Vitriol, vitriol, vitriol…

Publié le 22 août 2010 par Philippe Thomas

Poésie du Samedi, 6 (nouvelle série)

Eric Woerth ? Ho hé, du ministre ? Si d’aventure tu lis cette chronique, fais gaffe à ton ego car tu vas t’en prendre plein la tronche ! Mais c’est pour ton bien, mon petit pote, juste pour te faciliter une salutaire prise de conscience à grands coups de pompes verbales au derche en cette époque de voyoucratie effrénée. Parce que tu nous saoules grave depuis quelques temps dans les médias : tes sollicitudes envers l’argent de la vieille (et hop, une ristourne de quelque 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt), tes légions d’honneur de pacotille à tes copains, ton cumul ministère du budget et trésorier de l’UMP, ta femme qui faisait des ménages chez Liliane ou ses affidés, ta politique désastreuse sur la réforme des retraites, ton libéralisme arrogant, ton indifférence souveraine envers la France d’en bas, ta stérile agitation médiatique qui brandit les démentis comme le poisson pris à l’hameçon babille vainement des nageoires… Mais je m’égare… Au fait, qu’est-ce donc que tu fous là, misérable Éric Woerth, dans cette chronique poétique ?

C’est que, lors d’une énième tentative de rangement de ma bibliothèque,je tombe sur une pile de plaquettes de Bernard Lorraine qui figure déjà dans la précédente série. J’avais alors chroniqué sur le chant du cygne des « rouges ». Aujourd’hui, l’actualité est aux agissements des « bleus » dont le premier d’entre eux, l’omni-président de la République, a réussi à se faire mettre à la une d’une gazette sous le titre « Voyou ». Je feuillette distraitement les opus de Bernard Lorraine et je tombe sur ce Vitriol qui me fait penser à ce ministre et à l’actualité politico-médiatique du moment…

Tous les recueils de Bernard Lorraine ont en commun de répéter trois fois le même mot en guise de titre : Dire dire dire ; Seul seul seul ; Saudades saudades saudades ; Samizdat Samizdat Samizdat ; Voilà voilà voilà ; Azertyuiop Azertyuiop Azertyuiop ; Provocation Provocation Provocation ; et enfin ce Vitriol, vitriol, vitriol… Il ne s’agit pas là d’un quelconque bégaiement de la pensée du poète mais bien plutôt d’un martèlement rythmique, d’une scansion souvent un brin mirliton –ran plan plan- pour asséner quelques propos bien sentis sur l’époque. La sienne, d’époque, renvoie aux années soixante, à croire que les mœurs politiques ne varient guère… et il retrouve la verve des chansonniers anarchistes du 19e. C’est verbeux à souhaits, appuyé comme une charge de cavalerie, un jeu de massacre en paroles. C’est malheureusement terriblement actuel mais mieux vaut en rire. Ici, vitriol rime avec Ravachol et l’on pourrait bien être tenté de vitrioler du ministre à l’heure où ceux-ci parlent de karcheriser les banlieues ou les Roms ou d’autres…

Complainte du vitriolage

Voici venu le temps des voleurs

Au lieu de les enfermer on leur

Fout la Légion d’honneur

A toutes ces girouettes

A tous ces déconneurs

A tous ces grands champions

De la brosse à reluire

Qui tournent et pirouettent

A tous ces tartempions

Qu’il faut empêcher de nuire

Oui toute vérité croyez-moi

Est bonne à crier sur les toits

Il faut l’avouer sans le moindre émoi

La faute à moi la faute à toi

Voici venu le temps des salauds

Qui gagnent de l’or et dont le boulot

C’est à vous faire crier

Consiste hélas à prendre

Leur cul pour encrier

Avant tout il faut vendredi

Des femmes se prostituent

Pour leurs mecs aigrefins

Du bisness qui les tue

Elles n’en voient pas la fin

Si je le dis faut pas m’en blâmer

On récolte ce qu’on a semé

Je présume que la législation

Doit souffrir de constipation

Au son langoureux des violons

Vitriolons vitriolons

(…)

Voici venu le temps de l’intellect

On fabrique dans des boîtes sélects

A grands coups de discours

De gentils ânes savants

Et des bêtes à concours

Qui donneront dans vingt ans

La race des longues figures

Au cerveau fatigué

Des esprits d’envergure

Et des castrats bagués

Disparaisse la triste engeance

Qui ne croit qu’à l’intelligence

Qu’éclatent ces têtes vidées

Qui ne croient qu’aux saintes idées

Au son enroué des cors anglais

Vitriolons vitriolons

Voici venu le temps des cons

En ce siècle d’or voici qu’on

Est forcé de respecter

Pour gagner sa pitance

Des tas de vieux ratés

Si l’on retient pas les tas

De coups de pieds au cul qui se perdent

Qu’on devrait foutre au bas

Du dos de ces sacs à merde

Crèvent les chefs en cuistreries

Qui croient aux saintes théories

Que s’étranglent ces vieilles bourriques

Le museau dans leurs paniers de critiques (…)

Meurent les gens à règlements

Le tarin dans leurs excréments

Clamsez masturbés du cerveau

Sous le tonnerre de nos bravos

Vas – y mon gars

Ils sont gagas

Et vitriole au son de la viole

Tout va de traviole

Bernard Lorraine (Greux 1933 – Neufchatel 2002), Vitriol, vitriol, vitriol. Paris, 1966, Au Terrain vague. De son vrai nom, Bernard Diez, il a longtemps enseigné le français en Amérique latine et publié nombre de recueils de poèmes dont beaucoup, comme celui-ci, ont l’allure de chansons.