A l'écoute dans une agence du Nord...
Lundi 16 août, Wauquiez était ainsi en visite dans l'agence de Hazebrouck, sa quatorzième visite depuis le début de l'été: «Ce n'est pas une visite clic-clac. Je tiens à discuter longuement avec tout le monde, pour prendre moi-même le pouls de la situation.» Sur place, il explique à quelques journalistes que son tour de France «complète» celui, sécuritaire, de l'Intérieur, Brice Hortefeux : « Parce que l'emploi est clairement une priorité. Pour qu'on marche sur nos deux jambes, on ne choisit pas l'emploi ou la sécurité. » On ne peut être que surpris par la complaisance de la couverture médiatique. Aucune question gênante, tant sur la fragilité de la croissance, le nombre de chômeurs partiels que l'on ne commente pas, ou la faiblesse de la politique gouvernementale. A Hazebrouk, Wauquiez peut expliquer, sans contradicteur, que « les conseillers sont au coeur du réacteur », qu'ils « sont très pros ». Le correspondant de La voix du Nord, un certain Marc Le Tellier, mentionne à peine qu'« en Flandre comme ailleurs, la situation n'est pas rose. » Mais, assure-t-il, « Laurent Wauquiez se réjouit que les délais d'obtention d'un premier entretien aient chuté. » Sur son blog, l'envoyé spécial du Figaro, en charge des questions sociales, Marc Landré, réalise une interview décalée, « 10 questions d'une traite sur son thème de prédilection (en l'occurrence l'emploi), dont la moitié relativement inattendues.» Et l'on apprend, video sans montage à l'appui, que Wauquiez rêvait d'être aviateur quand il avait 7 ans, ou qu'il se serait bien vu dans l'humanitaire.
A côté de la plaque sur le fond...
Un ministre sur le terrain pour écouter et féliciter sans stigmatiser, ça change en Sarkofrance. De surcroît, Laurent Wauquiez a trouvé son créneau, quatre jours sans présence médiatique de Brice Hortefeux. Le ministre de l'intérieur s'est accordé un weekend de trois jours depuis vendredi. Mais l'opération de communication est trop grosse. Elle est bien rodée. Wauquiez passe en fait ses vacances en Belgique. Et les contradictions apportées au discours du secrétaire d'Etat restent rares. Tout au plus rappelle-t-on ici ou là que la fusion des Assedic et de l'Unedic a été mal gérée, que les renforts de moyens, de formation et d'effectifs ne sont pas venus alors que les destructions d'emploi explosaient. Mais le bilan de la politique de l'emploi du gouvernement est bien plus grave comme cela.
Le 28 juillet dernier, il lançait donc sa «grande consultation auprès des usagers de Pôle Emploi». En fait, il s'agissait de se montrer actif alors que la montée du chômage de longue durée atteint des proportions inquiétantes : + 29% sur un an, à fin juin dernier. Après son tour de France, il va envoyer un questionnaire de satisfaction par mail à 500.000 demandeurs d'emploi et à 50.000 entreprises. Pourquoi donc ? «On s'est focalisé depuis deux ans sur les questions de structure et il nous faut maintenant travailler sur le service rendu aux usagers» expliquait-il lundi dernier. Effectivement, la fusion des Assedic et de l'Unedic au plus fort de la crise, le 1er janvier 2009, a laissé des traces.
Maintenant, Wauquiez pense à n Pôle Emploi branché, connecté, modernisé. Un machin 2.0 pour la génération des chômeurs-surfeurs ? Non, un toilettage pour faire joli dans les salons ! Le questionnaire sera envoyé par mail. Wauquiez pense aussi à développer le contact par mail avec son conseiller. Et pour ceux qui n'ont pas internet ? Faciliter les démarches administratives grâce aux nouvelles technologies est évidemment une excellente initiative, une démarche qui coule de source. Mais en matière d'indemnisation chômage, on peut craindre le pire. On connaît déjà les abus des radiations pour rendez-vous téléphoniques manqués. En 2009, 492 000 chômeurs ont été radiés des registres de Pôle Emploi, après 571 000 en 2008. Et le nombre de « cessations d'inscription pour défaut d'actualisation » a atteint le nombre record de 2,261 millions en 2009, en hausse de 11% par rapport à l'année précédente. L'ampleur du phénomène n'étonne plus. Un site bénévole, Recours-radiation, s'est même constitué début 2009, pour aider les victimes dans leurs démarches.
Coûte que coûte, Laurent Wauquiez tente de positiver la réalité. Quel contraste avec son collègue de l'Intérieur ! Contre l'insécurité, on parle de « guerre nationale ». Concernant l'emploi et le chômage, on se félicite, on masque, on cache, on dissimule. Circulez, il n'y a rien à voir. Lundi encore, Wauquiez n'avait pu s'empêcher, dans les colonnes de la Tribune, puis sur le terrain, dans cette agence du Nord, de faire quelques commentaires flatteurs sur les statistiques du chômage à fin juin : 35 000 « créations » d'emploi recensées. En fait, 75% des ex-sans emplois de la fameuse catégorie A sont partis ... en intérim.
L'apprentissage sera toujours soutenu, a-t-il justifié. Le gouvernement a confirmé qu'il prolongerait les aides pour l'embauche de jeunes en apprentissage. Grâce à l'apprentissage, les statistiques du chômage sont moins dramatiques que prévues: de juin 2009 à juin 2010, le nombre de formations en alternance a cru de 30%, pour atteidnre 285 000 contrats. Mais Wauquiez devrait rester modeste. Primo, le début de l'année 2010 était toujours sinistré, avec une baisse de 6 % des formations en alternance par rapport au premier trimestre de 2009, lui-même en baisse de 25 % par rapport à 2008. Ensuite, le budget alloué aux contrats aidés devrait subir d'une baisse « modeste » de 15%. Modeste ? C'est un cataclysme. Le bilan 2009 de la DARES, publié après la mise en congés du gouvernement, le 5 août dernier, révélait que le nombre de contrats aidés en 2009 était encore inférieur à celui de 2007, avant la crise. Qui a dit que le soutien de l'emploi était une priorité ?
... et optimiste, faute de mieux.
En fait, Laurent Wauquiez a adopté une position très spécifique au sein du gouvernement : son périmètre, l'emploi, est dans une situation sans doute plus catastrophique que l'insécurité: la dégradation de l'emploi est bien plus forte que la progression des actes d'insécurité, malgré l'échec de Nicolas Sarkozy dans ces deux domaines. Mais en matière de chômage, il devient de plus en plus difficile de trouver des boucs-émissaires.
En 2007, Sarkozy avait ciblé les fraudeurs et les chômeurs récalcitrants à l'emploi. Après étude officielle, la fraude aux prestations se révéla marginale. Et la crise fit oublier le slogan du Travailler Plus et l'aggravation des destructions d'emplois par la défiscalisation des heures supplémentaires.
Fin 2008, Sarkozy pouvait attaquer les banquiers irresponsables, la spéculation internationale, les paradis fiscaux. Près de deux ans d'agitation et de statu-quo plus tard, il fallait bien abandonner l'argument, d'autant plus qu'il était peu intelligible pour l'électorat.
Arrivent 2010, l'heure des comptes et des bilans. Aucun bouc-émissaire à l'horizon, et, bien seul, Laurent Wauquiez doit prendre son bâton de pèlerin sarkozyen pour nous convaincre, à chaque publication trimestrielle des chiffres du chômage, que tout va bien et que tout ira encore mieux demain.
Triste sort.
Crédit illustration: capture d'écran, video Le Figaro