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Les anémones

Par Mafalda

Num_riser0023Tyvit ! Tyvit ! dit le vanneau en volant au-dessus de l'étang de la forêt. Voici venir Mlle Primevère ! Je le sens à mes pattes et mes ailes."
Quand l'herbe nouvelle, qui était dans la terre, entendit cela, elle se mit aussitôt à pousser, et joyeusement cligna de l'oeil vers les vieux brins de gazon jauni, car l'herbe est toujours prête à aller bon train.
Les anémones, entre les arbres, entendirent aussi ce que criait le vanneau, mais elles ne voulurent en aucune façon sortir de terre.
"Il ne faut pas se fier au vanneau, disaient-elles ; c'est un éventé sur qui l'on ne peut faire fond. Il arrive toujours en avance, et, tout de suite, se met à crier. Non, nous attendrons paisiblement que le sansonnet et l'hirondelle soient de retour. Ce sont personnes de sens sûr et solide, et qui sont entendues en affaires."
Les sansonnets arrivèrent. Ils se posèrent sur le perchoir de leur villa d'été, et examinèrent les alentours.
"Comme d'habitude, c'est trop tôt, dit M. Sansonnet. Il n'y a pas encore une feuille verte, pas une mouche, sauf une vieille mouche de l'an passé, toute coriace et qui ne vaut pas qu'on ouvre son bec."
Mme Sansonnet ne disait rien, mais elle non plus ne paraissait pas enchantée.
"Que ne sommes-nous restés dans notre confortable maison d'hiver, de l'autre côté des montagnes !" dit M. Sansonnet. Il était furieux que sa femme ne lui répondit pas, car il avait si froid, qu'il lui semblait qu'un bout de causette lui eût fait du bien.
"C'est ta faute, tout comme l'an passé ! Tu es toujours furieusement pressée d'aller à la campagne.
- Si je suis pressée, c'est que j'ai de bonnes raisons pour cela, répliqua Mme Sansonnet. Et tu devrais être honteux de ne pas le savoir, aussi vrai que tes oeufs sont aussi les miens.
- Miséricorde ! dit M. Sansonnet piqué. Quand m'a-t-on vu renier ma famille ? Tu prétends peut-être, par-dessus le marché, que je dois me mettre à chanter pour toi par ce froid.
- Oui, c'est ainsi !" dit Mme Sansonnet, sur un ton qui ne souffrait pas de réplique.
Il se mit donc à siffler du mieux qu'il savait. Mais à peine Mme Sansonnet eut-elle ouï les premières notes, qu'elle le frappa de ses ailes, et lui donna des coups de bec.Num_riser0022
"Tais-toi bien vite, lui dit-elle aigrement. Ton chant est si triste qu'il rend le coeur malade. Prends soin plutôt de faire éclore les anémones. Je crois qu'il en est temps."
Aussitôt que les anémones avaient entendu les premières notes du sansonnet, elles avaient avec prudence sorti leurs têtes hors de terre. Elles étaient si bien emmitouflées dans leurs châles verts que l'on ne pouvait les voir.
"Il est trop tôt, murmurèrent-ellesmurmurèrent-elles. Il est honteux de la part du sansonnet de nous tromper ainsi !"
Vint alors l'hirondelle.
"Tsi ! tsi ! pépia-t-elle, et de ses ailes larges et pointues elle fendait l'air. Allons, dehors, vous autres, niaises de fleurs ! Ne voyez-vous pas que Melle Primevère est de retour ?"
Mais les anémones étaient prudentes. Elles se contentèrent d'écarter un peu leurs châles verts, et de regarder autour d'elles.
"Une hirondelle ne fait pas le printemps. Où est ta femme ? dirent-elles. Tu n'es venue que pour voir si l'on pourrait vivre ici, et tu veux nous en imposer. Mais nous ne sommes pas si bêtes. Nous savons fort bien que, si nous prenons un bon rhume, notre affaire est faite.
