“La prise de recul est souvent indispensable”, LibéLyon

Publié le 20 août 2010 par Unpeudetao

Souvenirs de journalistes (18) :
Pendant un mois, des journalistes de l'agglomération lyonnaise racontent sur LibéLyon un souvenir professionnel qui les a marqués. Aujourd'hui, Mouloud Aïssou, journaliste à France 3 :

Paradoxalement dans le reportage qui m’a le plus marqué, il n’y avait : ni mort d’homme, ni misère sociale ou humaine (quoi que…). C’est un sujet people et judiciaire de l’année 1995 qui reste gravé dans ma mémoire sélective de journaliste. Caméra à l’épaule, c’est au Tribunal de Lyon, dit des 24 colonnes, que j’étais chargé par mon rédacteur en chef de France3 Lyon, d’être en renfort pour filmer les prévenus qui arriveraient, forcément libres, en ce premier jour d’audience de « l’affaire Botton ».

En cette fraîche journée de février nous étions des dizaines de journalistes armés de caméras, d’appareils photos, de magnétophones, ou de simples stylos à attendre ces personnalités. Des confrères de la presse régionale, nationale, et internationale sont là pour couvrir « l’évènement ».

Au cœur de ce procès se mêlent l’ambition, la politique, les médias le pouvoir et l’argent.

Derrière des barrières de sécurité, de simples badauds sont également venus en nombre ; ils côtoient des militants présents pour soutenir Michel Noir, ancien maire de Lyon et ancien-ministre de la République, qui doit s’expliquer devant les juges. Avant l’arrivée des V.I.P., je vais à la rencontre de mes deux confrères parisiens de France 3 pour les saluer et me présenter afin que nous organisions des prises d’images complémentaires.

L’accueil d’Albert Ripamonti, grand reporter à la Rédaction Nationale, est amical et chaleureux, celui du caméraman-reporter qui l’accompagne beaucoup plus froid, voire condescendant à mon égard. A ma question de savoir comment l’on se répartit les zones de tournage entre l’intérieur et l’extérieur du tribunal, ce confrère (dont je tairai le nom par charité) me répond, accompagné d’un geste de la main : « Va dehors… Je reste ici ». A l’époque, en tant que journaliste CDD, je ne discute pas et vais exécuter ma mission.

Après quelques minutes, une voiture dépose Michel Noir. Un groupe compact de journalistes photographes et caméramen se précipite près du véhicule pour prendre les premières images, je décide de les prendre aussi, mais à distance. Avant que l’ancien ministre n’atteigne les marches du palais, c’est à reculons que les confrères évoluent sur le trottoir, l’un d’entre eux perd l’équilibre, tombe à la renverse et manque d’être piétiné si l’homme politique ne l’avait relevé en demandant un peu de calme et d’attention aux journalistes trop concentrés par leur travail. Calmement, à distance raisonnable, je suis la montée des marches de l’édile-prévenu qui se déroule sans dommage jusqu’au portique d’entrée de la salle des pas perdus.

A l’intérieur, la cohue est telle qu’un preneur de son occupé à tendre sa perche et son micro, pour glaner une éventuelle déclaration, se retrouve en passe d’être étranglé par le propre câble de son micro. Par réflexe de survie pour éloigner la marée humaine qui le compresse, il se sert de sa perche en donnant des coups, l’un d’eux atteint l’ancien ministre, c’en est trop pour les policiers chargés de la protection qui en moins de deux secondes font valdinguer beaucoup de reporters trop proches de Michel Noir qui peut ainsi rejoindre sans autre encombre la salle d’audience.

Dans la bousculade mon confère parisien s’est retrouvé à ne pouvoir filmer que le plafond du tribunal qui malgré son style gréco-romain n’a pas l’intérêt de celui de la chapelle Sixtine. Albert Ripamonti qui doit faire un direct pour la rédaction nationale visionne avec inquiétude les images inutilisables de son caméraman reporter, ce dernier le rassure en lui expliquant : « Mouloud a tourné à l’extérieur, il y aura forcément ce qu’il faut pour le journal ». En moins d’un quart d’heure, je me suis fait un nouvel ami devenu tout sourires. De ce reportage j’ai tiré plusieurs expériences professionnelles et humaines, par exemple que lors d’un reportage, la prise de recul, physique ou intellectuelle, est souvent indispensable pour bien faire son métier avec toujours une bonne dose de modestie. C’est sans doute la raison qui a rendu si présent ce souvenir dans ma mémoire.

Mouloud AÏSSOU.

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