A propos de Claudie Bartholomé
Metteur en scène…
Claudie Bartholomé qui êtes-vous ?
Je suis orthophoniste en banlieue parisienne. Je participe à la vie associative de ma profession depuis près de trente ans. Je fais partie des membres fondateurs de l’APB dont je m’occupe des relations presse.
Participer à la vie associative de votre profession, sous-entend-il que vous donniez beaucoup de votre temps aux autres ?
Le bénévolat est un don, bien sûr. Un don et un partage. En fait, je me suis tournée très tôt vers la vie associative pour sortir de l’isolement professionnel que je ressentais après la période étudiante. Quand on travaille en institution, on rencontre d’autres professionnels (médecins, psychologues, éducateurs…) et quand on exerce en libéral on est seul. Mais moi, je souhaitais échanger avec des collègues et à cette époque, il existait peu de cabinets de groupe et la formation continue n’était pas encore organisée. C’est ainsi qu’a commencé un cheminement, à la fois professionnel et personnel, qui m’a apporté de belles rencontres.
Et puis, vous savez, j’ai plutôt l’impression de prêter un peu de mon temps, car ce temps m’appartient et je peux le reprendre à tout moment pour l’occuper autrement ! Ainsi pendant cette période estivale j’aime lire, nager, flâner, bronzer…
Parlez-nous de votre rencontre avec le bégaiement.
En fait, il y a eu plusieurs rencontres à différents moments de ma vie. La toute première rencontre s’est faite dans ma famille. Bertrand, mon filleul qui est aussi mon cousin, a débuté un bégaiement à l’âge de 4 ans. Le pédiatre a prescrit des séances d’orthophonie. Ma tante assistait aux séances, en tricotant sagement et l’orthophoniste faisait répéter des séries de mots en marquant le rythme de la parole avec un mouvement alternatif des mains. J’avais du mal à comprendre que le bégaiement puisse disparaître de cette façon. À cette époque, je pensais que le bégaiement était d’origine neurologique ou psychologique : Bertrand était un enfant très nerveux, il y avait des problèmes dans le couple…
J’ai eu quelque difficulté à mémoriser le nom « orthophoniste », et ma tante me l’a répété à plusieurs reprises !
Nous étions dans les années soixante, j’étais au lycée et je n’avais pas encore choisi mon métier. J’hésitais entre psychologue, éducatrice ou orthophoniste. Après avoir passé une journée dans un IMP(1), j’ai fait mon choix.
La deuxième rencontre, s’est faite pendant mes études, à l’occasion d’un stage. Hélas ! Elle n’a fait que confirmer la précédente : même méthode à laquelle s’ajoutait la rééducation du retard de langage, cette fois les mamans restaient dans la salle d’attente, car il s’agissait d’un travail en petit groupe (trois garçons de 4-5 ans). Et quand j’ai demandé si les pères accompagnaient parfois leur fils, on s’est étonné…les pères ont autre chose à faire, voyons !
Quelques années plus tard, est apparu le programme de formation continue pour les orthophonistes. Un thème a retenu mon attention « Initiation à l’Expression Scénique dans le traitement des bégaiements ». Proposé par Sylvie Le Huche, orthophoniste et psychothérapeute, ce stage a été une étape importante pour moi. J’ai rencontré là une professionnelle de qualité qui a su transmettre à notre groupe non seulement une approche théorique du bégaiement, mais aussi une méthode thérapeutique originale et efficace. Par la suite, j’ai fait d’autres formations, bien sûr, qui sont venues compléter cette première expérience.
Et plus tard encore, c’est Sylvie qui m’a annoncé qu’un mouvement se mettait en place autour du bégaiement. Le projet m’a tout de suite intéressée, car je savais qu’en France, cela manquait.
Vous voyez, j’ai rencontré le bégaiement il y a longtemps déjà, et je peux même dire qu’il est à l’origine de ma vocation professionnelle.
Que devient la personne bègue dans une séance d’Expression Scénique et vous-même quel rôle avez-vous ?
Il faut replacer la séance d’Expression Scénique dans la globalité du traitement que je propose aux personnes bègues, pour les adolescents et les adultes. Les premiers rendez-vous sont consacrés, entre autre, à une information réciproque. La personne qui vient demander une aide parle de ses difficultés et l’orthophoniste que je suis, se doit de renseigner à son tour, sur le bégaiement et les méthodes thérapeutiques existant en France, actuellement. J’explique donc, le déroulement de la thérapie telle que je la propose et, à cette occasion, je parle d’un travail autour des émotions à partir de la lecture à voix haute d’extraits de textes littéraires. Ainsi la personne est préparée et vient le moment où l’on aborde ce travail.
