Depuis lundi, l'atmosphère a semble-t-il changé en Sarkofrance. Les remontrances, les excuses, les explications succèdent aux
surenchères. Brice Hortefeux a taclé son collègue Christian Estrosi. Eric Besson est venu défendre son gouvernement avec les mêmes arguments qu'aux pires moments du débat sur l'identité
nationale. Et Sarkozy, Baroin et Lagarde sont rattrapés par les déficits publics et le chantage des agences de notation.
A l'étranger, la France fait honte...
La presse internationale continue de sabrer les dérives sécuritaires actuelles pratiquées en Sarkofrance. Après le New-York Times, voici son confrère
britannique, le Times, qui a livré un article, en
couverture de son édition du 17 août 2010, d'une violence inhabituelle : « En expulsant les Roms en masse, Nicolas Sarkozy rappelle les souvenirs de la
Gestapo. » Et le journal de continuer avec le témoignage d'une famille Rom. La destruction
de camps de Roms est l'occupation médiatique que le gouvernement a choisi de livrer à
l'opinion française depuis la réunion élyséenne du 28 juillet dernier n'en finit pas d'alimenter
les polémiques. Quelques 700 Roms sont censés être expulsés d'ici la fin du mois d'août,
a rappelé Brice Hortefeux mardi 17 août. Les vols de retour, à destination de la Roumanie et la
Bulgarie, seront effectués par des « compagnies privées depuis des aéroports publics » les 19 et 26 août prochain. Un troisième vol est prévu pour « fin septembre ». Mercredi matin, Viviane Reding, la commissaire européenne
chargée de la Justice et des droits fondamentaux des citoyens européens, a sommé la France de « respecter les règles concernant la liberté de circulation et la liberté d'établissement »
des citoyens européens,
Le ministre de l'identité nationale a interrompu ses vacances pour répondre aux critiques. Sur l'antenne
de RTL, il était tantôt fu-rieux (presque autant que les familles expulsées), tantôt
gêné.
« Les personnes sont interpellées, leur identité est vérifiée, on leur propose de l'argent pour retourner dans leur pays d'origine : j'aimerais bien qu'on m'explique quel est le lien avec les rafles de la Seconde Guerre mondiale. »
Rappelons l'une des définitions du mot rafle
: « arrestation en masse d'une partie ciblée d'une population, faite au dernier moment, puis organisée par la police». En
février 2009, Eric Besson avait eu la même réaction contre le film Welcome et certains propos de son auteur, Philippe Lioret, sur le même thème : « Suggérer que la police française,
c’est la police de Vichy, que les Afghans sont traqués, qu’ils sont l’objet de rafles, etc., c’est insupportable ». Rappelons enfin que cette destruction de campements de Roms répond
malheureusement tout à fait aux comparaisons évoquées : la destruction des campements voire l'expulsion hors de France de certains de leurs occupants n'a aucun motif raisonnable autre que de se
débarrasser d'occupants gênants : ils sont tous citoyens européens, et la France ne procure pas d'aires d'accueil en nombre suffisantes.
Eric Besson a également réitéré ses doutes quant à la possibilité de déchéance de nationalité en cas de
polygamie. Il paraît que cette posture clémente est une façon, pour le ministre, d'élargir le spectre électoral du camp sarkozyste vers le centre... On croit rêver.
... ou inquiète
Mardi, une fameuse agence de notation menace, à mots couverts, de dégrader la note des emprunts français : la France, comme l'Allemagne,
l'Allemagne, les États-Unis et le Royaume uni, s'est rapprochée de la zone de dégradation. A l'Elysée, on s'inquiète. Nicolas Sarkozy a donc convoqué urgemment une réunion de travail, pour
vendredi 20 août, en plein été, avec ses ministres Fillon, Baroin (Budget) et Lagarde (Economie). Le Figaro qui, le premier, a annoncé ce rendez-vous imprévu, ne mentionne pas la pression
des marchés. Officiellement, la
réunion durera quelques heures, et sera consacrée à « la croissance et aux déficits publics » et à la préparation de la rentrée sociale. Officieusement, l'exécutif stresse d'une
dégradation de la note, qui signifierait un renchérissement faramineux des agios que le gouvernement français paye chaque année sur une dette publique qui a dépassé les 1 500 milliards d'euros
depuis cette année.
