Eboli, c’est la ville emblématique du Sud misérable que décrit l’écrivain et peintre antifasciste Carlo Levi, relégué dans le Mezzogiorno par Mussolini, dans son livre fameux ‘Le Christ s’est arrêté à Eboli” porté à l’écran par Francesco Rosi. Un peu plus au sud, dans cette région qui revit et se défait des stéréotypes, dans le parc national du Pollino, sous l’égide de l’association Arte Continua, un programme de sculptures et d’installation en plein air voit le jour, dans des petits villages de montagne, au bout de routes incertaines, sur des crêtes ventées, me rappelant mon expérience sicilienne de l’an dernier.
Revenu sur terre, on peut imaginer le théâtre végétal de Penone, au bord d’un fleuve à sec près de Noepoli, mais il faudra patienter, le temps que les arbres poussent autour de la scène, comme une cervelle de pierre. Et je n’ai pas vu les installations de Nils-Udo et de Claudia Losi, faites en collaboration avec les habitants, ni celle de Rondinone dans la collection Berlingieri, toute proche.
Mais il est temps de plonger sous terre. A Latronico Terme, dans une prairie au-dessus des thermes, un renflement oblong, tel une éminence pénilienne, soulève la terre; il est fendu de tout son long par une tranchée d’un blanc éclatant dans laquelle il faut s’engager, par des marches ou par une rampe. Dans la fraîcheur relative du fond, sous les lèvres plantées d’arbustes, une des parois est brune, ombrée : il faut un instant pour que l’oeil s’habitue et discerne une grotte, un creux, une excavation rectangulaire, de la taille d’un écran de cinéma, mais face auquel on ne peut avoir aucun recul, aucune distance, on doit se laisser absorber. Earth Cinema, d’Anish Kapoor est une pièce terrestre, infernale, sexuelle, qui évoque la copulation avec la terre, la fertilité primitive. Et c’est aussi une installation sur le spectacle, sur la représentation, sur l’absence de distance du spectateur. Que voyons-nous sur cet écran ? L’histoire du monde, géologie et mythes ?Ainsi va-t-on, entre ciel et profondeur, entre anges et bêtes, explorant rites magiques et méditation silencieuse dans les monts du Pollino.
Photos de l’auteur, excepté la 1ère photo Kapoor, de Sandra Traverso. 1400ème billet du blog.