"Quelles poltronnes !" dit l'hirondelle, et elle alla se poser sur la girouette du toit forestier, et considéra le pays.
Les anémones attendaient et continuaient à avoir froid. Quelques-unes, qui ne surent pas contenir leur impatience, quittèrent leurs châles au soleil. La nuit, la morsure du froid leur fut mortelle, et l'histoire de leur mort piteuse circula parmi les fleurs, et causa un grand émoi.
Enfin arriva Melle Primevère par une belle nuit douce et calme.
Il n'est personne qui sache comment elle est faite, car il n'est personne qui l'ait jamais vue. Mais tous languissent après elle, tous lui rendent grâce et la bénissent. Elle va à travers la forêt, touche les arbres et les fleurs qui, soudain, bourgeonnent et s'épanouissent. Elle va à travers les étables, délie les bêtes et leur donne la clef des champs. Elle va à travers les coeurs des hommes et les rend joyeux. A l'écolier le plus studieux elle rend malaisé de se tenir sage sur son banc, et elle lui fait faire une foule de fautes dans ses devoirs. Mais elle ne vient jamais tout d'un coup. Nuit après nuit, elle accomplit sa tâche, et elle vient d'abord pour ceux qui l'ont le plus longtemps désirée.
Il advint que la nuit même où elle arriva, elle passa près des anémones, qui, enveloppées de leurs châles, ne pouvaient plus les supporter.
Et une ! deux ! trois ! elles se dressèrent dans leurs robes blanches, repassées de frais, et elles avaient tant de jeunesse et de beauté que, de contentement, les sansonnets leur chantèrent leur plus jolie chanson.
"Ah ! comme il fait beau ! dirent les anémones. Comme le soleil est chaud. Comme les oiseaux chantent ! C'est mille fois plus beau que l'année dernière !"
Mais c'est ce qu'elles disaient tous les ans.
Maints et maintes furent heureux, quand ils virent les anémones écloses. Un garçonnet voulait qu'on lui donnât déjà vacances, et le hêtre était dans un extrême mécontentement.
"Ne viendras-tu pas bientôt à moi, Mademoiselle Primevère ? disait-il. Je suis pourtant un personnage d'une autre importance que ces niaises d'anémonse, et voici que je ne peux plus contenir mes bourgeons.
- J'arrive, j'arrive ! répondit Melle Primevère. Mais il te faut encore attendre un peu."
Et elle s'en alla plus loin dans la forêt.
A chacun de ses pas, de nouvelles anémones s'épanouissaient.
Elles se tenaient en foule pressée près des racines du hêtres, et, timides, penchaient leurs têtes vers la terre.
"Allons ! mettez-vous à l'aise, leur dit Mlle Primevère. Profitez du clair soleil ! Votre vie est courte ; il faut donc en jouir."
Elles firent donc comme on leur disait. Elles s'allongèrent, s'élargirent, étendirent leurs feuilles blanches en tous sens pour boire le plus possible les rayons du soleil. Elles faisaient se toucher leurs têtes, et Num_riser0025s'entrelacer leurs tiges.
"Je n'y peux plus tenir !" s'écria le hêtre. Et il fit éclore ses bourgeons. Les feuilles, une à une, sortirent de leur enveloppe verte, s'élargirent et s'agitèrent au vent. Toutes la verte couronne du feuillage s'arrondit comme une voûte imposante au-dessu du sol.
"Seigneur ! Est-ce déjà le soir ? dirent les anémones, en voyant que l'obscurité se faisait.
- Non ! c'est la mort, dit Mlle Primevère. Pour vous, c'est fait. Il en est ainsi pour ce qu'il y a de meilleur dans le monde, qui doit germer, fleurir et mourir.
- Mourir ? Déjà ? s'écrièrent quelques-unes des petites anémones.
