Magazine Culture

José Giovanni l’anti évasion

Publié le 17 août 2010 par Les Lettres Françaises

Retour sur le début de carrière de José Giovanni.

José Giovanni l’anti évasion

José Giovanni l’anti évasion
Dans la tourmente qui suit l’évasion il faut pouvoir trouver le deuxième souffle. Encore faut il savoir choisir le bon. Est-ce l’idée qu’essaye de nous transmettre José Giovanni ancien détenu de la prison de la Santé puis de la Centrale de Melun, ancien habitué des quartiers de haute sécurité et familier, pour un temps, du sordide couloir de la mort ? En fait ce sujet semble obsessionnel dans le début de l’œuvre de l’auteur au parcours atypique qui se retrouva comme bombardé au début des années 60 aux places, très enviées, de romancier et cinéaste. L’évasion ? Et ensuite…Celui-ci  sait de quoi il parle à ce sujet car il peut ajouter à son palmarès une tentative d’évasion ratée en 1947 de la prison de la Santé qui lui valut la trame du récit de son premier roman en 1958 « Le Trou » édité chez Gallimard dans la Série Noire.  Son histoire à sa sortie de prison, proche du domaine du merveilleux, par l’aspect inimaginable de l’ex tolar transformé en romancier à succès, n’en reste pas pour le moins bien vrai avec la noirceur du quotidien qui l’accompagne. L’angoisse perpétuelle de l’avenir qui s’étend devant les yeux du truand repenti. « Il y a onze an que les portes d’une prison, d’une cellule, me sectionnèrent de la liberté. J’avais 22 ans. Sous ce porche, aujourd’hui, après onze années de détention, la liberté me guette…Si j’en crois la rumeur qui a précédé ma sortie, les tueurs payés par l’homme qui flingua mon frère aîné attendent sur le bitume. Le Folklore des frères corses va-t-il jouer contre moi ? Ce parfum de vendetta qui ferait craindre au tueur de l’aîné la vengeance du cadet…Avec juste raison si je m’étais évadé. » (José Giovanni dans ses mémoires)

L’œuvre de José Giovanni compte une vingtaine de romans, une trentaine de scénarios pour le grand et le petit écran et une vingtaine de films réalisés. Le début de sa carrière de romancier est riche de son expérience dans le monde du crime et il se met à écrire sur les conseils de son avocat qui par chance est en contact avec des personnes travaillant à la Série Noire. C’est dans cette partie de sa carrière que l’auteur est  probablement le plus intéressant, notamment grâce au réalisme de la déchéance de ses personnages principaux. Ses trois premiers romans écrits entre 58

José Giovanni l’anti évasion
et 60 tous édités dans la Série Noire, reprennent les thèmes de l’évasion, de la fuite et du désemparement, corollaire indiscutable de la rechute des personnages dans la criminalité. Le bonheur semble nullement accessible dans le monde du crime dont la cime de la hiérarchie l’est tout autant. Trois chefs d’œuvres duRoman noir donc qui constituent un témoignage unique sur le milieu : ses codes, sa hiérarchie et qui fournissent une analyse approfondie de la situation d’aliénation du criminel évadé. Ces trois romans que sont : « Le trou » 1958,   «Le deuxième souffle » 1960 et « Classe tous risques » 1960 sont adaptés quasiment immédiatement par des cinéastes de l’époque que sont Jacques Becker pour le « Trou », Jean-Pierre Melville pour « Le deuxième souffle » et Claude Sautet pour « Classe tous risques ». Pour les amateurs de polars réalistes, ces trois livres et ces trois films sont à lire et à voir absolument d’une part parce que ce sont des chefs d’œuvres d’autre part parce qu’ils constituent une base essentielle au polar moderne d’après guerre en France.

Les trois titres traitent du même sujet sous des angles similaires celui du criminel qui fuit la prison. Le premier : « le trou » décrit clairement la tentative d’évasion de la prison de la Santé de son auteur par un trou creusé dans le sol de sa cellule avec l’aide d’un ami. Giovanni raconte à l’aide d’un nom d’emprunt sa propre histoire et l’échec de cette tentative. « Le deuxième souffle » quoi que moins autobiographique dépeint la situation d’un gros caïd qui se fait vieux, condamné à perpétuité et qui s’évade de la centrale de Castre dès le début du roman, pour tenter un dernier casse à Marseille avant de fuir à l’étranger.  Enfin « Classe tout risque » reprends le thème de la cavale meurtrière inspiré par les histoires d’un grand gangster italien voisin de Giovanni dans le couloir de la mort qui bien que non condamné à mort mais à perpétuité ne pouvais de part sa réputation se retrouver dans aucun autre quartier de la prison…probablement le plus noir des trois ce romain décrit la descente aux enfers d’un gros truands poursuivit depuis bien longtemps contraint à l’exile en Italie puis forcé au retour en France pour de jours meilleurs ses deux fils de sept et quatre ans à la main.

