, l’été venu, elle chanterait et danserait dans quelque estaminet minable…

Elle saurait panser les blessures avec des philtres  inconnus mais elle en ouvrirait aussi de plus profondes. Elle lirait l’avenir au creux votre main.

Elle est gitane aux longs cheveux. Elle n’a pas froid aux yeux. Peut-être s’appelle-t-elle Carmen .

En son temps, Mérimée l’avait encontrée. C’était en Andalousie. Il en fit l’héroïne de l’une de ses nouvelles publiée en 1947.

Mais ce n’est pas ce qui la rendit célèbre. Normal! Il fallait la musique pour révéler Carmen. Bizet la lui apporta.

On dit souvent que  Carmen est l’opéra le plus joué au monde. Bien étrange si l’on considère l’origine de la belle! Nos “potes-les-gitans ” sont plus appréciés de loin que de près. Les municipalités sont censées n’en point vouloir et les logent dans de drôles d’endroits où personne n’aurait envie de vivre. Car Carmen, comme  vous et moi, et comme les siens, apprécie de se laver à l’eau claire, de savoir où jeter ses ordures, d’offrir aux enfants un espace décent pour courir et jouer…

Donc, Carmen, opéra le plus joué au monde! Mais pourquoi?

On dit qu’elle incarne la liberté, l’amour sans contrainte qui serait enfant de bohème et n’aurait jamais, jamais connu de loi!

Quoi? Comment est-ce possible? Mais qu’elle y retourne en Bohème, cette Carmen qui nous nargue, nous prend nos hommes et volent nos enfants!

A l’heure où les postiers se détournent des aveux de  presque adultère d’une “Princesse de Clèves”, faut-il que notre belle jeunesse soit soumise à l’exemple odieux d’une gitane sans foi ni loi, pouvant contaminer jusqu’à la vertu de nos policiers ?

Qui donc pensera à récompenser les communes excluant de leurs programmations culturelles, toute représentation de Carmen?

Que toute les Carmencitta de France et de Navarre soient illico reconduites, sinon en Andalousie, comme leur grand soeur de l’opéra, du moins, avec leurs cousines, au fin fond du fond de la Roumanie, le livre de Mérimée sous le bras, le DVD de Bizet à la main, de façon à bien montrer notre réprobation nationale et à expurger enfin  de nos sillons sacrés, ces mythes qui donnent naissance  à  une littérature et à une musique si pernicieuses!

Illustrations: Tableau de Prosper Mérimée

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