Alors que les incendies qui sévissent en Russie depuis fin juillet ont atteint des zones à fort risque radioactif, le silence des autorités sur l’état réel des dégâts a de quoi laisser perplexe. Néanmoins, malgré une censure manifeste, certaines informations ont pu filtrer et laissent présager de bien mauvais lendemains pour le pays et la population.
- Liberté de la presse en Russie
Le classement de
Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse est sans appel pour la Russie : classée 153 sur 175 en 2009, elle obtient la note de 60,88 (la meilleure note possible est 0). Sa situation n’a fait que se dégrader au cours des dernières années puisqu’en 2002 elle était classée 121 sur 139 avec un score de 48. Cette régression s’explique par la mainmise des autorités sur les médias, les deux principales chaînes russes sont contrôlées par le gouvernement et celui-ci tente désormais d’étendre son emprise aux chaînes privées. Or la télévision est le média le plus prisé de la population russe et le plus répandu. 70 à 80% de la population russe n’a pas accès à Internet, pourtant média le plus libre dans le pays.Une fois encore, le gouvernement russe use de son pouvoir pour étouffer et verrouiller l’information qui pourrait considérablement compromettre sa légitimité et sa capacité à gérer les situations de crise.
- Information verrouillée sur la dangerosité de la situation
Cela a commencé avec la fermeture depuis vendredi du site dépendant du ministère de l’Agriculture, qui venait de révéler que des zones radioactives avaient été touchées par les incendies.Ce ne sont pas moins de 4 000 hectares de terres irradiées qui auraient brûlés depuis le début des incendies début juillet en Russie, dont 270 hectares dans la région de Briansk, à la frontière du Bélarus et de l’Ukraine, zone touchée par l’explosion en 1986 de la centrale de Tchernobyl, selon les propos de L’Agence de protection des forêts publiés vendredi dernier sur son site (www.rchf.ru).Cette annonce inquiétante avait été aussitôt démentie par le ministre des Situations d’urgence, Sergueï Choïgou, selon lequel aucune région irradiée n’a été touchée par les incendies. « C’est de la censure. Les autorités devraient informer la population, les pompiers, les volontaires sur le danger radioactif éventuel et les mesures à prendre pour se protéger », a estimé Vladimir Sliviak, co-président du groupe écologique Eco-défense, interrogé par l’AFP. Et d’ajouter : « Avec l’internet, tout le monde a pu voir sur des photos satellites qu’il y avait des incendies dans la région de Briansk ».M. Tchouprov, directeur du programme énergétique de
Greenpeace Russia, déplore l’attitude de l’Etat russe qui « répète les mêmes erreurs qu’il y a 25 ans, quand on cachait ou minimisait les conséquences de Tchernobyl. »A Tchéliabinsk (Oural – 2.000 km à l’est de Moscou), c’est avec trois jours de retard que la population a appris début août que les autorités avaient décrété l’état d’urgence autour du centre nucléaire de Maïak menacé par les incendies. Fait plus qu’inquiétant quand on sait que ce gigantesque complexe, où s’est produit une catastrophe nucléaire en 1957, est capable de retraiter 400 tonnes de combustible nucléaire usagé par an et stocke d’importantes quantités de déchets nucléaires.
- Information tronquée sur la question sanitaire
Quant au nombre de morts causés par les incendies et la canicule, les autorités ont usé de diverses méthodes pour le minimiser, alors qu’il s’élèverait tout de même à plusieurs milliers rien qu’à
Moscou. Le quotidien populaire Tvoï Den a affirmé que le département de la Santé de Moscou avait interdit aux médecins de diagnostiquer les « coups de chaleur » mais d’utiliser plutôt l’expression «dysfonctionnement de la régulation de la température du corps » afin de faire baisser « les statistiques des décès liées à la canicule ». Information confirmée par plusieurs médecins dans la capitale. Les médecins ne respectant pas cette consigne sont, tout simplement, menacés de renvoi ! Une responsable du département de la Santé de Moscou, interrogée par l’AFP, s’est défendue et a déclaré qu’ « Il n’y a pas eu de telles consignes, c’est du délire ».Par ailleurs, selon les données récoltées par l’AFP auprès de l’Etat-civil moscovite, le nombre de décès enregistré à Moscou en juillet de cette année est de 50% supérieur à celui de juillet 2009, ce qui correspond à 5000 morts de plus. Andreï Seltsovki, le chef du département de la Santé, avait reconnu le 9 août que la mortalité avait doublé dans la capitale avec quelques 700 décès quotidiens. Le ministère de la Santé l’avait illico réprimandé pour avoir tenu de tels propos, et a décrété que des données fiables ne seraient disponibles qu’après le 20 août. De plus, le chef des services sanitaires de Moscou, Tatiana Popova, a catégoriquement refusé d’établir une quelconque corrélation entre la
canicule et la hausse des décès !
La situation de la Russie, soumise à de tels jeux de pouvoirs et de réseaux, est bien trop complexe pour qu’on puisse prétendre l’aborder en quelques lignes. Toujours est-il que des informations erronées ou incomplètes compromettent ici la vie des citoyens et leur environnement, non seulement en Russie mais dans tous les pays environnants. Un minimum de transparence de la part des autorités est nécessaire pour éviter que des dommages irréparables ne se produisent.