Dans les échoppes des souks, la femme y est introuvable. Elle n’est ni à l’accueil – derrière le comptoir de la boutique -, ni au devant du client. Elle n’est pas non plus caissière ou suppléante de son mari. Le plus souvent, c’est le fils qui relaye le père fatigué.Vous ne verrez guère de femmes dans les cafés populeux, dans les magasins, dans les restaurants (salle ou cuisine). Peu d’entre elles s’aventurent en ville en voiture. Paradoxe : probablement étudiantes, elles sortent en groupe, commandent du thé dans les restaurants, s’accrochent à leur portable toutes les cinq minutes et attendent leurs amoureux.
Des femmes au travail, il y en a : surtout au travail domestique dans les maisons aux intérieurs frais. Elles sont quasi-invisibles sous les tentes poussiéreuses du désert mais très présentes dans les cueillettes aux champs, dans les pharmacies, aux guichets des banques, dans les administrations (postes et justice). Certains matins de la semaine, quelques-unes viennent nettoyer les chambres d’hôtels décrépis où l’on compte les cafards qui tournent et les mégots qui trainent. Ombres irréelles et silencieuses, présences fantomatiques au service des Maitres.
Beaucoup de femmes portent le voile, voile qui est l’objet de toutes leurs attentions. Dans le souk, il est – comme les longues robes noires qu’elles portent – soigneusement examiné, choisi. On tâte l’étoffe, on en discute avec les copines, on l’imagine sur soi, on l’essaye, on engage de longues palabres sur le prix.
Lorsqu’elles sont voilées, elles prennent très soin de leur regard. Leur choix se porte alors sur la plus belle des paires de lunettes noires. Les jeunes femmes ont souvent un maquillage discret.
Voilées intégralement, elles sortent dans la rue, le plus souvent avec leur homme. Elles le suivent systématiquement. Elles font impression, couvertes jusqu’au bout des doigts, toutes gantées de noir, chaussettes de même couleur sombre et chaussures basses. En les croisant, nos cœurs se serrent. Sur l’étoffe noire, les motifs sont souvent de jolies broderies blanc-crème très discrètes. Sous le tissu léger, on devine un corps aux formes invisibles, une vie emmurée, cadenassée.
Parfois, les enfants sont devant : habillés à l’européenne – un peu de ces sosies de petits garçons nickel, abonnés de la paroisse parisienne de Saint-Eugène Sainte-Cécile.
Au mari interpellé (souvent en short et cheveux gominés à l’italienne), il est demandé «Pourquoi caches-tu ainsi ta femme ?». La réponse-couperet tombe : «Mon Ami, que fais-tu si tu possèdes un gros diamant que tout le monde t’envie ? Tu le mets dans un coffre-fort, n’est-ce pas ? Pourquoi alors devrai-je le montrer à tous ?»
Millénaire d’oppression : la Beauté féminine garde un éclat sombre et sordide, celui de l’Objet, celui du Mutisme. La Femme demeure l’impossible Sujet rayonnant. Bouche invisible, interdite de mots, entièrement nimbée d’un soleil noir, elle gémit en silence sous l’étoffe feutrée, sous cette enveloppe qui couvre sa vie entière, de la tête aux pieds. Peut-être conte t-elle tout ceci à l’ombre de son mari et… au soleil de ses amitiés féminines ?
Cet article a été publié le Jeudi 19 août 2010 à 21:14 et a été classé dans Les Voyages de BiBi. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant à ce flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser une réponse, ou un trackback depuis votre propre site.