Quel plaisir de revenir sur les lieux qui ont marqué ce début d’année par autant de fenêtres ouvertes sur des perspectives de travail qui, un jour, doivent devenir des perspectives de loisirs.
Je m’aperçois toutefois qu’en ce milieu de mars j’ai fait un très curieux périple. Un de ceux qu’on peut supporter uniquement quand on est jeune. Quittant Luxembourg en avion pour Ancona, afin de séjourner deux jours, jeudi et vendredi dans l’Abbaye de Fiastra afin de réfléchir sur le projet de la Via Lauretana, j’ai rejoint Vienne en avion le samedi matin, puis atteint Salzburg par le train dans l’après midi afin de participer dimanche à l’Assemblée Générale des Voies de Mozart. J’ai du ensuite parcourir l’Autriche vers Nüremberg et retraverser l’Europe de nuit par le train, cette fois vers Paris et revenir enfin le lundi soir à Luxembourg.
Je ne peux bien entendu raconter un tel voyage initiatique que par étape, en évitant les aspects techniques, les discussions et les communications d’un colloque, les négociations et les stratégies des villes mozartiennes, pour privilégier les lieux et les voyages, les découvertes et les perspectives européennes.
Première étape donc : les environs de Loreto.
On va dire que je passe mon temps dans des bâtiments religieux. C’est en partie vrai, même si en écrivant rétrospectivement et en picorant le temps dans le désordre, la chronologie des événements n’est pas vraiment respectée. Dans cette série de commentaires, il est vrai que je passe ainsi de la majestueuse abbatiale casadéenne de la Chaise-Dieu à l’abbaye cistercienne de Fiastra, Santa Maria di Chiaravalle, dont la façade de briques d’une grande simplicité s’ouvre sur un cloître austère, tout en lignes coupantes. Le monastère donnant lui-même place à un Palais abbatial où l’idée de nature est partout présente, jouant sur le trompe l’œil des fausses et des vraies draperies, des illusions de pinèdes et de rochers, transformant toutes les pièces du rez-de-chaussée en belvédères ouvrant sur une sorte de miroir magique et en partie double : l’image idyllique de châteaux et d’abbayes placés dans l’équilibre esthétique de la plus pure harmonie paradisiaque.
Il faut dire que les propriétés de l’abbaye étaient immenses et qu’après un épisode jésuite de deux siècles, la famille Giustiniani Bandini en fit l’acquisition, avant que ne se crée une Fondation du même nom au début du XXe siècle – Fondation qui nous accueille aujourd’hui. - Une réserve naturelle a été établie depuis 1984, en accord entre la région des Marches et la Fondation.
Il s’agit en fait rien de moins que de 1.800 hectares s’étendant dans la Province de Macerata. Une centaine d’hectares sont couverts d’une forêt dont on dit qu’elle est le témoignage de la manière dont les moines géraient l’espace rural et qui nous est en tout cas présentée comme la véritable transmission de l’espace paysager caractéristique des Marches au XVIIIe siècle. J’espère qu’on y trouve encore les bois de lauriers qui donnèrent son nom à Loreto !
Ajoutant ainsi un regard complémentaire et nouveau à cette région italienne que j’ai pu découvrir et apprendre à aimer sur la côte félinienne, mais aussi à la frontière de l’Ombrie, dans l’orbe d’Urbino, je ne peux que conseiller à ceux qui connaissent bien la Toscane, de prendre leur sac à dos et leur bicyclette et de devenir de véritables italiens en prenant connaissance deces Etats du Pape qui se déversent par collines interposées vers l’Adriatique.
De fait, le travail qui est entamé par cette réunion scientifique souhaite explorer tous les éléments susceptibles de permettre d’établir un parcours contemporain Roma – Loreto (Lorette pour les Français), allant d’une basilique à une autre. Il concurrencera en quelque sorte le parcours Assisi – Roma qui vient d’être pris en charge pour des pèlerinages de masse avec toute la force commerciale de l’Opera Romana Pellegrinagi.
Saint François rendra ainsi hommage à la Vierge.
A Loreto en effet, la basilique vient couronner, ou pour mieux dire abriter la Santa Casa, la Maison de la Vierge située à Nazareth ; celle de l’Annonciation. La légende veut que les anges aient soulevé de terre ce saint bâtiment en 1294, juste avant la conquête musulmane, pour la déposer en lieu sûr, dans ces Etats protégés par Rome. En fait il semble bien que ce soit un prince byzantin qui aurait réussi ce démontage – transport maritime – remontage contre rémunération, à la fin du XIIIe siècle.
Je suis impressionné il est vrai par ce rassemblement pluridisciplinaire qui regroupe des chercheurs des Universités de Florence, Camerino, Macerata, Perugia, Urbino et d’Aquila. J’ai ainsi beaucoup appris sur la recherche cartographique, comme sur l’établissement des master plans, mais je sais déjà que c’est la fonction narrative de la route qu’il va falloir étudier de notre côté dans les années à venir. Entre le légendaire et l’historique, le symbolique et l’exercice des pouvoirs partagés.
Le rapport au Moyen-Orient sera certainement l’un des points d’entrée de l’itinéraire européen, qui ne peut se construire uniquement sur un parcours italien.
Mais comment ne pas rechercher en effet toutes les formes du religieux lorsque l’on recoupe tous les itinéraires culturels pour en faire un véritable outil de lecture de l’histoire de l’Europe ; et tout particulièrement dans la cristallisation du paysage pèlerin au Moyen-Âge ? Il faut réunir tout ce qui fait occurrence entre paysage aménagé par les moines, chemins d’évangélisation, déploiement de croisades et pèlerinages, rencontres interreligieuses et passages des frontières contemporaines, dans le croissant fertile qui court de la Turquie à l’Egypte.
Depuis quelques semaines, par l’écriture et dans le rassemblement des souvenirs, je brode ainsi d’un fil d’or religieux les rapports entre les Vikings convertis, les vallées pyrénéennes aménagées par les moines et le dialogue entamé à Trondheim à propos de la Terre Sainte.
Je me glisse entre les églises peintes de Bucovine, les églises fortifiées de Transylvanie, les cloîtres de montagne et ceux des plaines, traversant la Bourgogne, les Pyrénées et lesCarpathes, passant des fjords, aux rives de l’Adriatique et de l’Atlantique.
Il est sans doute plaisant que, rendant hommage aux anges, Notre-Dame de Lorette soit devenue la patronne des aviateurs. Etant donné le nombre de vols que j’effectue par an, je suis heureux de lui avoir ainsi rendu hommage.
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