Les prochaines mesures de rigueur annoncées sont déjà calibrées : une suppression plus forte que prévu des niches fiscales,
c'est-à-dire une augmentation des impôts, pour atteindre 8,5 à 10 milliards d'euros annuels d'économies au lieu des 5 milliards annoncés en début d'année. Comme par hasard, le
gouvernement confirme enfin tout haut, par Figaro
interposé, ce que tout le monde savait depuis longtemps ; les premières mesures de rigueur (non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique, baisse du budget de
la moitié des ministères, gel des fonds accordés aux collectivités locales) sont insuffisantes : « Mais cette potion, si amère soit-elle, ne suffira pas à faire passer le déficit public de 8%
en 2010 à 6% en 2011 et 3% en 2013. » Dans le détail, on promet déjà un coup de rabot sur la fiscalité écologique.
En France, les ministres se
taclent
A peine revenu d'une courte pause de 3 jours, Brice Hortefeux s'est retrouvé devant les caméras de télévisions et la presse écrite,
mardi à Toulon (Var). Prenant tout le monde à contre-pied, le voici qui a annoncé la
suppression des Unités territoriales de quartier (UTeQ), créées par Michèle Alliot-Marie début 2009. Sa prédécesseur en souhaitait 100. La rigueur budgétaire passa par là, et à peine une grosse
trentaine furent créées.
Les UTeQ seront remplacées par des « brigades spéciales de terrain », des
équipes plus mobiles et plus équipées que les différentes versions de police de proximité. Brice Hortefeux n'a rien compris, ou préfère jouer le spectacle contre l'efficacité : aux élus, y
compris à Grenoble ou à Bordeaux, et aux syndicalistes policiers qui réclamaient davantage d'ancrage local et de maillage géographique, pour mieux connaître, anticiper et prévenir , le ministre
de l'intérieur semble choisir la voie inverse : des équipes de choc,
mobiles et aux périmètres plus vastes que les quartiers d'antan.
A Toulon, Hortefeux est allé
jusqu'à répéter quasiment mot pour mot les propos de Sarkozy en 2002, quand ce dernier était lui-même ministre de l'intérieur et fustigeait la police de proximité. On a les modèles qu'on
veut, mais l'intelligence qu'on peut.
« Lorsque je dis " brigade spéciale ", d’abord, il faut entendre "unité d’intervention spécifiquement dédiée à la lutte contre la délinquance". Pour les hommes et les femmes qui composeront ces brigades, j’ai voulu des missions extrêmement précises et ciblées.
Les choses sont claires : ces policiers ne sont pas des agents d’ambiance ou des éducateurs sociaux. Ce ne sont pas des grands frères inopérants en chemisette qui font partie du paysage. Ce sont des fonctionnaires expérimentés qui travaillent dans une tenue d’intervention adaptée à leur mission. »
L'idée a dû germer ce weekend dans l'esprit du ministre, à moins qu'il ne
s'agissait que de trouver une nouvelle effet d'annonce pour son Tour de France médiatique. Le 8 août, il s'était déplacé à Perpignan pour annoncer la création de la 35ème UTeQ de France. Moins de 10 jours plus tard, les UTeQ sont supprimées...
Mais la vraie information était ailleurs : le débat sécuritaire, comme hier
celui sur l'identité nationale, dérape. Les dernières idées de Christian Estrosi ont été très mal perçues, à gauche comme à droite. Brice Hortefeux puis Luc Chatel ont carrément taclé
leur collègue de l'industrie : « les maires ont été élus par nos
concitoyens, ils sont donc des partenaires naturels de l'Etat avec qui s'engage un dialogue respectueux» a déclaré le premier, mardi dernier. « L'idée d'un pacte entre les communes et
l'Etat, en matière de sécurité, est nécessaire : simplement, elle doit se faire sous forme d'un contrat, plus que sous forme de sanction » a complété le second. Estrosi lui-même a fait
semblant de reculer... sur son blog : « Il n’a évidemment
jamais été dans mon intention de punir les maires! J’ai simplement et précisément proposé au débat des pénalités aux municipalités qui refusent d’appliquer la loi en se détournant des moyens mis
à leur disposition par le Gouvernement pour lutter contre la délinquance. »
En France, les affaires reprennent
Accusé de violation du secret bancaire et d'affabulations, Mediapart a répliqué dès mardi matin.
