Je tente de reprendre mon fil, mais je n'ai rien sous les yeux de ce qui l'alimentait hier, ni avant-hier.
C'est comme un journal d'épopée : on sait quand commence la bataille, on ne compte plus les morts, ni le temps qu'elle dure.
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Alors, je reviens en arrière et je regarde ce qui est venu. Ecrire, ce n'est pas toujours savoir ce qui vient, mais c'est laisser une trace pour pouvoir mieux réfléchir, retourner sur ses pas, moduler le propos au fil des réflexions.
Quarante-huit heures après la résiliation de mon compte par les “modérateurs” de Facebook, rien n'est venu encore qui puisse donner une explication plausible à cet acte de piraterie.
Rien sinon la confirmation que ces messieurs n'hésitent pas à appuyer sur le bouton, à vous supprimer du regard des autres sur la simple dénonciation de pauvres imbéciles, il semblerait plus souvent politiquement “corrects”, outrés de l'audience que prennent certains propos.
Ceux-là n'aiment pas que certaines choses soient dites : par exemple que l'on rappelle que notre pays est signataire d'une déclaration universelle des droits de l'homme et que celle-ci, depuis soixante cinq ans, puisse lui être opposable.
Ils n'aiment pas non plus qu' un soit disant poète rappelle quelques principes élémentaires de notre vie en commun, réunis dans un texte que le droit usuel nomme constitution, dont le préambule reprend mots pour mots cette déclaration, augmentée d'un document écrit dans des circonstances où écrire fut encore plus périlleux qu'aujourd'hui (j'en veux pour preuve que la plupart de ses auteurs n'ont pas survécus) : j'ai nommé le programme du Conseil National de la Résistance, publié en 1945 sous le beau titre de “les jours heureux” et qu'une Association des résistants d'hier et d'aujourd'hui a eu la bonne idée de republier (aux éditions La découverte, et en vente libre dans toutes les bonnes librairies).
Ces grincheux qui ont l'art de la dénonciation calomnieuse sont gens sans couilles (pardonnez-moi la grossièreté) : ils ne savent qu'oeuvrer dans l'ombre, n'ont ni le courage de leurs opinions, ni la figure de venir dire en face ce qu'ils considèrent comme une pensée. Sans doute d'ailleurs la leur tiendrait-elle dans un dé à coudre.
Mais ce sont eux qui aujourd'hui, par la déficiente omniprésence d'un président, et de ses troupes gouvernementales, sont encouragés dans leurs basses oeuvres.
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Je n'en suis pas à ma première censure. car comment expliquer ma difficulté à trouver le moindre petit éditeur qui saurait donner un écho à ma recherche d'écriture depuis plus de vingt ans!
Comment nommer l'omerta et le couvercle soigneusement apposé sur des propos libres. Car je n'appartiens à aucun groupe de pression, à aucun parti, à aucune officine en vogue.
Non, je tente, comme les plus anciens philosophes nous y invitent toujours, de penser par moi-même, d'aller chercher les ferments de ma pensée hors de sentiers battus et rebattus d'un conformisme dominant depuis la grande peur de 1968.
Le plus choquant d'ailleurs est que les acteurs de ce bref instant d'espérance se soient si vite rangés, passant du col Mao au Rotary Club (petit clin d'oeil à un ouvrage que je ne retrouve pas dans ma bibliothèque mais qui doit bien s'y trouver) avec une aisance que le seul rapport à l'argent pourrait justifier.
L'argent, le clinquant, la pacotille: les censeurs à ces seuls mots ont les yeux qui frétillent de plaisir.
Ce n'est pas mon cas, et n'en déplaisent à ceux qui depuis toujours tentent de m'empêcher de penser et d'écrire, rêvent de ne jamais voir le moindre de mes propos sur les pages d'un livre, je ne suis subventionné par personne, je gagne misérablement ma vie en accomplissant mon métier en mon âme et conscience, au point même de ne pouvoir en vivre et devoir me contenter d'en survivre.
Mon association de gestion ne loupe pas une seule année la sempiternelle question concernant le volume de mon budget documentation, s'appuyant sur le fait que la plupart de mes collègues n'ouvrent jamais un livre.
Signe des temps : les éditeurs ont l'oeil rivé sur les dividendes de leurs actionnaires, les écrivains, pris dans le bain médiatique, se doivent d'écrire ce que l'audimat attend d'eux, les livres se vendent peu, leur pion damé par un univers médiatique qui se prétend libre; les censeurs peuvent y laisser pendre leurs mufles hideux: l'univers policés du politiquement correct est bien gardé!
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Hier, nous sommes allés à Sainte Tulle : il s'y trouve un joli parc ombragé où les enfants peuvent glisser, rouler dans l'herbe, courir après leurs ballons.
