La mort vous va si bien
Pierre Desproges disait : « On doit rire de tout : de la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? ». Voilà qui pourrait servir d’exergue au spectacle imaginé par Olivier Benaddi et ses acolytes. Prenant le contre-pied des comédies à la mode si souvent insignifiantes, ces jeunes comédiens ont conçu un spectacle qui crée la surprise.
On va tous mourir entame une deuxième carrière. D’abord programmé aux Enfants terribles dans le vingtième, le spectacle est désormais à l’affiche au Théâtre de Nesle, un écrin niché entre la rue Dauphine et la rue Mazarine. La « grande » salle du lieu est une cave voûtée du xviie siècle – un endroit tellement « rive gauche » qu’on n’arrive pas à y croire. Elle servira pour quelques semaines de cadre à cette création originale.
Sur scène, trois jeunes gens et trois jeunes filles pour une pièce à sketchs sur le thème de la mort. Hôpital, pompes funèbres, le décor est planté : les lieux où la mort rôde. Le principe même de l’humour noir est d’évoquer avec distance et amusement les choses les plus horribles. Ici, on y va franchement, sans épargner l’enfance (une petite fille qui vient de perdre sa mère dans un accident de voiture et qui demande sans cesse : « Elle est où, maman ? » à un chirurgien qui perd les pédales) ou le handicap.
C’est certes macabre mais jamais sinistre. Ce qui frappe d’abord, c’est le contraste entre la noirceur du propos et l’énergie juvénile des comédiens. Même si certains sont encore un peu inexpérimentés, ils font passer leur message avec conviction. Le spectacle, tout en mouvement, laisse une large place à la chanson et à des ébauches de chorégraphies, qui peut-être (concession à l’air du temps ?) enjolivent un peu trop le propos.
Pourquoi se délecte-t-on de ces horreurs ? se demande-t-on à certains moments. Mystérieux échange du plaisir humoristique. Cela tient aussi au talent du metteur en scène, qui a su introduire au bon moment une touche de poésie. Certaines parodies sont très réussies, comme celle de l’émission de radio nocturne « Au bord du gouffre » qui « aide les gens à faire le premier pas ». Ou celle du spectacle de marionnettes, qui fait passer un vent de folie aussi politiquement incorrect qu’irrésistible.
On pense bien sûr à l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton, qui a d’ailleurs été mise en scène à Paris au début de l’année par Marc Goldberg (voir les Trois Coups, 14 mars 2008). La littérature en moins, pourra-t-on regretter, mais l’énergie en plus. Le pape du surréalisme pensait que l’humour noir pouvait seul jouer le rôle de soupape au malheur des temps. Le sien, de malheur, c’était la guerre de 1914, puis la Seconde, pendant laquelle il publia son anthologie, aussitôt censurée. Notre malheur à nous est-il moindre ? Sans doute. Mais il est bien réel, et la pièce s’en fait le reflet. Le final, figurant la mort du spectacle lui-même, est assez brillant et laisse espérer une renaissance en forme de suite : un spectacle bis, plus noir encore ?
Fabrice Chêne
Les Trois Coups