Lettre ouverte au ministre de l'Intérieur : Damien CAREME, maire de Grande-Synthe (PS) : "Je ne répondrai pas à Hortefeux".

Publié le 17 août 2010 par Letombe

Dans une lettre ouverte au ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, Damien Carème, maire (PS) de Grande-Synthe et vice-président de la communauté urbaine de Dunkerque, explique pourquoi il ne répondra pas à la demande du ministre aux maires de lui adresser le bilan de leurs actions sur le plan de la sécurité. Il dénonce l'adoption par le ministre de la « rhétorique du Front national » qui « ne nous aidera en rien à résoudre le problème de la sécurité ».

"Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, me demande de lui adresser, pour le 15 septembre, un bilan des actions de terrain engagées dans la commune de Grande-Synthe, dont je suis le maire, pour prévenir la délinquance, notamment des mineurs. Toutes les communes où la loi a rendu obligatoire la création d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance sont concernées, soit les villes de plus de 10 000 habitants et celles présentant « des caractéristiques de délinquance ».

Au risque de vous décevoir, M. Hortefeux, je ne vais pas remplir le tableau d'analyse que vous m'avez envoyé. Je vous propose en revanche de vous expliquer pourquoi j'ai pris cette décision....

Jamais il ne me viendrait à l'esprit de nier que la sécurité est une priorité. Mais jamais non plus il ne m'était venu à l'esprit que la politique de sécurité repose sur les seules épaules des maires.

Jusqu'à il y a peu, je pensais même naïvement que la sécurité relevait d'abord d'une compétence régalienne, à laquelle, en tant que premier magistrat, j'avais pris l'habitude de m'associer et de collaborer, dans le but de procurer à mes administrés la quiétude et la qualité de vie à laquelle ils ont droit.

Les maires, uniques responsables de la sécurité ?

La lecture de votre questionnaire me montre que je me suis trompé : selon vous, je suis bel et bien l'unique responsable de la situation de ma commune en matière de sécurité. Alors, il me faut agir, vite.

Afin de remplir au mieux cette nouvelle fonction, j'exige dès à présent une augmentation conséquente des effectifs de police nationale que la ville réclame depuis trente ans. Sur le terrain, il manque de nombreux agents pour faire respecter la loi. Ces trois dernières années, les effectifs du commissariat central de Dunkerque et, par ricochet, ceux du commissariat de secteur de Grande-Synthe, se sont considérablement érodés : 40 policiers en moins !

Je réclame aussi l'arrestation sans délai du délinquant le plus connu de l'agglomération dunkerquoise : le PDG de la multinationale milliardaire Total, Christophe de Margerie.

La manière dont cet homme a arbitrairement décidé de procéder à la fermeture de la raffinerie des Flandres, puis son refus délibéré de céder aux injonctions du tribunal lui intimant de redémarrer le site me semblent être la priorité sécuritaire du moment.

Il serait sans doute intéressant de signaler ce fait au ministre de l'Industrie, M. Estrosi, qui semble (étrangement ? ) plus préoccupé par des affaires de caméras lilloises que par les emplois que la France est en train de perdre à Dunkerque et ailleurs, faute d'une vision d'avenir et d'une politique d'innovation digne de ce nom dans le domaine industriel.

J'imagine déjà sa réponse : « Le chômage vient d'atteindre les 24% à Grande-Synthe ? Installons d'urgence des caméras de surveillance ! » L'humour est de rigueur dans les situations les plus désespérées.

La suspension des allocations familiales

Comme vous vous en étiez déjà ouvert au Figaro suite aux événements survenus à Grenoble, vous souhaitez comprendre, monsieur le ministre de l'Intérieur « où en sont certains élus sur la responsabilisation des parents et la suspension des allocations familiales »…

Dans votre questionnaire, vous me demandez ainsi de fournir des exemples de l'usage fait des informations que j'ai recueillies en matière d'absentéisme scolaire et sur la situation des familles en difficultés.

Vous allez être déçu : je ne vais pas vous fournir d'exemples non plus. L'indignation et la stupeur m'en empêchent. Mes valeurs, mes convictions, ce que je crois être juste au plus profond de moi sont heurtés par l'association, que vous présentez comme naturelle, entre pauvreté et délinquance.

Quelque 70% de mes administrés ne payent pas d'impôts faute de ressources suffisantes avec, parmi eux, une part importante de jeunes diplômés ne trouvant pas d'emploi. Il s'agit d'hommes et de femmes d'honneur, auxquels le travail ne fait pas peur, et qui sont à mille lieues de la délinquance que vous évoquez.

Pour eux, pour moi, pour tous les Français que par cet amalgame vous offensez, je ne répondrai pas à votre questionnaire.

Les maires ont beaucoup de devoirs, mais il leur reste heureusement quelques droits et notamment celui de pouvoir dire haut et fort ce qu'ils pensent.

Adopter la rhétorique du Front national, diviser les Français pour régner ne nous aidera en rien à résoudre le problème de la sécurité, ni à construire le projet de société qui nous manque cruellement aujourd'hui pour nous projeter sereinement dans l'avenir.

Damien Carême, maire de Grande-Synthe, vice-président de la communauté urbaine de Dunkerque, conseiller régional