Le Conseil fédéral a publié ce matin un communiqué ici à la suite de sa "retraite" d'hier, pendant laquelle il a été question des relations futures entre l'Union européenne et la Suisse.
La position du gouvernement n'est pas claire. Et pour cause : nous avons eu droit à un véritable numéro de duettistes, tout sourire, de la part des deux ministres qui s'occupent du dossier, Doris Leuthard, Ministre de l'économie, et Micheline Calmy-Rey, Ministre des affaires étrangères [la photo ci-contre provient d'ici].
Cela donne le dialogue suivant, qui résulte du découpage du communiqué, en attribuant à chacune la part qui lui revient vraisemblablement :
- Doris : " Le Conseil fédéral est convaincu que, d'un point de vue de politique étrangère, la voie bilatérale demeure praticable et qu'elle représente actuellement l'instrument de politique européenne bénéficiant du plus grand soutien sur le plan interne."
- Micheline : " Ceci étant, il devient plus difficile de poursuivre sur cette voie, l'UE tendant de plus en plus à considérer que les accords avec la Suisse doivent être basés sur la reprise sans exception de son droit interne pertinent [sic] ainsi que de ses développements."
- Doris : "La recherche de solutions s'écartant de ce droit fait donc l'objet d'âpres négociations bilatérales."
- Micheline : "Il n'en demeure pas moins que, selon le Conseil fédéral, la Suisse et l'UE ont un intérêt commun à trouver des solutions au moyen d'accords spécifiques dans de nombreux domaines en raison des relations particulièrement étroites qu'elles entretiennent."
- Doris : "Aux yeux du Conseil fédéral, la voie bilatérale demeure donc actuellement celle qui convient le mieux..."
- Micheline : "...pour assurer l'indispensable convergence des intérêts des deux parties."
- Doris : "La Suisse exclut en particulier une reprise automatique des nouveaux développements du droit de l'UE dans les domaines régis par les accords."
- Micheline : "Des mécanismes institutionnels devraient faciliter la mise en oeuvre et le développement des accords."
- Doris : "L'équilibre des intérêts des deux parties doit être préservé, notamment en évitant de nouveaux obstacles entravant l'accès aux marchés et en garantissant des conditions-cadres équivalentes pour les deux partenaires."
- Micheline : "La Suisse doit contribuer à résoudre les défis communs en Europe."
On retrouve cette ambiguïté, chacune tenant son discours en feignant de ne pas écouter l'autre, tout en le relayant, dans le compte-rendu que font les agences de la conférence de presse, faite ce matin par les deux ministres, tel qu'il est reproduit ce jour par les médias en ligne ici.
Pour Doris il s'agit de poursuivre la voie bilatérale, pas question d'EEE, ni d'accord-cadre :
""EEE light" ou "accord-cadre" sont autant de concepts largement discutés ces derniers temps mais que le gouvernement n'utilise pas, et ce à dessein, a déclaré la présidente de la Confédération Doris Leuthard jeudi devant la presse, au lendemain de la séance spéciale du gouvernement sur la politique européenne."
Pour Micheline il s'agit de défendre les intérêts de la Suisse, qu'importe le moyen, rien n'est exclu, pas même, implicitement, l'adhésion à terme :
"Car la question n'est pas de savoir si la Suisse doit adhérer à l'Union européenne (UE), à l'Espace économique européen (EEE) ou si elle doit négocier un accord-cadre avec Bruxelles, mais comment elle peut défendre au mieux ses intérêts, a renchéri la ministre des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey."
Doris : "Nous voulons agir et pas seulement reprendre l'acquis communautaire."[citation]
Micheline : "Le Conseil fédéral souhaite trouver une solution qui permette à Berne de disposer d'un droit de codécision et de participation jugé suffisant et qui s'appliquerait à l'ensemble des accords."[style indirect]
Doris : "Il est en particulier exclu pour le gouvernement de reprendre automatiquement le droit européen, ni de devoir se soumettre à une nouvelle clause guillotine (la dénonciation d'un accord entraînerait celle des autres)."[style indirect]
Micheline : "Il y a peut-être une solution entre les deux [entre l'adhésion à l'EEE et l'accord-cadre]"[citation]. "Le statu quo n'est pas réaliste [...], le bilatéralisme n'est pas statique."[style indirect]
Doris : "La voie bilatérale laisse assez de marge de manoeuvre."
Cette ambiguïté n'est-elle pas destinée à noyer le poisson ? Quand il y a deux comparses, il y a toujours un gentil et un méchant. Qui est la gentille ? Doris ou Micheline ? Qui est la méchante ? Micheline ou Doris ?
Pendant ce temps L'Hebdo remet pour la nième fois l'ouvrage sur le métier. Cette semaine il fait appel ici à Thomas Cottier, professeur de droit européen à l'Université de Berne, mais aussi "ancien négociateur suisse à l'époque de l'Espace économique européen (EEE)", rejeté par le peuple suisse en 1992.
Pour ce digne professeur, d'un an mon aîné, la voie bilatérale conduit comme de juste à une impasse, "à terme". On connaît la rengaine... C'est celle de cette année, que l'on chante sur tous les tons.
Le plus beau est que cet indéfectible suppôt de l'adhésion à l'UE ose dire : "Le fonctionnement de l'UE est comme calqué sur le modèle suisse" ! Il porte pourtant des lunettes, qui ont l'air de ne lui être d'aucune utilité...
Rappelons à ce digne professeur que l'UE fonctionne sans demander l'avis des peuples, sans leur permettre d'avoir le dernier mot, bref sans démocratie directe (ou rarement puisqu'elle lui est plutôt contraire, ou sinon en la dévoyant), souvent même sans démocratie indirecte, par voie d'autorité de fonctionnaires non élus et non représentatifs, qui appliquent le principe de subsidiarité à leur manière, c'est-à-dire à l'envers, du haut vers le bas.
C'est bien d'ailleurs où le bât blesse tous ces braves gens : le peuple ne les écoute pas, il a compris que l'UE est un piège et il n'en veut pas. Ces braves gens le savent. Alors ils le cajolent par devant, pour mieux le tromper par derrière.
L'aveu ? Il se trouve dans cette petite phrase du communiqué du Conseil fédéral : "La voie bilatérale [...] représente actuellement [c'est moi qui souligne] l'instrument de politique européenne bénéficiant du plus grand soutien sur le plan interne."
Ces braves gens se font forts de contourner l'obstacle plutôt que de l'attaquer de front. Georges Clémenceau disait : "Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission." A la fin de son communiqué d'aujourd'hui le Conseil fédéral a marqué sa volonté d'enterrer la voie bilatérale en approuvant la création d'un groupe de travail, où siègeront des fonctionnaires acquis comme Thomas Cottier à l'adhésion :
"Le 19 juillet 2010, la présidente de la Confédération Doris Leuthard et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso sont convenus à Bruxelles de mettre en place un groupe de travail commun chargé d'ébaucher des propositions de solution en réponse aux questions institutionnelles. Lors de sa séance spéciale d'hier, le Conseil fédéral a décidé que des représentants des départements fédéraux siégeront dans ce groupe de travail."
Francis Richard
L'internaute peut écouter ici sur le site de Radio Silence mon émission sur le même thème.