Appuyé au tronc d'un vieux micocoulier, je lisais mon Sarkophage. Je l'aime bien, mon Sarkophage, non qu'il me faille m'entourer de bandelettes pour le lire à l'ombre, mais il tient des propos iconoclastes, certes, mais qui ne manquent pas d'esprit. la presse qui fait preuve d'esprit n'est plus si abondante, depuis que les financiers, passant outre au préambule de la constitution (voir plus haut), ont posé leurs mains sales sur tout ce qui, de près ou de loin, touche à l'opinion publique. je salue au passage le courage de Paul Ariès d'avoir, dès l'élection de notre omniprésident, en 2007, et un 14 juillet, pris l'initiative de nous désaltérer, par ces temps de canicules, à grands coups de frais articles.
Je lisais donc mon Sarkophage (disons tout net que j'étais d'ailleurs bien le seul à lire, dans ce parc ombragé), et je tombe sur un article de Stephen Kerckhove (avec un nom comme celui-là, les flics doivent souvent lui demander ses papiers) intitulé “Sarkozy, ou l'état d'urgence permanent!”. Bien sur je me penche et lis ce que depuis longtemps je tente de dire ici : toute cette agitation, toutes ces libertés virtuelles qui nous sont généreusement octroyées, participent d'une parfaite mise en scène qui vise à nous faire perdre le fil. Et, le fil perdu, à nous réduire au désespoir du catastrophisme ambiant (la terre va s'effondrer demain), à nous faire croire que nous serions impuissants devant la scène internationale où les “lois de l'économie” s'imposeraient pour rendre immuable l'enrichissement des plus riches aux dépends des plus pauvres. Tout est bien huilé, tout baigne, et vous comprendrez mieux ce qu'une parole libre qui depuis longtemps clame que nous sommes maîtres de notre destin, que la société n'est que la somme de nos petits engagements peut avoir de dangereux.
Ceci justifie cela. Car c'est sur le fond que je peux trouver l'explication de mon éviction brutale des blogs orange, la surveillance régulière qui s'opère sur mon blog, ici, lui occasionnant d'étranges troubles digestifs, et, enfin la censure arbitraire opérée par les “modérateurs” du réseau Facebook.
Je tiens d'ailleurs à les remercier : leur silence qui en dit long, m'oblige ici à réfléchir, à examiner à la loupe les raisons de la gène que ma pensée peut occasionner, non, pour rentrer dans le moule de ce conformisme au formol, mais au contraire pour tenter, loin des sphères autorisées, à développer une écriture qui vienne donner de l'appétit à défendre une vie qui n'attend que ça: être défendue becs et ongles contre ses fossoyeurs.
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Je ne me contentais pas, hier de lire mon Sarkophage (lisez-le, il est en vente libre, chez tous les marchands de journaux libres).
Je me plongeais aussi dans la version 1941 du Caligula d'Albert Camus. La date a son importance, bien sûr, mais voici ce qui venait sous mes yeux.
Acte I, scène VII (Caligula parle à l'intendant): “Ecoute-moi bien. Si le trésor a de l'importance, alors la vie humaine n'en a pas. J'ai décidé d'être logique. Vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J'ai le pouvoir. J'exterminerai les contradicteurs et les contradictions. S'il le faut je commencerai par toi. Ton premier mot pour saluer mon retour a été le trésor. Je te le répète, on ne peut pas mettre le Trésor et la vie humaine sur le même plan. Augmenter l'un, c'est démonétiser l'autre. Toi, tu as choisi. Moi, j'entre dans ton jeu. Je joue avec tes cartes. D'ailleurs mon plan par sa simplicité est génial. Tu as trois secondes pour disparaître. Je compte: un…”
Plus tard, juste avant de m'endormir, rassuré de l'élan de solidarité qui s'était créé là-bas, dans cet univers virtuel de pseudo liberté, mes yeux voyaient encore la multiplication des cachalots (avatar que j'ai choisi pour métaphoriser mon retour sous pseudonyme), et se sont posés sur les derniers poèmes non assemblés d'Alberto Caeiro (alias Fernando Pessoa). Quelques vers sont venus à ma rencontre:
“On m'a parlé d'hommes, d'humanité,
Mais je n'ai jamais vu d'hommes ni d'humanité.
J'ai vu plusieurs hommes vertigineusement différents les uns des autres
Chacun d'eux séparé des autres par un espace sans hommes.”
Je me suis endormi en me disant que Caeiro ne faisait que monter le triomphe de Caligula, et j'espérais que ceux qui ont pouvoir sur nos destinées et nos libertés aujourd'hui ne sont guère différents de ceux-là, de même que nous n'avons pas beaucoup changés : nous continuons, aveugles et sourds, à confier nos destinées entre les mains peu avenantes d'individus sordides, alors que nous devrions faire une chaîne pour endiguer leurs ondes néfastes et mortifères.
Mais c'est peut-être cela qui m'est, justement, très justement reproché: c'est que, non formaté aux normes sociales, autodidacte total et farouche opposant de toute pensée corsetée, mes neurones laissent libre court à leur créativité et dressent des ponts, où les dominants veulent bâtir des murs.
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Une amie, hier soir me confiais ce lien qui en dit long sur l'hypocrisie facebookienne. Je ne résiste pas au plaisir de vous le transmettre : http://www.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.desactivationfacebook.new.fr%2F&h=a17cb
Xavier Lainé
Manosque, 23 août 2010