Christian Auster écrit dans un style limpide. De courte phrase. Sujet verbe, et parfois un complément. Puis cette phrase, cette unique phrase : « L’état d’esprit où je me trouvais alors était naturellement composite, ou se mêlaient l’étonnement, l’interrogation mais aussi la sensation d’isolement, la gêne d’avoir laissé Marthe sans l’avoir saluée, la question, quand même, de savoir si je la retrouverais pour la collation, le peu d’envie que j’avais de le faire, au fond la conscience soudaine que je ne savais pas de toute façon où habitait sa mère, que je n’avais pas non plus sur moi le téléphone de Marthe, qui ne figurait pas dans le répertoire du mien, que de ce côté là, donc, c’était à peu près fichu, la relative satisfaction, aussi, que ce problème au moins fût réglé, mais encore le ridicule de ma position, seul dans ce cimetière où je n’avais somme toute personne à pleurer, confronté de surcroît à l’abandon, voire à la trahison, songeant non plus à Paul mais à Marianne, que j’avais envie d’appeler pour lui raconter ce qui m’arrivait, parce qu’à part Paul, justement, il n’y avait pas grand monde à qui j’eusse l’occasion de raconter quelque chose, en ce moment, craignant toutefois que Marianne n’eût pas une réaction à la hauteur, soupçonnant, comme dans les films que nous voyons de moins en moins souvent ensemble, qu’elle ne prendrait pas la mesure de la scène et de la situation que je lui représenterais, n’ayant par conséquent plus guère envie, en fin de compte, de l’appeler, resongeant à Paul, puis à l’appeler, lui, l’appelant, de fait, le reard errant vers les allées où une dame se profilait maintenant avec un arrosoir, tombant sur le répondeur, laissant inutilement un message ».
L’expression du désarroi, sans doute…
Dans la cathédrale. Editions de Minuit. Mars 2010.