« L’homme est dépassé par l’extension de son propre savoir. On arrive à un point où il serait plus rentable de dépouiller les documents existants que de faire de nouvelles recherches ». Ce constat définitif date de 1966 et provient de la plume de François Derrey, l'un des collaborateurs de la revue Planète. Cette citation est extraite de l'un des neuf billets consacré par le Dernier blog à cette revue parue de 1961 à 1971 (selon deux séries) et qu'aujourd'hui il serait difficile dans le contexte lexicographique de ne pas traiter de « culte ».
intelligence humaine augmentée
Je n'ai malheureusement jamais pu en feuilleter un numéro, mais en ai
beaucoup entendu parler (ou plutôt lu). Cette revue animée par Louis Pauwels
(oui, le même que nous pouvions lire avec un certain dégoût dans le FigMag au
milieu des années quatre-vingt) et Jacques Bergier mêlait apparemment à une
iconographie très classe pour l'époque des articles de prospectives fondés sur
des entretiens avec des personnalités scientifiques et des analyses parfois
beaucoup plus farfelues sur l'ésotérisme et la probable venue des
extra-terrestres.
L'auteur du Dernier blog s'est attaché à recenser les articles
traitant de cybernétique et d'informatique et débute justement par la figure du
mathématicien Norbert Wiener, théoricien de la discipline. Voici ce qu'il écrit
fort joliment dans son billet de bilan quant aux préoccupations des fondateurs de la
revue. « Les rédacteurs de Planète étaient obsédés par certains
thèmes tels que la possible augmentation de l’intelligence humaine, l’avènement
d’un sur-homme, mais aussi la crainte d’un abêtissement général de l’humanité.
Il semble que souvent, l’ordinateur leur ait semblé être l’outil de rêve pour
sauver et pour améliorer l’humanité entière. Bien qu’ils s’en soient
régulièrement moqués, on sent par petites touches que les contributeurs de la
revue sont légèrement inquiets face à la concurrence des « monstres
d’acier ». Malgré sa formation scientifique, Jacques Bergier ne craint
jamais les extrapolations à l’emporte-pièce ou les descriptions techniques
erronées : il aime chercher le merveilleux dans la science, mais s’il ne
le trouve pas, il l’invente. »
« prises de savoir »
Mais revenons à l'article de 1966 intitulé « Pour résoudre la crise du
savoir, faisons confiance à l’ordinateur » et au résumé qu'en fait
l'auteur du Dernier Blog.
« La solution, c’est l’informatique, qui permet de tout stocker, de tout
classer, de tout indexer, de tout retrouver. Il expose longuement la manière
dont doivent être formulées les requêtes pour être efficaces. L’auteur propose
l’idée que les chercheurs pourront accéder à des mines documentaires distantes
grâce à des « prises de savoir ». Les chercheurs s’abonneront,
explique-t-il, à des centres de documentation où les textes seront
stockés électroniquement sans même avoir été lus. Les chercheurs
recevront automatiquement les textes qui concernent leurs recherches à mesure
qu’ils seront emmagasinés. »
Quelle belle vision pour les professionnels de l'information d'aujourd'hui.
Nous y sommes, les chercheurs peuvent accéder à des mines documentaires, la
prise Ethernet (elle-même supplantée par tous les accès nomades en
développement) est devenue une indispensable « prise de savoir ».
Nous pourrions toutefois nuancer, avec le recul, et parler plutôt de
« prises d'information ». Car le savoir, c'est certainement l'étape
ultime, celle dont nous sommes encore loin. Un article qu'il serait utile de
reproduire en entier à l'intention de tous les veilleurs, documentalistes et
autres knowledge managers d'aujourd'hui.
Du courage Mister Jean No
Je profite de ce billet pour saluer Jean-Noël Lafargue, l'auteur du
Dernier Blog, que je n'ai pas l'honneur de connaître. Je le salue mais
en même temps je le déteste, j'en suis terriblement jaloux : que de
billets de qualité, une production extraordinaire (et qui apparemment ne se
limite pas au blog cité) qui rejoint assez fréquemment les préoccupations de
l'auteur du Grenier (sauf que celui-ci n'est capable au mieux que d'un billet
trimestriel, et encore...). On pourrait croire que Jean-No vit d'allocations
chômage reclus au fond d'une profonde caverne équipée de wi-fi. Que nenni,
Monsieur a une famille, professe à plusieurs illustres endroits et collabore
avec plusieurs artistes, comme l'explique sa courte notice
biographique. Bref, moi qui suis en train de lire ''Les
cavernes d'acier'' d'Isaac Asimov, suis en train de me demander s'il ne
s'agit tout simplement pas... d'un robot.
Aurez-vous le courage de passer le test du Docteur Gerrigel, Mister
Jean-No ?
Liste de tous les billets relatifs à Planète : La revue Planète et
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la cybernétique – bilan
L'illustration est un scan provenant du Dernier blog.