Les entretiens infinis
Je commence ici la publication d’un nouveau type d’articles : j’ai choisi des les appeler entretiens infinis pour dire leur ouverture vers l’avant, leur pacte avec le temps, leur caractère d’entretiens en train de se faire, non fermés, non définitifs, qui peuvent changer de cours à tout moment, revenir en arrière, qui peuvent même être amendés, corrigés a posteriori, qui se liront dans le fil de leur constitution, « au fur » (expression de Patrick Beurard Valdoye qui laisse souvent tomber le mesure…).
Cette série sera inaugurée par un travail que je fais avec Patrick Beurard-Valdoye, précisément, autour de ses livres. L’histoire doit être relatée, c’est la suivante.
Il y a quelques semaines, j’attrape presqu’au hasard un livre parmi les centaines qui m’entourent. Dans ce livre, Poésies : variations, huit études sur la poésie contemporaine, vol.3, Prétexte éditeur, 2005, mes yeux tombent sur un article de Pierre Parlant, consacré à Patrick Beurard-Valdoye. Je me mets à souligner avec ardeur les commentaires de Pierre Parlant : il est question de « profusion insistante du réel », de « l’effraction inhérente à toute venue du sens », de « flux du dire et ses méandres ». Bref, de quoi me conduire vers l’extrait de Le Narré des îles Schwitters donné en diptyque avec l’étude. Lequel extrait s’intitule « Comment Arno Schmidt a rencontré Kurt Schwitters ». Si j’ajoute que comme il arrive souvent aussi, à intervalles réguliers dans le for intérieur, ce nom de Beurard-Valdoye « clignotait », lançait son appel, disant « va donc voir de ce côté-là », le dispositif était en place, le désir de me procurer le Narré, clair.
Or, et là il me faut promettre aux lecteurs que je ne dis que l’entière vérité, le lendemain même du jour où j’avais pris cette décision « se procurer le Narré », arrive par la poste un gros paquet tamponné Al Dante et contenant… Le Narré des îles Schwitters, lequel venait seulement de paraître à la suite de divers aléas….
La suite : toutes affaires cessantes lecture de ce livre, rédaction d’une substantielle note, qui suscite un contact immédiat avec l’auteur. Et l’occasion pour moi de lui poser quelques questions. « Quelques » questions, pensais-je avant de me rendre compte de la profusion non plus du réel cette fois, mais des interrogations et désirs d’éclaircissements qui naissaient au sein même du dialogue. D’abord autour du seul Narré, mais très vite autour des autres livres, car Patrick Beurard-Valdoye travaille en fait sur un cycle, le cycle des exils, même si chaque livre peut parfaitement être abordé comme une unité indépendante.
Je vais donc tenter de rendre compte de la richesse de ces échanges, au fur et à mesure qu’ils se développeront. Confortée dans cette idée et cette nécessité par un second dialogue, tout aussi fécond et foisonnant, instauré presque dans le même temps autour d’une œuvre complètement autre (encore qu’il y ait selon moi des points communs), celle d’Auxeméry qui a publié tout récemment un nouvel opus Les Animaux industrieux chez Flammarion, Auxeméry qui est aussi le traducteur en français de l’américain Charles Olson (mais pas que de lui) et qui se prête avec patience (mais je crois aussi intérêt !) à l’incessant jeu de mes questions.
Florence Trocmé