Je donnerai la parole à la maman en fin de billet mais permettez-moi d’abord de dire tout le bien que je pense de ce bouquin qui n’est pas un récit mais bien un roman. C’est sous cet angle qu’il faut le lire et avec beaucoup de distance, ce que n’ont sans doute pas pu faire les parents d’enfants handicapés, de toute évidence.
Pour le moment Jean-Louis Fournier m’a embarquée dans sa Bentley avant d’aller faire un tour supplémentaire en Camaro. Rien d’étonnant à ce que son fils Mathieu se soit pris pour une automobile.
Quand on n’en peut plus d’être malheureux on apprend à regarder les choses sous un autre angle. C’est une question de survie. Son ami et complice Pierre Desproges fut un excellent professeur. Le comique de situation est un puits sans fond. Je connais quelqu’un qui a bien rigolé à un enterrement quand un banc s’est écroulé sous le poids des bigotes …
Si Jean-Louis Fournier est capable de rire de ses fils qu’est-ce qui nous empêcherait de nous mettre au diapason ? Il coupe l’herbe sous le pied des moralistes en reconnaissant qu’il n’a pas été un très bon père et en regrettant de n’avoir pas pu être heureux ensemble.
On comprend qu’il n’ait pas été à l’aise dans cette vie taille de guêpe dont il ne pouvait pas être fier. Les pères bombent toujours le torse en parlant de leur progéniture et ils en veulent à leurs enfants quand leur réussite n’est pas à la hauteur de leurs propres espérances. Les mères sont plus naturelles. Elles décident une fois pour toutes à l’instant de la naissance que leur rejeton est le plus merveilleux au monde, ce qui les dispense de toute remise en question. Personne n’est dupe mais cela épargne les ressentiments.
Jean-Louis Fournier a de jolies formules fourbies avec un humour (très) caustique qui, comme il le dit avec justesse, n’empêche pas les sentiments. Cela adoucit peut-être juste un peu la culpabilité qui maraude les souvenirs : Mathieu et Thomas, des prénoms BCBG qui font un clin d’œil à la religion mais si on pensait s’attirer les grâces du Ciel on s’est un peu plantés ; l’album photo plat comme une limande qui n’étale pas leurs progrès mais une vie de souffrance qui finit en cul-de-sac … pour tout un chacun je dirais, c’est juste une question de temps …
Il égrène avec le sourire les embûches quotidiennes de sa paire d’oiseaux déplumés qui séjournent dans des instituts spécialisés aux jolis noms, empruntés à la botanique, comme on le fait pour les maisons de retraite. Cette manie bien française de ne pas appeler un chat un chat.
Noël et les anniversaires étaient des jours ordinaires dans cette famille qui ne faisait rien comme les autres. Tout le monde ne peut pas chanter sa différence comme Julien Clerc en s’affirmant chanceux de fêter deux fois chaque occasion. Chez les Fournier c’était doublement catastrophique et ce n’est pas le divorce qui fut le plus grave accident de parcours.
Ils ont vécu des points communs avec les gens « normaux » qui pourtant ne s’imaginent pas que la mort d’un enfant handicapé n’est pas moins triste qu’une autre perte. C’est même sans doute pire. Après avoir fait le deuil de l’enfant idéal et avoir accepté l’insupportable il leur faut entreprendre le deuil de la vie en raccourci à laquelle ils s’étaient pourtant résignés et qui leur est ravi par un destin sans
Que tous ceux qui auraient l’idée de se plaindre du volume des cartables de rentrée, de la longueur de la liste des fournitures, de leur poids sur le budget ou de la crise d’adolescence de leur marmaille lisent ce livre et encaissent la leçon d’absurdité qu’il nous assène avec le sourire !
La vie est un miracle, et on ne le sait pas.
Où on va, papa ? de Jean-Louis Fournier, éditions Stock, 2008, Prix Femina cette année-là
Pour lire le point de vue de la maman je recommande de consulter (après afin de ne pas perdre sa spontanéité de lecture) le site qu’elle a constitué en réaction à des rumeurs imbéciles.