TGV Bordeaux-Paris, 17 août. Je lis le beau livre de Paul Veyne sur Sénèque et les Stoïciens. En face, une lolita de vingt-cinq printemps feuillette Le monde de Sophie de Jostein Gaardner, (orthographe peu sûre). Je me dis : "Tiens ! nous sommes au moins trois dans la rame à ne pas lire les conneries de Marc Lévy, trois because ma compagne m'accompagne. Et puis, la donzelle s'intéresse peut-être à la philosophie. Je la regarde. Elle ferme les yeux, les ouvre en s'étonnant d'être là, rajuste son haut qui découvre ses épaules, contemple longuement son iphone, tripote une mèche et joue avec ses pieds nus dont un orteil n'a plus de vernis. De temps en temps elle me regarde, lit deux lignes et referme les yeux. Puis elle boit une brève gorgée d'eau et, tout à coup, sort de son sac de voyage un oreiller qu'elle pose sur sa poitrine. Mais elle ne dort pas, non. Elle a encore beaucoup à faire ave ses cheveux qu'elle détache pour les rattacher dans la minute qui suit. Et elle reconsulte son iphone et bâille. Indéniablement la nymphe est fatiguée. Le monde de Sophie n'avance guère. Mon Sénèque pas plus. Faut dire que les Stoïciens n'étaient pas marrants marrants avec leur diktat de la raison obéissant lui-même au diktat de la nature. De surcroît, juste à côté, un globe-trotter polyglotte cause avec une globe-trotteuse polyglotte portant chapeau haut. A eux deux, ils disent parler une douzaine de langues dont le russe et l'arabe. Alors je dodeline et ma compagne aussi dodeline sur La baie d'Alger de Louis Gardel où on croise Albert Camus. Et le train arrive enfin à Montparnasse. La lolita s'en va toute seule avec son sac rouge. Les deux voyageurs intercontinentaux tracent des plans sur la soirée moins improbable que la comète et nous, dans un taxi, nous regardons défiler Paris jusqu'aux Buttes-Chaumont où nous sommes dans notre appartement.