Mon Dieu qu’il faisait froid ! Le printemps était pourtant déjà accroché au calendrier depuis quelques jours. Mais le Centre de la France garde souvent des envies de givre et de neige bien au-delà du raisonnable. En pénétrant dans l’abbatiale saint Robert le froid était véritablement mortel. Le moine qui nous a accompagné nous a confié qu’il revenait d’un long séjour en Lituanie, pays catholique s’il en est. Il semblait donc, tant mieux pour lui – immunisé. Il faut dire qu’il est maintenant un familier de la célèbre fresque de la « Danse macabre » où l‘égalité devant la maladie et la mort va de soi.
J’imagine que ce soir, 20 août 2010, au premier rang de la grande nef, le Ministre de la Culture français qui écoute en prologue à la polyphonie romaine de Giovanni Giorgi, l’orgue imposant de plénitude sonore placé dans la tribune haute, ne connaît pas cette impression terrible qui glace les os.
Lorsque je parcours, en marche arrière, la première moitié de l’année, au cours de laquelle j’ai peu écrit, je comprends ma fatigue et son accumulation. Et surtout celle qui m’a cloué au lit, de retour d’un grand tour en voiture où j’ai participé à la session française du Parlement Européen des Jeunes qui se tenait au Puy-en-Velay durant deux jours, avant de me rendre à la Chaise-Dieu pour mettre en route le dossier d’un itinéraire culturel européen des sites casadéens.
Il s’agit au fond, dans la phase actuelle de l’itinéraire de l’influence monastique, de décliner les ordres qui se sont succédés et de compléter ainsi les sites clunisiens et les sites cisterciens déjà labellisés, par une branche un peu particulière qui naît entre 1043 et 1052 avec Robert de Turlande, devenu Saint Robert et se développe en France, dans la Belgique actuelle, l’Espagne, l’Italie et la Suisse. Huit cent soixante treize filles ; c’est une belle descendance dans laquelle celles de Burgos et de Frassinoro sont déjà impliquées dans le réseau naissant.
Des itinéraires régionaux de grande randonnée sont en cours de réalisation : le Chemin de Robert de Turlande, justement, qui se développe en partenariat avec « Les Chemins de l’Europe » et vient du Cantal, celui qui relie la Chaise-Dieu au sommet du Puy-de-Dôme et enfin le Chemin de la vallée du Rhône à Saint-Julien Chapteuil.
J’ai heureusement oublié aujourd’hui la grippe divine qui m’avait envahi. Il me reste simplement l’envie d’écrire. Je reviens ainsi vers les belles images du cloître et des tapisseries, que je revois tout particulièrement pour ce troisième soir du Festival dont les splendeurs sonores me parviennent jusqu’au Luxembourg grâce à France Musique.
Une véritable fidélité d’écoute après le concert d’ouverture qui a fait monter, en les tressant en arceaux, des odes à Saint Cécile de Henry Purcell et Benjamin Britten et le concert d’hier soir avec la messe brève et celle en si de Jean Sébastien Bach, comme avec la découverte de Jan Dismas Zelenka, ce tchèque de Bohême qui a vécu à cheval sur les XVIIe et XVIIIe siècles et qui finit sa carrière à Dresde.
Sur le moment je me suis dit : c’est vrai j’avais oublié ces tapisseries dont le livre sur l’art textile que j’ai préparé en 1985 avait donné une reproduction, à ce moment de l’histoire de la tapisserie européenne où la discussion portait sur le rôle respectif des villes des Flandres : Arras, Bruxelles, Tournai. Et donc sur leur rôle dans l’exécution de cette grande œuvre voulue par un Abbé de la Chaise-Dieu. Ce cycle du début du XVIe siècle qui se poursuit, de l’Annonciation au Jugement dernier, n’a pas comme c’est souvent le cas d’auteur clairement identifié. On ne dit même pas, comme parfois : le Maître de…J’aime à imaginer que le beau Martin, Martin Schongauer, mon ami le graveur alsacien du XVe siècle a partie d’influence avec elles.
Nous avons beaucoup parlé du festival avec les élus locaux, au restaurant et au café où un grog n’a pas vraiment fait fondre la glace qui bloquait mes cordes vocales. La table comportait des témoins de la naissance de cette manifestation, il y a quarante-quatre ans sous l’impulsion de Georges Cziffra dont le nom figure depuis quelques jours sur l’auditorium qui lui est dédié et que l’on vient d’inaugurer.
Une histoire un peu banale dirait-on, de bénévolat qui se professionnalise et qui amène dans cette région rude où l’évangélisation et la vie monastique n’ont certainement pas été faciles, des milliers d’amateurs chaque année plus nombreux. Des passionnés d’une musique d’église qui parcourt les siècles, de Monteverdi à Brahms etMalher.
Là aussi on m’a invité à revenir pour les concerts. Mais je ne reviendrai de fait que fin septembre pour l’étape suivante de l’itinéraire. Il me reste heureusement la radio pour combler ma frustration.
Un lieu à ajouter donc à mes futurs étés festivaliers, lorsque, comme les personnages des romans de Daniel Boulanger, je prendrai pension l’été dans un hôtel sympathique et un peu vieillot ou bien chez une veuve indigne qui saura me cacher qu’elle a assassiné une partie de ses rivales, quand elle était plus jeune et me fera parler de mes émotions esthétiques devant une tasse de verveine du Velay.
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