1492, en Transylvanie. Vlad Dracul, dit l’Empaleur, parti combattre les Turcs pour défendre la Sainte Église, retrouve sa bien-aimée Elisabeta morte, suicidée après avoir reçu la fausse nouvelle de sa mort. Fou de rage et de désespoir, Vlad renie Dieu et devient ainsi créature des ténèbres : le Comte Dracula… Quatre siècles plus tard, Jonathan Harker, jeune clerc de notaire, arrive au château de Dracula pour conclure la vente de l’Abbaye de Carfax, mais il ignore que sa fiancée Mina fait partie des plans monstrueux du comte damné…
Un euphémisme : très peu de gens n’ont jamais ne serait-ce qu’entendu parler de Dracula. Popularisé par de très nombreuses productions pour le cinéma, qu’elles mettent en scène Béla Lugosi ou Christopher Lee, ce personnage de fiction a littéralement fait le tour du monde, au point d’être devenu en moins d’un siècle une des figures mythiques modernes les plus célèbres. Honorée le plus souvent, parodiée parfois, avec plus ou moins de talent, elle a imposé une image du vampire devenue en quelque sorte classique et à laquelle très peu ont voulu – ou su – déroger : point de départ du mythe du vampire moderne, elle en fut aussi la ligne d’arrivée, la limite que nul n’osa franchir – en tous cas à quelques exceptions près, et du reste assez récentes (1).
Il faut dire aussi que l’aura entourant le roman éponyme de Bram Stoker, dont fut tiré ce personnage et l’écrasante majorité des films où il apparut, a atteint lui aussi une dimension mythique. Dimension qui s’explique d’ailleurs assez mal compte tenu de la portée pour le moins limitée de l’ouvrage, car dans les grandes lignes son intrigue ne diffère en rien de ses diverses adaptations au cinéma : vers la fin du XIXème siècle, un vampire surgit dans une bourgade où il fait quelques victimes avant de se voir occis par les héros… C’est tout. Ou à peu près. Le style de son auteur ne présente par ailleurs rien qui expliquerait un tel engouement du public. Reste le charisme du personnage qui donne son titre au livre : présenté à travers bien des mystères, on comprend qu’il ait émoustillé l’imagination des lecteurs en poussant ceux-ci à lui donner la forme qu’ils souhaitaient en voir (2) – comme une sorte de phantasme. Peut-être…
Voilà pourquoi cette adaptation se place à part des autres, car le parti de Coppola, ici, consiste à briser cette mauvaise habitude de toujours raconter la même histoire. Dans ce cas précis, Dracula ne vient pas en Angleterre juste pour y étendre sa domination – on comprend mal, du reste, pourquoi il aurait attendu aussi longtemps dans ce but – mais pour y retrouver quelque chose qu’il avait perdu il y a bien longtemps, qui lui avait été ravi par un mauvais tour du destin et dont il ne pouvait qu’attendre un certain temps qu’elle se trouve à nouveau à sa portée. Il s’agit d’Elisabeta, son amour perdu, dont l’âme revient enfin sur Terre après des siècles de purgatoire (3). Passé ainsi à la moulinette tendance New Age de la métempsycose, le mythe de Dracula prend de la sorte une dimension certes bien modernisée mais surtout très romantique – ce qui au fond cadre plutôt bien avec l’esprit de l’œuvre originale.
Au lieu d’un vampire simplement assoiffé de sang, le réalisateur nous propose en fin de compte un personnage pour le moins bien humain, et dont les actes pourtant horribles sont ici, et d’une certaine manière, « excusés » par un motif après tout bien légitime – et d’autant plus quand on considère la place de l’Amour dans cette tradition chrétienne où, du moins dans le cas qui nous occupe, le personnage de Dracula trouve ses racines, car il y est devenu monstre pour avoir renié Dieu. Bref, le démon y a des allures d’ange, ce qui est une façon somme toute assez habile de trancher le manichéisme simpliste qui caractérise la plus grande partie des adaptations de Dracula sur grand écran : si le synopsis général du récit ne se distingue pas, ou très peu, de celui des autres films basé sur le même livre, ce sont les motifs du personnage principal qui place cette adaptation à part des autres.
À partir d’idées pourtant simples, car déjà exploitées au sein de nombreuses fictions, mais dont le potentiel émotionnel et narratif reste une valeur sûre, et en les combinant avec élégance à une intrigue certes éculée mais tout autant certaine de captiver le public, Coppola renouvelle avec brio un mythe moderne qui jusqu’ici s’enlisait toujours plus dans la redite – tout en proposant une réalisation au charme pictural indéniable.
(1) on peut citer, par exemple, l’assez surprenant Génération perdue (The Lost Boys, 1987) de Joel Schumacher ou bien, à la télévision, la série Buffy contre les Vampires (Buffy the Vampire Slayer, 1997-2003) créée par Joss Whedon.
(2) un procédé semblable se trouve dans l’école picturale dite du « clair-obscur » où les tableaux présentent de vastes zones très sombres, voire franchement noires, et donc vides : l’imagination du spectateur peut ainsi les peupler de ce qu’elle voudra bien y mettre.
(3) mérite d’être rappelé que le suicide, dans la religion chrétienne, est un péché qui vaut en temps normal à celui qui s’en rend coupable d’échouer aux Enfers pour l’éternité ; dans le cas d’Elisabeta, néanmoins, cet acte ayant été provoqué par un stratagème de l’ennemi, on peut supposer qu’elle a eu droit à une seconde chance…
Récompenses :
Aux Oscars du cinéma 1992, Meilleur montage sonore, Meilleurs costumes et Meilleur maquillage.
Note :
Bien que conspué, lors de sa sortie, par une certaine audience allergique aux effets spéciaux, tout le film a été tourné avec des technologies contemporaines de l’époque du récit, c’est-à-dire l’aube du cinéma – et sauf pour la présence de la couleur et des sons bien évidemment.
Dracula (Bram Stoker’s Dracula), Francis Ford Coppola, 1992
TF1 Vidéo, 2009
127 minutes, env. 11 €
- d’autres avis : Braveheart.fr, Vampirisme.com, Cinezik, Horreur.com
- des analyses : Lumière !, De la Plume à l’écran