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Les Céfrans

Publié le 17 août 2010 par Sagephilippe @philippesage

J’avais dû mettre « ça » sur le compte des guerres, la Première, la Seconde et les coloniales. Toutes ces chairs à canon. C’était foutu, pensais-je, râpé, inutile de parler, tenter de convaincre, il n’y avait rien à faire. C’était des générations entières qu’étaient perdues pour toujours.
Je me disais qu’avec le temps, ça passerait parce que d’autres viendraient, moins abîmées, plus généreuses aussi.
Je me suis trompé.
Céfran.jpgNous dînions assez tôt, vers dix-neuf heures. Dans mon dos, un téléviseur crachait les dernières nouvelles. C’est là, autour d’une soupe ou de quelques artichauts que j’entendis pour la première fois les termes de « ratons », « bougnoules » ou « négros ». J’étais petit garçon, je ne savais pas, je ne savais rien, et pourtant, je me souviens très bien que ces mots-là ne me plaisaient pas. Je ne sais pas pourquoi, comment l’expliquer ... Peut-être était-ce dû à un instituteur, une leçon d’instruction civique, cette résistance précoce, ce refus total, ou cela venait-il de plus loin encore … Toujours est-il que ça n’eût pas de prise sur moi, au contraire, j’avais envie de fuir, foutre le camp tellement je n’en pouvais plus d’entendre ces mots. D’autant plus partir que, comme je l’ai dit, il n’y avait rien à faire ni à convaincre, c’était ainsi, ça ne bougerait pas, quels que furent les arguments.
A quinze ans, je me tirai, découvris un autre univers, une pension qui, bien que militaire, m’épargnait ce genre de termes. Du moins, est-ce ainsi que je le voyais. Or, je ne voyais que la surface. Si je m’y penche vraiment, là, maintenant, je sais, je les retrouverais. Ils étaient là. Moins francs, moins directs, mais ils y étaient. Sinon comment expliquer cette colère, cette rage qui plus d’une fois prirent cet élève, ô combien brillant, cet élève noir prénommé Cherif ?
Alors, à nouveau, je partis, convaincu qu’il existait un endroit où jamais plus je n’entendrais « sale nègre », « pédés ! » ou « bicot ». Curieusement, je pensais que ce territoire serait féminin. Mais là encore, je me trompais. Le sexe n’a rien à voir. Je ne sais pourquoi, de le découvrir, m’a autant attristé … Peut-être pensais-je comme le poète que « la femme était l’avenir de l’homme ». Quelle fadaise ! La femme est un être humain comme les autres, ni plus, ni moins. Capable de vous dire : « Aucune noire ne passera la porte de chez moi ! » .. Eh bien soit, ma mère ! N’ayez crainte, je ne vous la présenterai pas ! … Ce fut une telle déconvenue, déjà, une douleur, quand me voyant « traîner » avec Mehdi, vous me disiez : « Méfie-toi ! Tu ne les connais pas, ces gens-là ! A la première occasion, il te plantera un couteau dans le dos ! ». Ce qui n’est jamais arrivé. Au contraire ! Il m’a sauvé de bien des choses, de l’inavouable ... Ah, comme c’est étrange, n’est-ce pas l’amitié ! On se croit arrivé, ça y est ! On les a trouvés, les rivages de paix, de tranquillité. Et puis, non … Voilà que ça recommence, que ça vous rattrape, et vous êtes assommé, comme jamais. Il suffit d’une compétition sportive, un match de football en l’occurrence, et là, vous n’en croyez pas vos oreilles, pourtant c’est bien lui, cet ami qui dit « con de nègre » ou « putain de ritals » lui avec qui vous fîtes les quatre cents coups, des soirées inoubliables, comment aurais-je pu me douter que … ?
Partir, encore, toujours, avec cet espoir enfantin - oui, je crois, malheureusement, que c’est le terme qui convient : enfantin – de le trouver, enfin, l’endroit. Et j’en écumais pas mal. Ne saurais dire quel et le pire : Sud-Ouest, Sud-Est, Centre, Ile-de-France, Bretagne, Normandie ? … Des années et tant de familles … Ah, les familles ! Ça vous laisse entrer, ça vous renifle, poliment, et puis, le temps passant, ça se lâche, à table, toujours à table ! Et v’là des termes que je ne connaissais pas qui surgissent, plus horribles encore, comme « gris » ou « crouilles ». De les écrire, ça me met mal à l’aise ... Si vous saviez le nombre de fois où je me suis tu ou terré, déçu, désolé, à pleurer, me demandant comment il était possible que celle-ci ou celui-là, si jeune, si confortable, sans problèmes aigus puissent se vautrer dans une prose pareille ! Des familles de bien des milieux, peu importe, y’a pas de profil-type, pas de règles, c’est insoupçonnable… Alors de deux choses l’une : soit je ne suis pas chanceux, soit … Mais c’est un fait ! UNE réalité.
Faut-il ajouter que toutes ces personnes que je croisai, d’horizons si différents, ne votaient pas forcément Front National ! Ah non ! Ça vote à droite, souvent, mais aussi à gauche, ça je peux le certifier ! Je l’ai dit, ça n’a pas de profil-type, ni de règles, c’est insoupçonnable !
Et moi qui pensais, bêtement, que ça passerait, avec le temps, de nouvelles générations ; oui, je pensais vraiment qu’avec le temps on foutrait tous ces mots, ceusses de nos parents, à la baille, eh bien non ! Ça s’est transmis, comme un virus, mais du genre mutant, j’entends par là, qu’il me semble aujourd’hui plus virulent, plus violent encore qu’autrefois. Même que, je crois, ça rêve d’en découdre. D’en finir.
Or, donc, cela fait des décennies et des décennies, oui, cela fait si longtemps, qu’une partie non négligeable de la population de ce pays utilise des termes tels que « bougnoules », « ratons », « crouilles », « gris », « sales nègres » ou « négros », et, pour l’avoir bien observée, il se trouve que c’est cette même population qui, depuis quelques années, se plaint d’être victime d’un racisme anti-français.


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