Durant quelques jours encore elles récriminèrent et gémirent. Puis Mlle Primevère vint une dernière fois à travers la forêt. Elle avait encore à s'occuper des chênes, et de quelques autres vieux compères moroses.
"Maintenant, allez dormir dans la terre ! dit-elle aux anémones. L'année prochaine, je reviendrai et je vous éveillerai de nouveau à la vie."
Quelques-unes des anémones firent comme elle le leur disait. Mais d'autres se prirent à dresser la tête, et elles grandirent gauchement sur leur tige.
"C'est vous qui nous tuez !" criaient-elles aux feuilles du hêtre.
Mais le hêtre secoua ses longues branches et joncha le sol de ses faînes.
"Attendez l'automne, leur dit-il en riant. Alors vous verrez."
Les anémones ne purent comprendre ce qu'il voulait dire. Mais bientôt leur tige se brisa, et elles se flétrirent.
L'Eté avait passé. Le soleil était las de son ardent travail, et se couchait de bonne heure.
La nuit, l'Hiver se glissait parmi les arbres pour voir si son heure n'était pas encore venue. Quand il rencontrait une fleur, il l'embrassait en disant : "Comment, tu es donc encore là ? Je suis vraiment bien aise de te trouver !"
Mais la fleur frissonnait à ce baiser, et la claire goutte de rosée, suspendue à ses feuilles, se changeait sur-le-champ en glaçon.
De plus en plus, l'Hiver courait à travers la forêt. Il soufflait sur les feuilles qui jaunissaient et sur le sol qui durcissait.
Les anémones mêmes qui étaient sous la terre, attendant que Mlle Primevère revînt comme elle l'avait promis, sentaient ce souffle de l'Hiver.
"Et maintenant, mon temps est venu !" dit l'Hiver.
Pendant la nuit, il déchaîna la tempête.
Et la tempête exécuta ses ordres. En hurlant, elle parcourut la forêt, et les branches criaient et craquaient. Celles qui étaient un peu moisies tombaient à terre, et celles mêmes qui étaient en bon état devaient se tourner et se plier en tout sens.Num_riser0024
Toutes les feuilles effrayées tombaient sur le sol ; mais la tempête ne les y laissa pas en repos. Elle les prit par la taille, les faisait valser à travers champs, tantôt en l'air, tantôt dans la forêt. Elle les balayait en épais monceaux, puis les disséminait de tous côtés, comme elle en avait fantaisie.
Ce ne fut qu'au matin que, fatiguée, elle s'apaisa. Les feuilles se posèrent alors sur le sol, et s'étendirent comme un épais tapis sur toute la terre.
Les anémones sentirent que la température devenait d'une douce tiédeur.
Il y en eut une qui, prenant courage, regarda ce qui se passait sur la terre.
"Bonjour ! lui dirent les feuilles mortes. Il est un peu trop tôt, ma petite demoiselle ; puisse-t-il ne pas vous en cuire !
- Est-ce que Mlle Primevère n'est pas arrivée ? demanda l'anémone.
- Pas précisement, répondirent les feuilles du hêtre. C'est nous les feuilles du hêtre contre lesquelles vous vous fâchiez si fort cet été. Notre verdure s'en est allée, et nous ne sommes plus gaies ni fières. Nous avons bien profité de notre jeunesse et bien dansé. Et maintenant nous voilà gisantes ici, et nous servons d'abri contre le froid aux petites fleurs qui sont dans la terre.
- Et moi, je gèle avec mes branches nues," dit le hêtre en grondant.
Les anémones se racontèrent cela sous la terre, et trouvèrent que c'était très bien.
"Ces excellentes feuilles de hêtre ! disaient-elles.
- Tâchez donc de vous souvenir de cela, l'été prochain, quand je bourgeonnerai, leur dit le hêtre.
- Nous n'y manquerons point," murmurèrent-elles.
Mais tel promet qui ne tient mie.

Traduit de Carl EWALD, auteur danois, par M. PELLISSON


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