Dans toute industrie, il est des dates charnières et des moments clés pendant lesquels on rebat les cartes, on s’observe et on attend le verdict. Concernant la libéralisation des jeux et paris en ligne, la dernière ligne droite de la bataille législative a été enclenchée au cours de l’année 2009, le 5 mars plus exactement, lorsqu’Eric Woerth, Ministre du Budget, présenta le texte fondateur du projet de loi. Le 13 octobre dernier, c’est l’Assemblée nationale qui s’est prononcée en faveur du projet de loi qui prévoit de libéraliser le marché des paris sportifs, hippiques et du poker sur Internet. Prévu au 1er janvier 2010, le projet sera finalement présenté aux sénateurs au mois de février afin de permettre aux différentes parties prenantes de ce marché (Etat, Française des jeux, sites de paris, etc.) de bénéficier des retombées attendues à l’occasion de la Coupe du monde de football. En effet, entre les paris hippiques (9 Mds€), les recettes de la Française des Jeux (9 Mds€) et les casinos (2,69 Mds€), on comprend l’importance d’un dénouement rapide.
En libéralisant le marché des jeux, le gouvernement a répondu aux exigences européennes ; laissant aux acteurs, anciens et nouveaux, le soin de se répartir un marché que beaucoup considèrent comme très porteur. Pourtant, la modification du cadre établi depuis plusieurs décennies en France aura sans aucun doute des conséquences importantes pour les joueurs. Délits d’Opinion revient sur la relation qui existe entre les Français et les jeux d’argent ainsi que sur leur jugement à l’égard des prochaines modifications législatives.
Le modèle français du jeu et ses adeptes
C’est le 19 mai 1976 que le premier tirage du LOTO® fut organisé, 45 ans après la création du PMU. Quelques décennies plus tard, ces jeux d’argent sont devenues des incontournables de la culture populaire française, au même titre que le régime présidentiel, la cuisine ou le Tour de France (une compétition où le PMU et la FDJ sont d’ailleurs présents en tant que sponsor et partenaire). Le jeu au sens large ne connait pas de frontières et touche toutes les franges de la population comme le souligne le sondage réalisé par TNS Sofres pour l’EPIQ : 48% de la population déclare jouer à des jeux d’argent dont 13% qui affirment y jouer souvent.
Lorsque l’on analyse ces résultats dans le détail, il s’avère que les hommes (50%) et les individus âgés de moins de 60 ans comptent parmi les principaux joueurs. Le principal clivage concerne la profession des personnes interrogées : seulement 46% des catégories socioprofessionnelles supérieures déclarent jouer à des jeux d’argent contre 62% des catégories socioprofessionnelles inférieures. Pour ces derniers, le hasard semble constituer un dernier archipel d’égalité où l’origine, le niveau de vie et d’éducation n’existe pas et où aucune compétence n’est requise. Alors que le moral des Français demeure faible selon l’INSEE, la possibilité d’améliorer son quotidien ou de changer de vie grâce à un gain potentiel est un facteur explicatif du succès des jeux d’argent auprès de ces publics.
Concernant le type de jeux auquel s’adonnent les Français, les jeux de tirage (72%) et de grattage (69%) trustent les premières places, loin devant le PMU (13%) et les jeux d’argent sur Internet (4%). Localement on observe également de fortes corrélations entre la présence des lieux de jeux et la pratique des joueurs. Dans la région Provence Alpes-Côte d’Azur, l’installation de nombreuses stations balnéaires permet d’expliquer que 56% des habitants se déclarent joueurs. Parmi ceux qui se décrivent comme des non-joueurs, on note que les deux tiers sont des réfractaires au jeu. Une majorité d’entre eux déclare « ne pas aimer cela » (63%) tandis que 4 non-joueurs sur 10 affirment que le jeu est un « attrape-nigaud ».
Ces résultats font émerger un constat évident. Les Français sont joueurs et paradoxalement, le contexte économique actuel aurait plutôt tendance à renforcer leurs envies de jouer afin de modifier leur quotidien en empochant le pactole.
Les jeux d’argent en ligne, un pari risqué ?
Encore réservé à un cercle restreint, les jeux en ligne sur Internet devront répondre à deux défis de taille : convaincre le grand public de l’intérêt de jouer de manière simple et sécurisée online mais aussi parvenir à une modification des comportements des joueurs traditionnels.
En libéralisant le marché de jeux et des paris en ligne, le gouvernement souhaite avant toute chose lutter contre les dérives du système actuel qui fait cohabiter sur le web, mineurs, sites illégaux et joueurs dépendants parmi lesquels on trouve quelques uns des 30 000 français interdits de salles de jeux et de casinos. Cette initiative législative répond à une exigence de transparence et à la méfiance qu’expriment 75% des Français lorsque l’on évoque les jeux d’argent sur Internet. Si ce résultat semble catastrophique pour les acteurs Internet, il est important de rappeler que les achats en ligne se sont imposés relativement rapidement auprès des consommateurs et qu’aujourd’hui plus d’un Français sur deux y a recours.
Depuis l’annonce de la libéralisation du marché, les partenariats, les accords et les opérations de rachats se multiplient dans ce secteur présenté comme le nouvel eldorado. Les fortes potentialités existantes sont néanmoins à relativiser par rapport aux intentions exprimées par les joueurs réguliers. En effet, moins d’un tiers des joueurs réguliers se disent prêts à dépenser de l’argent (32%); au total, moins de 3% des Français sont prêts à dépenser plus de 20 euros par semaine dans les jeux d’argent sur Internet.
La frilosité des Français à l’égard des paris sportifs et des jeux d’argent sur Internet s’explique sans doute par une relative méconnaissance des acteurs « pure player », c’est-à-dire ceux qui existent uniquement sur le web. Parmi les joueurs réguliers, ils sont moins d’un sur sept à connaitre les sites Betclic, Bwin ou Unibet. A l’inverse, les sites du PMU (56%) et de la Française des Jeux (29%) bénéficient d’une notoriété plus importante qui pèsera sans doute fortement lors des inscriptions sur les différents sites français de paris légaux. Enfin, au-delà de ces obstacles, on notera que seule une faible majorité des Français (54%) déclarent être au courant de la prochaine ouverture du marché des jeux et paris en ligne ; un résultat qui est interprété différemment selon les parties prenantes mais qui laisse présager du fort potentiel mobilisable sur ce nouveau terrain de jeu.
Avec la montée en puissance des jeux sur Internet depuis quelques années et la prochaine libéralisation du marché une question reste ne suspens : les profils des joueurs resteront-t-ils aussi diversifiés. La résorption de la fracture numérique additionnée au succès populaire des jeux va redessiner la carte du jeu en France mais il est probable que ce ne soit qu’un calque relativement fidèle.
Dans quelques mois l’industrie du pari française va se transformer et entrainer avec elle l’un des derniers monopoles d’Etat. Les appétits et les enjeux sont immenses car comme le démontre cette enquête il existe un fort potentiel au sein de la population. Toutefois, les doutes exprimés, l’absence de changements majeurs pour les joueurs et la présence déjà importante d’acteurs étrangers devraient limiter le raz de marée annoncé.