Poésie du Samedi, 6 (nouvelle série)
Eric Woerth ? Ho hé, du ministre ? Si d’aventure tu lis cette chronique, fais gaffe à ton ego car tu vas t’en prendre plein la tronche ! Mais c’est pour ton bien, mon petit pote, juste pour te faciliter une salutaire prise de conscience à grands coups de pompes verbales au derche en cette époque de voyoucratie effrénée. Parce que tu nous saoules grave depuis quelques temps dans les médias : tes sollicitudes envers l’argent de la vieille (et hop, une ristourne de quelque 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt), tes légions d’honneur de pacotille à tes copains, ton cumul ministère du budget et trésorier de l’UMP, ta femme qui faisait des ménages chez Liliane ou ses affidés, ta politique désastreuse sur la réforme des retraites, ton libéralisme arrogant, ton indifférence souveraine envers la France d’en bas, ta stérile agitation médiatique qui brandit les démentis comme le poisson pris à l’hameçon babille vainement des nageoires… Mais je m’égare… Au fait, qu’est-ce donc que tu fous là, misérable Éric Woerth, dans cette chronique poétique ?
C’est que, lors d’une énième tentative de rangement de ma bibliothèque,je tombe sur une pile de plaquettes de Bernard Lorraine qui figure déjà dans la précédente série. J’avais alors chroniqué sur le chant du cygne des « rouges ». Aujourd’hui, l’actualité est aux agissements des « bleus » dont le premier d’entre eux, l’omni-président de la République, a réussi à se faire mettre à la une d’une gazette sous le titre « Voyou ». Je feuillette distraitement les opus de Bernard Lorraine et je tombe sur ce Vitriol qui me fait penser à ce ministre et à l’actualité politico-médiatique du moment…
Tous les recueils de Bernard Lorraine ont en commun de répéter trois fois le même mot en guise de titre : Dire dire dire ; Seul seul seul ; Saudades saudades saudades ; Samizdat Samizdat Samizdat ; Voilà voilà voilà ; Azertyuiop Azertyuiop Azertyuiop ; Provocation Provocation Provocation ; et enfin ce Vitriol, vitriol, vitriol… Il ne s’agit pas là d’un quelconque bégaiement de la pensée du poète mais bien plutôt d’un martèlement rythmique, d’une scansion souvent un brin mirliton –ran plan plan- pour asséner quelques propos bien sentis sur l’époque. La sienne, d’époque, renvoie aux années soixante, à croire que les mœurs politiques ne varient guère… et il retrouve la verve des chansonniers anarchistes du 19e. C’est verbeux à souhaits, appuyé comme une charge de cavalerie, un jeu de massacre en paroles. C’est malheureusement terriblement actuel mais mieux vaut en rire. Ici, vitriol rime avec Ravachol et l’on pourrait bien être tenté de vitrioler du ministre à l’heure où ceux-ci parlent de karcheriser les banlieues ou les Roms ou d’autres…
Complainte du vitriolage
Voici venu le temps des voleurs
Au lieu de les enfermer on leur
Fout la Légion d’honneur
A toutes ces girouettes
A tous ces déconneurs
A tous ces grands champions
De la brosse à reluire
Qui tournent et pirouettent
A tous ces tartempions
Qu’il faut empêcher de nuire
Oui toute vérité croyez-moi
Est bonne à crier sur les toits
Il faut l’avouer sans le moindre émoi
La faute à moi la faute à toi
Voici venu le temps des salauds
Qui gagnent de l’or et dont le boulot
C’est à vous faire crier
Consiste hélas à prendre
Leur cul pour encrier
Avant tout il faut vendredi
Des femmes se prostituent
Pour leurs mecs aigrefins
Du bisness qui les tue
Elles n’en voient pas la fin
Si je le dis faut pas m’en blâmer
On récolte ce qu’on a semé
Je présume que la législation
Doit souffrir de constipation
Au son langoureux des violons
Vitriolons vitriolons
(…)
Voici venu le temps de l’intellect
On fabrique dans des boîtes sélects
A grands coups de discours
De gentils ânes savants
Et des bêtes à concours
Qui donneront dans vingt ans
La race des longues figures
Au cerveau fatigué
Des esprits d’envergure
Et des castrats bagués
Disparaisse la triste engeance
Qui ne croit qu’à l’intelligence
Qu’éclatent ces têtes vidées
Qui ne croient qu’aux saintes idées
Au son enroué des cors anglais
Vitriolons vitriolons
Voici venu le temps des cons
En ce siècle d’or voici qu’on
Est forcé de respecter
Pour gagner sa pitance
Des tas de vieux ratés
Si l’on retient pas les tas
De coups de pieds au cul qui se perdent
Qu’on devrait foutre au bas
Du dos de ces sacs à merde
Crèvent les chefs en cuistreries
Qui croient aux saintes théories
Que s’étranglent ces vieilles bourriques
Le museau dans leurs paniers de critiques (…)
Meurent les gens à règlements
Le tarin dans leurs excréments
Clamsez masturbés du cerveau
Sous le tonnerre de nos bravos
Vas – y mon gars
Ils sont gagas
Et vitriole au son de la viole
Tout va de traviole
Bernard Lorraine (Greux 1933 – Neufchatel 2002), Vitriol, vitriol, vitriol. Paris, 1966, Au Terrain vague. De son vrai nom, Bernard Diez, il a longtemps enseigné le français en Amérique latine et publié nombre de recueils de poèmes dont beaucoup, comme celui-ci, ont l’allure de chansons.