Officiellement, Loto-Québec doit s'abstenir d'augmenter son «offre de jeu». L'ouverture récente du Casino de Mont-Tremblant ne contredit pas cette règle puisque le nouvel établissement ne fait que «bonifier l'offre de divertissement», selon l'expression du président de Loto-Québec, Alain Cousineau.
En 2004, dans un rare moment de candeur, Loto-Québec reconnaissait que ses 14 300 appareils de loterie vidéo, répartis dans 3663 bars et brasseries, attiraient les joueurs les plus susceptibles de développer des problèmes de jeu. Elle admettait aussi que les mises annuelles moyennes des amateurs de loterie vidéo étaient les plus élevées parmi les jeux de hasard et d'argent autorisés au Québec. «À l'évidence, la situation appelle des correctifs», pouvait-on lire dans le plan de développement 2004-2007 de l'entreprise.
Soutenant que le problème en était d'abord un de trop grande accessibilité aux appareils, Loto-Québec s'est alors engagée à réduire de 31 % son réseau de sites de loterie vidéo et à regrouper, dans des salons de jeux sous son contrôle, la majeure partie des appareils ainsi récupérés.
Cinq ans plus tard, le président Cousineau se félicite d'avoir dépassé son objectif de 31% et décrète que la reconfiguration du réseau est maintenant complétée. Mission accomplie, proclame-t-il, alors que le salon de jeux de la couronne nord de Montréal n'a jamais vu le jour. C'était pourtant le plus important et la pierre angulaire du regroupement des appareils projeté pour la grande région montréalaise. Mission accomplie alors que subsistent 11 410 de ces appareils qui ruinent des gens et détruisent des vies.
Même avec un réseau réduit de plus du tiers de sa taille, les loteries vidéo continuent de générer des revenus qui dépassent le milliard de dollars par année, soit autant qu'il y a cinq ans, quand la situation appelait des «correctifs». Deux seules explications à la résilience de ces revenus: les sites fermés comptaient parmi les moins rentables du réseau et la nouvelle génération d'appareils est plus attractive, plus performante, plus rentable que la précédente.
Évidemment, on ne trouvera pas ces explications dans le rapport annuel de la société d'État, qui vient d'être déposé à l'Assemblée nationale. Le document de 108 pages ne dit pas non plus pourquoi la rémunération variable des six plus hauts dirigeants de l'entreprise a fait un bond de 35 % au cours de la dernière année.
Si la légère augmentation du chiffre d'affaires et du bénéfice net de Loto-Québec y est pour quelque chose, alors la haute direction n'a pas de mérite puisque ces croissances «ne reflètent que l'inflation, la hausse du coût de la vie», selon l'appréciation faite par le président Cousineau à la caméra de Radio-Canada. En ces temps de crise, il y a des employés de l'État qui se tirent mieux d'affaire que d'autres!
Loto-Québec n'est pas qu'une puissante organisation commerciale. C'est aussi une énorme machine de communication et de relations publiques dont les budgets feraient l'envie de certains gestionnaires d'hôpitaux. Au siège social de la Société, rue Sherbrooke, pas moins d'une centaine de personnes s'affairent à l'étage des communications et des affaires publiques. Voilà beaucoup de ressources pour une entreprise sans concurrence qui jouit d'un monopole dans son secteur d'activité.
Loto-Québec a un besoin pathétique d'être aimée et admirée. Une visite de son site Internet donne la mesure des efforts qu'elle déploie pour se forger une image d'entreprise respectable et fréquentable. Dans une langue de bois triomphante, des documents luxueux y vantent ad nauseam ses réalisations et ses bonnes oeuvres. Il faut lire notamment le Plan d'action de développement durable 2008-2013, une pièce d'anthologie digne des plus belles oeuvres du ministère de l'Éducation.
Personne ne doit douter que Loto-Québec est une indispensable bienfaitrice de l'humanité. L'entreprise se targue notamment de consacrer 25 millions par année à la lutte au jeu excessif. Comment peut-elle se glorifier d'un montant dont l'ampleur révèle l'envergure du problème dont elle est la première responsable? Peut-on imaginer le jour où les fabricants de cigarettes se vanteraient de payer les traitements d'oncologie de leurs fumeurs?
En quête perpétuelle d'amour et de reconnaissance, Loto-Québec court les concours. La World Lottery Association (WLA) vient de lui accorder le prix du Best Player Education Program et la plus haute certification (niveau 4) pour ses pratiques en matière de jeu responsable. Ces deux distinctions font la fierté du président Cousineau, qui clame que Loto-Québec est la seule société de loteries du monde à avoir obtenu la certification 4 de la WLA.
Jamais ne mentionne-t-il que Loto-Québec abrite le secrétariat général de cette association internationale. Il ne précise pas non plus que la personne responsable du secrétariat de la WLA, Mme Lynne Roiter, est aussi vice-présidente et secrétaire générale de Loto-Québec. Comme le hasard fait bien les choses!
Jean-Guy Trinque, Rédacteur professionnel, l'auteur a été au service de Loto-Québec pendant cinq ans et a quitté cet emploi en juin 2008