Giovanni exorcise ses démons du crime avec une plume froide et épurée de toutes formes d’habillages inutiles. Il explore parfaitement la situation d’enfermement et de déchéance dans laquelle se trouve un condamné, égaré dans le dernier recours de  l’évasion. Sombre aventure d’une liberté qui même dehors est impalpable.

José Giovanni l’anti évasion
Pour l’évadé cet enfermement s’opère aussi bien dans la cellule que dans le monde extérieur puisque ici même il vit dans un monde parallèle, un microcosme peuplé de bandits qui se développe au côté du reste de la société. Société qui par ailleurs l’occulte allègrement en inventant un système carcérale comme celui que l’on connaît et une guillotine comme on en fait plus bien heureusement. On ressent le phénomène de forte addiction au monde du crime chez ces trois personnages principaux de Giovanni que sont Manu, Gu et Abel qui agissent comme des drogués se promettant d’arrêter à la suite du prochain shoot. Chacun des personnages de ces trois romans nourrissent l’illusion d’un avenir meilleur, au vert, comme on dit, loin de la prison, loin de cette société qui ne veut plus d’eux et loin des bandits.  Foutaises nous dit Giovanni en filigrane ! La fuite ne résout rien et l’enfermement est finalement pire à l’extérieur qu’à l’intérieur. La traque des policiers, les morts en cascades, la cupidité et la pleutrerie des anciens amis, très brièvement de l’amour, ont pour résultat d’affaiblir et de détourner de son objet notre personnage en fuite jusqu’à l’isolement puis le retour à l’enfermement voire la mort. Le rêve du jeune gangster d’atteindre les hautes sphères du monde de la pègre s’est éteint avec les années enfermement pour laisser la place à un projet de règlement de compte avec le milieu, de reconquête amoureuse et de liberté à l’abri des cons. Vu de l’extérieur cela ressemble plus à une suite d’actes désespérés créant un enchaînement d’événements sordides. Retenons ces mots magnifiques de Paul Meurisse (à propos de Gu le  gangster en fuite dans « Le deuxième souffle »)  interprétant le rôle du talentueux enquêteur le commissaire Blot  : « A Ville d’Avray, Gu s’est servit d’un Colt et ensuite il ne l’a pas jeté… Ca n’est plus un tueur normal, c’est un homme perdu et il le sait ».
José Giovanni l’anti évasion

Giovanni semble pour se guérir définitivement de son addictionau monde du crime s’imaginer le parcours qu’il aurait eu s’il s’était évadé de la Santé de 1947. Il n’a finalement pas choisit cette voie et s’est soigné grâce une chance probablement inouïe et un courage sans limite tant la rechute semble le guetter à sa sortie de prison. Celui-ci expliquera à son avocat d’ailleurs qu’il refuse de replonger en acceptant de ne pas venger la mort de son frère. Il fait appel pour cela à un  gangster de haute renommée. Voyez par vous-même dans un de ses entretiens avec son avocat à sa sortie de prison, Giovanni nous révèle quelque chose de très intéressant   : « revoyez vous des truands ? Me demande-t-il. Dans le ton une ombre d’inquiétude. Je lui avoue revoir Jo Attia, une vedette du gangstérisme, lequel m’avait rendu le service d’arbitrer l’éventuel conflit entre le tueur de mon frère et moi. Dans le milieu, l’exercice consiste à faire le juge de paix, à se porter garant de mon refus de vengeance et à repousser l’idée d’un contrat, du côté adverse. En cas de non respect l’arbitre se retrouvera entre deux feux. »Lorsque l’on sait à quel point la réputation est importante dans ce milieu on évalue l’importance des truands qui se portent garants pour d’autres et les enjeux liés à un tel engagement.

José Giovanni n’a pas choisit le crime mais l’écriture pour se débarrasser de ce monde à  tout jamais. Cela semble avoir fonctionné et bien que ces trois premiers romans soient emprunts d’un réalisme glaçant sa vie et sa carrière artistique relèvent de la limite du Fantastique pour un ancien détenu du couloir de la mort dans la France des années 60. Giovanni est un auteur atypique d’une incroyable force mentale particulièrement émouvant sur les questions du monde carcérale et sur le thème de la peine de mort (cf son film «  Deux hommes dans la ville » 1973 avec Jean Gabin et Alain Delon).

José Giovanni l’anti évasion
Il reste d’une humilité incroyable lorsqu’il côtoie des personnalités telles que Camus, Duhamel, Belmondo ou encore Lino Ventura qui était son ami intime et qui interpréta à merveille bon nombre de ses rôles. Ne vous privez pas si vous êtes amateurs de bons polars les trois cités si dessus sont facilement trouvable et valent sacrément le détour. Et pour ce dire au revoir une belle phrase de Giovanni à sa sortie de prison me semble appropriée : « Aujourd’hui, sous le porche de la maisons centrale de Melun ma mémoire a remisé mon Beretta 9 mm au magasin de l’oubli, sur le rayon des actions imbéciles. »


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Les Lettres Françaises 14467 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine