Je suis né un jour bleu

Par Vanessav

Dans "Je suis né un jour bleu, à l'intérieur du cerveau extraordinaire d'un savant autiste" de Daniel TAMMET, l'auteur déroule son histoire personnelle, de la petite enfance, au passage à l'école, l'adolescence et les premiers émois jusqu'à l'âge adulte, la voie vers une autonomie et une équilibre. Rien que cela c'est déjà fabuleux. Parce que bien-sûr Daniel TAMMET est atteint du spectre autistique et plus particulièrement du syndrome savant et que rarement les personnes atteintes arrivent à expliquer aux autres comment elles conçoivent le monde. Ainsi c'est tout une manière de pensée qui nous est offerte et aussi des conseils pour aider aux mieux ceux qui ont les mêmes "difficultés".
Chaque étape de vie est reprise sans impudeur, avec de la fraicheur et surtout cette lecture comportementale.
La naissance et ses premières années de vie où la sensibilité anormale aux stimulations et aux informations sensorielles le rend angoissé. Les pleurs dits de colique prennent une autre explication là: des réactions aux douleurs neurologiques. Et l'allaitement est avancé comme une aide pour les bébés autistes à développer des émotions rassurantes.
La première intégration dans un autre environnement que familial: celui de la crèche et des écoles. Il ne porte aucun intérêt aux autres enfants, seuls les chiffres, les nombres forment son environnement et les manuels de mathématiques se succèdent. Daniel ne comprend pas les métaphores, les expressions faciales, les conventions de discussion, il se choque aussi à l'espace de proximité, espace à ne pas franchir. "Écouter les autres n'est pas facile pour moi. Quand quelqu'un me parle, j'ai souvent le sentiment d'être en train de chercher une station de radio, et une grande partie du discours entre et sort de ma tête comme des parasites." Quelle est belle d'ailleurs cette image "j'allais leur toucher le cou avec mon index parce que j'aimais cette sensation chaude et rassurante."
Il ne se sent pas différent, puis cette impression arrive, c'est le début de la solitude et de la recherche des premiers amis. Avant il n'en avait pas conscience, entouré qu'il était de sa famille mais aussi des nombres, des calculs permettant de reprendre pied lors d'une angoisse. Ses ressentis sont aussi différents des autres, les cours mais aussi les films le laissent très émotifs. Pour s'adapter à sa "différence" sans être embêter, il a regardé les arbres pour se sentir disparaitre derrière leur verticalité et s'est créer son premier ami virtuel, une adulte avec une conversation d'adulte.
Daniel TAMMET offre tout le parcours de sa vie et certains passages sont "rassurants". Il a été entouré, diagnostiqué, préservé et aussi les personnes qu'il a rencontré lui ont offert un retour assez magnifique.
Il nous parle du quotidien de la famille, de ses parents et frères et sœurs, dans cette organisation, ses comportements demandant aménagement. La cohabitation difficile et les règles demandant des efforts à chacun, de son insensibilité au danger ou son incapacité à appeler à l'aide. Il ne nous épargne aucune angoisse et nous énonce les astuces trouvées: l'isolation dans sa chambre, les jeux communs alliant le dénombrement, l'ordre et les chiffres, par exemple.
Le premier amour est aussi une étape clef de son histoire. Et quel plaisir qu'elle se soit passée dans le respect: son homosexualité a été énoncé comme une évidence, pas un choix. Et son premier sujet d'amour a refusé en lui parlant avec sincérité sans fuite ni colère.
L'autisme provoque de nombreuses difficultés pour la vie de tous les jours. La question de l'autonomie, de la vie de couple, du travail. Daniel, n'étant jamais parti de chez lui et étant autonome juste dans la maison parentale, part en Lituanie 1 an pour son premier travail. Sachant que toute nouveauté dans le quotidien offre une angoisse, ce défi de vie montre toute la capacité et la volonté de Daniel.
L'auteur offre aussi l'après, ce début d'autonomie à long terme, sa vie de couple et ses ambitions.
Le livre présente en effet l'autisme asperger savant dans tout son diagnostique et ses études. Il ne s'agit pas d'une vulgarisation sur l'autisme mais plus une présentation scientifique de son esprit mathématique avec de nombreux exemples. Daniel TAMMET est atteint de synesthésie et a souffert d'épilepsie dans son enfance. Son cerveau offre des potentialités autres.
Il nous présente les tests, les expériences mathématiques sur les nombres premiers mais aussi sa vision des chiffres, comme des paysages numériques.
L'autisme et son mode opératoire semble plus abordable comme cette sensibilité aux détails quand nous avons une vue d'ensemble:
"Un tiens
vaut mieux que deux tu
tu l'auras
En lisant rapidement on ne remarque pas le second "tu" superflu."
Daniel TAMMET nous livre son ressentis face aux défis présentés par les scientifiques et analyse ses compétences et ses efforts. Énoncer 22 514 décimales du chiffre Pi dont voici le paysage, la forme spatiale et géométrique, la couleur peinte par l'auteur.
Ou apprendre une langue étrangère très compliquée, l'islandais, en une semaine. Cela vient après ces premières approches des langues en cours, en famille, entre amis ou lors de son séjour en Lutuanie. La synesthésie joue aussi sur les mots en leur offrant une couleur et une texture. Daniel TAMMET offre alors une description des langues, du langage et ses lien entre modèles visuels et structure phonétique, prouvant une certaine synesthésie latente de la langue: choisissez de ces formes laquelle peut s'appeler kiki et laquelle bouba... statistiquement chacun sera d'accord que le côté piquant phonétique renvoie aux piquants de la forme.
L'auteur offre aussi une ouverture sur les autres langues, réelles ou imaginaires, avec des ponts entre chaque. Des découvertes comme l'imaginaire espéranto ou le mänti (inventé par Daniel TAMMET).
Alors oui c'est une biographie, un essai scientifique sur l'autisme, la synesthésie, l'épilepsie et le syndrome savant mais c'est aussi un livre remarquable. Il est bien écrit, plein d'humour, de sagesse et de foi en l'homme. Il n'y a aucune indélicatesse et en plus de toutes ces références, d'autres s'égrènent au fil des pages, comme celles littéraires sur un contexte épileptiques des écrits de DOSTOIEVSKY et de Lewis CARROLL.
Daniel TAMMET a aussi été un cobaye scientifique, "volontaire", et pourtant il offre avec générosité son ressenti, ses émotions, son hypersensibilité aux sensations physiques et de quoi mieux le comprendre. Il est le sujet d'un documentaire que vous pouvez voir là. Son second livre propose même une explication plus aboutie des capacités du cerveau (de son cerveau) et des clefs pour améliorer les capacités du notre.
Ici vous trouverez un petit texte très incitant.