Les policiers de Nicolas Sarkozy

Publié le 23 août 2010 par Bernard Girard
Nicolas Sarkozy a récemment nommé à des postes de préfet ou de responsabilité dans son entourage immédiat plusieurs policiers. Ces choix confirment l'importance qu'il accorde aux nominations de collaborateurs qui lui doivent tout. Il aime gouverner entouré d'obligés. C'est vrai de tous ses conseillers qui ne seraient rien sans lui quand ses ministres ont, du fait même de leur capital électoral, une certaine autonomie. Ce l'est de ces policiers qu'il nomme préfets. Quelque brillante qu'ait pu être leur carrière, les commissaires de police deviennent rarement préfets. Ils ne sortent d'aucune de ces écoles qui forment les élites de la nation (beaucoup ont choisi la police faute d'avoir réussi le concours de l'ENA, de l'Ecole Nationale de la magistrature ou de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé ublique), et auraient eu peu de chance d'arriver au sommet de l'Etat sans l'intervention du Prince. On peut imaginer qu'ils lui seront d'autant plus fidèles qu'ils lui doivent beaucoup, sinon, pour certains, tout.
Cette dépendance donne au Prince le droit d'être exigeant et on devine que Nicolas Sarkozy l'est : ses dossiers sont certainement très bien préparés. Elle lui permet également de faire confiance. Et on a également le sentiment qu'il sait déléguer beaucoup à ses plus proches (ses conseillers, pas ses ministres). Comment pourrait-il, d'ailleurs,traiter simultanément autant de dossiers s'il ne donnait les plus grandes marges à ses conseillers les plus proches? L'inconvénient de ce type de gestion est qu'il favorise les phénomènes de cour : les conseillers (et hauts fonctionnaires) n'ayant d'autre légitimité que celle accordée par le prince, ils ne peuvent s'opposer à lui sans risques là où un politique, fort d'une légitimité personnelle, pourrait le mettre en garde. Les mesures prises contre les Roms et les gens du voyage est un bon exemple de ces erreurs graves (parce que c'est une erreur qui lui coûtera cher dans son électorat le plus traditionnel comme le montrent les réactions de l'Eglise, des institutions juives et la gêne de beaucoup d'élus de droite) qu'une écoute plus régulière des politiques lui aurait permis d'éviter.
Chacun le devine, ces nominations de policiers ont été conçues comme un signal adressé à l'opinion : les questions de sécurité sont prises sérieusement en main puisque confiées à des experts. Mais est-ce bien le cas?
Il n'est pas sûr que la carrière d'Eric Le Douaron, le nouveau préfet de l'Isère, l'ait vraiment préparé à résoudre les problèmes rencontrés dans les banlieues de Grenoble. Il a été pendant des années commissaire du 4ème arrondissement de Paris puis directeur de la police des frontières, ce qui est bien loin des problèmes des banlieues. Patron du Raid puis des CRS, Christian Lambert a, quant à lui, plus un profil de responsable du maintien de l'ordre que de spécialiste des problèmes de la Seine Saint-Denis.
Au delà, ces nominations posent un problème de compétence plus général. Les préfets ne sont pas seulement le chef de la police. Ils sont aussi dans leurs départements et régions, chargés d'animer les autres administrations, ce qui demande une expérience qui s'acquiert sur le terrain, dans les sous-préfectures, dans les préfectures, pas dans les commissariats. On peut donc craindre qu'elles se traduisent par un dégradation de la qualité du travail de la fonction publique dans les départements ou régions qui héritent de ces policiers.
Le risque est d'autant plus réel que les policiers viennent d'une administration qui fonctionne de manière très particulière, bien loin de l'image qu'en donnent les séries policières. Les syndicats y exercent un pouvoir considérable et cogèrent l'institution au terme d'un contrat implicite qui ne date pas de Nicolas Sarkozy mais auquel il n'a pas touché. La police obéit au pouvoir politique dans les moments les plus difficiles, elle fait éventuellement le sale boulot (chasser des Roms de leur campement fait aujourd'hui partie de ces sales boulots), mais, en échange, elle se gère largement elle-même et attend du gouvernement protection chaque fois qu'elle commet une erreur. Les sanctions y sont exceptionnelles alors même que c'est un métier qui met plus que d'autres en situation de commettre des bavures aux conséquences graves.
La police est, par ailleurs, la seule administration dans laquelle les organisations syndicales ont la capacité d'infléchir régulièrement la politique gouvernementale. Ces organisations syndicales n'échappent pas aux difficultés des autres syndicats. Elles y répondent par le populisme, l'appel à toujours plus de répression.
Mais revenons à la lutte contre la délinquance. Ces nominations peuvent-elles être efficaces? Non. Toutes choses égales par ailleurs, ces préfets ont trop peu de temps pour éradiquer un phénomène complexe qui prend ses racines dans le chômage, l'échec scolaire, la pauvreté, la désespérance sociale. Ils ne resteront pas les bras croisés. Les policiers maîtrisent depuis longtemps l'art de manipuler la presse, de distiller des informations, de monter des opérations spectacle, ils sont de tous les fonctionnaires ceux qui la pratiquent le plus. Et ils multiplieront (ils ont déjà commencé de le faire) les opérations musclées et cinématographiques susceptibles d'ouvrir les journaux télévisés. On parlera d'eux, ils donneront le sentiment d'agir, mais… les policiers sont aussi de grands spécialistes de la négociation indirecte avec les délinquants, de la sous-traitance de la sécurité aux bandes et mafias. On peut craindre que se mette en place un système où d'un coté la police ferait beaucoup de bruit pour les médias et laisserait de l'autre les délinquants les plus structurés, les plus raisonnables travailler dans le calme.