"C'était le décor inoubliable de “Mort à Venise”, le chef d'œuvre de Luchino Visconti. Le Grand Hôtel des Bains vient d'être vendu, dans l'indifférence générale, à un promoteur immobilier qui compte le transformer en appartements de luxe.
La nouvelle est passée inaperçue dans l’Italie de Berlusconi. Cinéphiles, amoureux de littérature et de Venise doivent se préparer au choc : le Grand Hôtel des Bains du Lido n’est plus. Non, il n’a pas brûlé. Non, la lagune ne l’a pas enseveli. Un promoteur immobilier, EstCapital, le transforme en appartements de luxe. On aurait presque préféré qu’une catastrophe naturelle emporte ce joyau Art nouveau dans lequel on rêvait un jour de séjourner, comme Dick Bogarde dans Mort à Venise, de Luchino Visconti, adaptation du roman de Thomas Mann. Il aura fallu qu’un promoteur de Padoue le « disneylandise » à tout jamais.
EstCapital s’est spécialisé dans la « restructuration » des bijoux architecturaux de la Sérénissime. La mairie de Venise nous confie lui avoir aussi cédé l’hôpital de la Mer du Lido, superbe bâtisse Liberty, pour en faire un spa de luxe, ainsi que les palazzi Diedo, Gradenigo et San Cassiano. La population locale se raréfiant et les impôts, fraude fiscale aidant, se faisant rarissimes, les caisses de l’ancienne République des mers sont à sec. Alors Venise brade ce que nous croyions naïvement appartenir au patrimoine de l’humanité. « Ils s’engagent à restaurer les bâtiments souvent en ruine et, en échange, ils peuvent changer leur affectation », dit-on à la mairie.
Nous devrions sans doute être reconnaissants. Le 1er septembre prochain, la Mostra de Venise, plus ancien festival de cinéma au monde, fondé en 1932, ne sera plus la même. On se souvient d’Antonioni et d’Altman sirotant leur Campari à la terrasse de l’Hôtel des Bains. Où donc leurs fantômes vont-ils pouvoir rôder ?"