Bien que j'aime beaucoup mon époque - ce qui ne surprendra que ceux qui ne me connaissent pas vraiment - je ne suis guère enthousiasmé par l'art contemporain. Cela dit, je ne demande pas mieux que de chercher à séparer ce qui me semble être le bon grain au milieu de beaucoup d'ivraie.
Hier soir avait lieu à Genève, à la Galerie Analix Forever ici , le vernissage d'oeuvres de Matt Saunders, un jeune américain de 35 ans, qui vit à Berlin depuis 10 ans et qui a une prédilection pour les personnes qui, à un moment donné, ont disparu de la circulation sans trop faire de bruit, entretenant autour d'elles une aura de mystère.
Parmi ces personnes auxquelles il s'est intéressé, il y a Patrick McGoohan. Je dois avouer que c'est surtout pourquoi j'ai fait hier soir le trajet de Lausanne à Genève. Pour revoir aussi, bien sûr, la charmante Barbara Polla, directrice de la galerie, toujours habitée par une heureuse et communicative vitalité, et, bien entendu, pour faire la connaissance de Matt Saunders, qui est d'un abord très accessible, dont l'allure est bien sage en comparaison d'une oeuvre qui l'est moins, pour le plaisir de nos yeux.
Sans être un nostalgique, je reconnais que Destination Danger - Danger Man - et Le prisonnier - The prisoner - sont deux des quelques séries télévisées auxquelles je voue un culte. Ces deux-là, dans les années 1960, ont émerveillé mon enfance. J'étais donc curieux de voir de près comment Matt Saunders avait tiré le portrait de celui qui avait incarné, pour mon petit écran, l'espion John Drake, auquel dans mes jeux de gamin je m'identifiais volontiers, ou Numéro 6, qui, lors de mon adolescence, m'avait initié aux voies intelligentes qui permettent à un homme d'être libre, en refusant justement d'être un numéro.
Deux portraits de l'acteur, qui s'est éteint au début de l'an passé, sont exposés à Genève cette fois-ci - Analix Forever a déjà exposé Saunders. McGoohan est très reconnaissable pour les adeptes dont je suis. Matt l'a d'abord peint à l'huile sur une toile d'après des instantanés réalisés par lui à partir d'images télévisuelles. Il a adjoint à la peinture à l'huile d'autres matériaux divers. Puis il s'est servi du résultat obtenu comme négatif qu'il a exposé pendant trois heures à la lumière pour le tirer sur papier photographique. Au deuxième portrait il a encore ajouté quelques mouvements de peinture, qui en accentue le mystère.
Vingt-deux portraits de jeunes femmes fatales occupent tout le mur sud de la galerie. Là encore Saunders s'est inspiré d'instantanés, réalisés cette fois par l'équipe du designer belge Kris Van Assche ici, lors d'un défilé de mode féminine, aux tons noir et blanc, à Paris, à l'automne 2009. En négatif Matt a dessiné, pour la première fois sur commande, occasionals, à l'encre, sur mylar - marque sous laquelle est commercialisé le polyéthylène téréphtalate (PET) - ces jeunes femmes, qui se ressemblent toutes, tout en étant bien différentes les unes des autres, puis a tiré sur papier photographique ces négatifs qui se passent de la médiation d'un appareil-photo [la photo qui illustre cet article est celle de Daniela et provient d'ici].
Hertha Thiele ici est une actrice allemande née en 1908, qui a connu un grand succès en Allemagne après sa prestation dans le film Jeunes filles en uniforme. Sa carrière s'est cependant réellement achevée en 1933 quand elle a refusé de figurer dans le film de propagande nazie, Hans Westmar. Pendant la guerre elle se réfugie en Suisse où elle change de métier. A son retour en Allemagne à la fin des années 1960, elle interprétera surtout des rôles secondaires dans des séries et films de télévision. Les trois portraits d'elle exposés par Matt sont tout empreints de sa douceur un peu triste, qui faisait tout son charme.
Dans la partie nord de la galerie la visite se termine par une vidéo réalisée en 2004. Avec la même technique hybride de peinture et de photographie, Matt Saunders a fait de nombreux portraits d'un acteur allemand fascinant, Udo Kier, un autre homme du danger, qui est surtout connu pour avoir interprété des rôles de vampire. La vidéo est un montage d'esquisses et de portraits qui le montrent dans son premier rôle, en gangster, portant comme de juste des lunettes noires, dans la Vienne des années 1960.
Je dois reconnaître que j'ai été déçu en bien, comme on dit dans le Pays de Vaud, par cette exposition. Les procédés employés par Saunders, pour dresser des portraits, sont réellement impressionnants, dans un sens positif... Le parti pris de rester dans les tons du noir au blanc, comme les photos de naguère, ajoute une touche désuète, nostalgique, à la vision du monde pourtant résolument moderne qu'a l'artiste, non seulement en raison de sa technique, mais aussi de ce mélange de raffinement et de brutalité qui caractérise son art.
Francis Richard