Vingt quatre heures depuis que la censure arbitraire des sbires de Facebook est venue de ses ciseaux couper ce lien illusoire avec le monde.On peut disparaître en quelques secondes du paysage, être condamné au silence, sans que nulle (ou presque) protestation ne vienne perturber l'ordinaire d'un peuple vautré dans son indifférence, dans sa certitude passive, son arrogante impuissance.
La bêtise qui s'exprime au niveau d'un gouvernement, qui s'arroge le droit de considérer tout propos d'opposition philosophique comme contraire au “bon sens”, s'appuie de fait sur une absence de volonté populaire d'exister et de construire.Les maîtres du développement personnel, les coachs qui dictent à leurs ouailles les secrets de la réussite narcissique, les journaux, les télévisions, les médias interlopes d'un internet mercantile ont accompli leur devoir: vendre de la cervelle disponible à coca-cola et rendre un peuple servile.
Car pour que les puissants puissent accumuler en toute impunité des richesses qu'ils soustraient au bien commun, il leur faut un peuple couché, des esclaves, de la chair à canon.Depuis leur grande frayeur de 1968, les profiteurs d'un système dont le nombre des victimes ne sera peut-être jamais élucidé n'ont eu de cesse de mettre en place les rouages d'une consommation et d'un crédit qui soit en mesure de rendre l'immense majorité des citoyens dépendants.
Car c'est la dépendance qui crée l'esclavage. L'esclave finit par remercier son maître, le torturé par embrasser son bourreau. C'est une affaire bien connue, à qui prend la peine d'ouvrir un livre!La belle affaire: ouvrir un livre! Voilà qu'ici même, ce que les quelques clairvoyants de 1940 avait entrevu a été battu en brèche, et les marchands de canon se sont empressés d'acheter la grande majorité des groupes éditoriaux de telle sorte que nulle parole libre ne puisse être émise sans leur consentement, et l'œil rivé sur les dividendes.
Qu'est donc une parole libre soumise à l'approbation des propriétaires à chapeaux, publiée pour son effet à rebours sur les profits juteux des économistes bornés? Du pipi de chat!Si nous voulons que ce monde puisse s'ouvrir à une autre conception de l'Homme, il nous faudra entreprendre le travail de sape d'un système bien huilé qui vise à l'asservissement, l'assujettissement, l'esclavage et la dépendance.
Que ma prose ne trouve nul refuge en ces temps de disette intellectuelle, et d'intellectuels vautrés et empêtrés dans la fange de leurs compromissions ave cle pouvoir en place, n'est que justice.Je n'aurai pas assez de jour pour remercier les censeurs donc, pas assez d'heures pour clamer haut et fort que ce à quoi nous avons à œuvrer se doit d'être la réinvention d'une poétique du monde qui laisse la part belle à l'imaginaire débridé, à la chaleur du lien que des Hommes pourraient réapprendre à tisser.
Les ciseaux d'Anastasie ne me feront point taire. Même du plus profond maquis la parole peut encore parvenir à ses destinataires.Une blessure n'est point mortelle: elle ne fait que démontrer la fragilité d'un système.
Et celui-là, par les œuvres de mort qu'il porte en son ventre, est peut-être, déjà, à l'agonie.
Xavier Lainé
Manosque, 22 août 2010