Edwy Plenel, le patron du site, avait déjà traité Nicolas Sarkozy de « délinquant
constitutionnel », l'accusant, le 11 août dernier, d'avoir «
commis une faute contre la nation, la république et le peuple tels qu'ils sont définis par notre loi fondamentale » avec ses propositions de déchéance de la nationalité pour des
Français d'origine étrangère. Après « voyou de la République » asséné par l'hebdomadaire Marianne - contre lequel Sarkozy a finalement renoncé à porter plainte
-, le « racisme d'Etat » balancé par Eva Joly, puis le parallèle avec la Gestapo énoncé par le quotidien conservateur britannique Times, Nicolas Sarkozy est bien habillé pour la rentrée
! Surtout, Mediapart persiste et signe : il a bien eu copie
des documents bancaires justifiant de l'emprunt réalisé par Eric Woerth début 2008 pour sa campagne municipale : il suffisait de demander - légalement - à la Commission des comptes de campagne...
Eric Woerth a bien sous-évalué ses revenus pour obtenir un prêt, somme toute modeste, pour sa campagne de réélection à la mairie de Chantilly...
Mardi 17 août, la cour d'appel de Versailles devait se pencher sur l'une des suites judiciaires à
donner à l'affaire Bettencourt : elle ne se prononçait évidemment pas sur les soupçons de financement politique illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, ni le conflit d'intérêts d'Eric
Woerth. Sur ces deux points, le procureur Philippe Courroye poursuit ses enquêtes préliminaires. Il décidera tout seul (sic !) quand ces dernières seront terminées, et si elles doivent déboucher
sur une véritable instruction judiciaire ou pas un classement sans suite. La cour d'appel de Versailles devait, elle, simplement trancher sur un recours de Maître George Kiejman, avocat de Liliane
Bettencourt, contre l'utilisation des enregistrements pirates dans les investigations de la présidente de la 15e chambre correctionnelle du tribunal
de Nanterre (Hauts-de-Seine), Isabelle Prévost-Desprez, en charge de l'affaire Banier/Bettencourt. Après avoir écouté les parties en présence, elle a reporté au 14
septembre sa décision.
Ces enregistrements pirates sont doublement dangereux : dans cette dernière affaire, ils légitiment
assurément la thèse selon laquelle Liliane Bettencourt est physiquement fragile. Mais surtout, ils sont à l'origine des tourments d'Eric Woerth et de Nicolas Sarkozy depuis leur révélation le 16
juin dernier : fraude fiscale, conflit d'intérêt, intervention de l'Elysée, financement politique occulte, etc.. Tout y est. Dans un premier temps, le camp Woerth/Sarkozy avait tenté de
discréditer la valeur de ces enregistrements auprès des médias et de l'opinion. Puis, la police les authentifia, et, pire, la juge Prévost-Desprez les demanda comme pièces au dossier. Une
première fois déjà, la Cour d'appel de Versailles, avait donné raison à la juge Prévost-Desprez. Mardi devant la Cour, M°Kiejman a sorti tous les arguments pour
faire invalider les enregistrements : la juge ne serait pas indépendante (puisqu'elle a été intime avec le procureur), et surtout, ces enregistrements ont déclenché une telle « crise
de régime » que sa propre affaire sur le présupposé abus de faiblesse contre sa client ne saurait être jugé sereinement : « L'affaire Bettencourt ne peut être dissociée de l'affaire
Woerth, elle-même devenue affaire Sarkozy et, au-delà, celle d'une prétendue crise de régime. »
Avec un débat qui dérape, et
un nouveau tour de vis budgétaire à préparer dans l'urgence, les vacances se terminent plus tôt que prévu pour nombre de membres du gouvernement.
Il n'y en a qu'un qui reste en vacances, dans le Var, jusqu'à la dernière minute.
Devinez qui ?
Sarkofrance
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