Magazine Culture
Mer Noire, 1905
Le Comité central de l'organisation social-démocrate de la flotte de la mer Noire entreprend des préparatifs pour un soulèvement général simultané sur l'ensemble des navires de la flotte, planifié pour l'automne.
La discipline de la marine est sévère et le moral bas à la suite des défaites humiliantes de la guerre russo-japonaise.
La révolte est déclenchée par le second du cuirassé, qui aurait menacé de représailles une partie de l'équipage qui refusait de manger de la viande avariée. Il aurait fait masser les mutins sur le pont avant, recouverts d'une bâche, des fusiliers marins les tenant en joue. L'équipage en aurait conclu qu'on se préparait à passer les mutins par les armes, et se serait interposé, suppliant les fusiliers de ne pas tirer.
Les mutins tuèrent un certain nombre de leurs officiers, y compris le commandant, Evgeny Golikov, le commandant en second, Ippolit Giliarovsky, et le médecin qui avait certifié la viande propre à la consommation. Les officiers survivants furent mis aux arrêts. Un marin, Grigori Vakoulinchouk, fut aussi tué pendant le combat.
Dans la soirée, le cuirassé mutiné revint à Odessa en arborant le drapeau rouge. Odessa était déjà sous le coup d'une grève générale et d'émeutes sporadiques, que l'arrivée du cuirassé attisa. Les représentants de la « commission de contact » des partis sociaux-démocrates ne parvinrent pas à convaincre l'équipage du cuirassé de débarquer des détachements armés et d'aider les ouvriers à se procurer des armes et à combattre. Tant les ouvriers que les marins étaient divisés.
Les funérailles de Vakoulinchouk se transformèrent en manifestation à caractère politique. La cavalerie à pied tira sur les manifestants massés sur l'escalier Richelieu. le Potemkine tira deux obus sur le quartier de la ville où se trouvait le quartier-général des forces tsaristes, tuant un civil et causant peu de dégâts.
L'armée impériale envoya des renforts à Odessa pour réprimer la révolte, et le gouvernement envoya deux escadrons de la flotte de la mer du Nord dans le but de reprendre ou de couler le Potemkine. L'équipage du torpilleur n°267, conserve du Potemkine, s'associa aux mutins.
Le Potemkine, flanqué du torpilleur n°267, tint tête à la flotte, naviguant à pleine vapeur droit vers le centre de la formation. La « bataille silencieuse » finit en victoire pour les mutins : les équipages des deux escadrons refusèrent d'ouvrir le feu, et l'un des cuirassés, le Georgiy Pobedonosets, rejoignit même les insurgés. Les escadrons retournèrent à Sébastopol, tandis que les trois navires rebelles se dirigeaient vers Odessa.
Le Comité central du parti social-démocrate russe essaya de soutenir la rébellion du Potemkine. Toutefois, lorsque Mikhail Vasiliev-Youzine arriva à Odessa à la demande de Lénine, le cuirassé avait déjà quitté le port et le Georgiy Pobedonosets s'était rendu aux autorités.
Le cuirassé, toujours flanqué du torpilleur n°267 se rendit en Roumanie, pour refaire le plein de charbon et de vivres. La Commission du navire envoya des appels solennels « à tout le monde civilisé » et « à toutes les puissances européennes », et proclama la résolution de l'équipage à combattre le régime tsariste. Le gouvernement roumain interdit que le cuirassé fût ravitaillé, et le cuirassé se dirigea ailleurs, où l'aide leur fut également refusée. Le Potemkine se rendit aux autorités roumaines. Certains des marins retournèrent en Russie en 1905, où ils furent arrêtés et jugés. L'essentiel de l'équipage rentra en Russie après la révolution Russe de février 1917.
En avril 1919, les interventionnistes le firent sauter à Sébastopol. Après la guerre civile, il fut renfloué, puis démantelé, les dégâts étant irréparables.
Lénine écrivit que la mutinerie du Potemkine avait une importance cruciale, en ceci qu'elle était la première tentative de créer l'embryon d'une armée révolutionnaire, tout particulièrement alors qu'une bonne partie de l'armée tsariste se rangeait aux côtés des révolutionnaires. Lénine appelait le Potemkine le « territoire invaincu de la Révolution ». La mutinerie eut une forte influence sur le processus de noyautage de l'armée et de la flotte russes par les révolutionnaires.