Au début de la séance trois ou quatre textes, dactylographiés sur une page, sont proposés. La personne prend connaissance des textes et choisit l’un d’entre eux. Elle est invitée à lire le texte choisi à voix haute puis à exprimer ce qu’elle ressent à la lecture de ce texte-là. Parfois, nous consacrons un long moment à la première étape. Car lire à voix haute en présence d’une autre personne n’est pas simple pour quelqu’un qui bégaie, même dans le cadre du cabinet de l’orthophoniste. D’ailleurs j’entends dire assez souvent : « Je ne comprends pas, quand je suis seul chez moi, je lis facilement ! » Ensuite il s’agit de trouver les mots pour dire les émotions, raconter les images qui ont pu se créer mentalement. Là aussi c’est difficile au début, surtout quand les images ne sont pas au rendez-vous !
Alors quel est le rôle de l’orthophoniste ? Celui de tout thérapeute, bien sûr, c’est-à-dire être attentif à la souffrance physique et psychique de son patient, l’aider à se poser des questions dont il trouvera, d’ailleurs lui-même, les réponses, l’encourager et, si nécessaire, revenir à des exercices précédents, ou bien à la séance suivante, proposer d’autres textes.
Et que devient la personne bègue ? Après les turbulences des premières séances, elle ressent peu à peu les effets bénéfiques de ce travail. Elle apprécie la qualité des textes, la possibilité de choisir, découvre qu’elle n’est pas seule à connaître la souffrance, la solitude, la honte, la peur. Il arrive même qu’elle trouve plaisir à lire certains textes…
En Expression Scénique, l’orthophoniste – scénothérapeute – est un guide qui accompagne la personne bègue à la découverte d’elle-même.
Votre rôle de guide implique-t-il que parfois vous partiez à la découverte d’autres chemins thérapeutiques ?
Oui, bien sûr. D’ailleurs avec l’Expression Scénique - Scénothérapie, nous y sommes déjà. Une personne bègue vient consulter l’orthophoniste en lui demandant, en quelque sorte : « Occupez-vous de mon bégaiement. » Et, vous le savez, on compare souvent le bégaiement à un iceberg dont une partie est invisible. L’orthophoniste propose naturellement, dans un premier temps, des exercices en rapport avec les difficultés de la parole (la partie visible de l’iceberg). Mais, l’orthophoniste sait bien et le patient aussi, me semble-t-il, que les difficultés se situent à un autre niveau. Il y a un réel problème de communication dont il faut bien s’occuper également. Ceci est plutôt le domaine des psys me direz-vous. Je suis d’accord, mais quand les psys ne s’intéressent pas au bégaiement ou ne savent pas faire, l’orthophoniste va-t-il laisser son patient en panne, au bord du chemin ? Certes non, surtout si l’orthophoniste connaît déjà d’autres chemins thérapeutiques dont l’efficacité n’est plus à prouver. Ce qui est le cas avec l’Expression Scénique – Scénothérapie qui est proposée, en France, dans le traitement du bégaiement depuis plus de trente ans.
Et ce qui est formidable avec cette méthode thérapeutique, c’est que l’on peut adapter le travail au rythme de l’évolution de la personne bègue. On peut utiliser les textes sur un versant expressif au gré des séances, ou bien proposer ce que nous appelons une cure. Dans ce cas, pour ma part, je propose une vingtaine de séances, au rythme d’une séance par semaine. Nous travaillons donc, environ pendant six mois, uniquement avec les textes, après quatre séances d’essai. Ensuite on fait le point, et il est toujours possible, bien sûr, de revenir à un travail purement orthophonique.
En fait, une cure de scénothérapie c’est un voyage intérieur. Avec les textes, nous partons, comme disent les marins, vers la terra incognita. Qu’y -a-t-il de plus merveilleux que la découverte de soi -même ?
Cette quête de la « Terra incognita » mène-t-elle aussi vers l’APB ?
De qui parlez-vous ? Du thérapeute ou des patients ? Me concernant, je vous réponds oui, naturellement. Tout à l’heure, je vous disais que j’ai appris le lancement du projet à l’occasion de ma formation de scénothérapeute. Ce n’est donc pas par hasard que j’ai embarqué pour cette belle aventure où tout était à construire, à imaginer.
Et en 14 ans, que de chemin parcouru ! Que de changements ! Voyez, les colloques, par exemple. Le premier colloque, en 1995, a été organisé uniquement par des thérapeutes et, à la tribune, on n’a entendu que des professionnels. Il devait y avoir deux ou trois personnes bègues dans la salle… Pour le 4e colloque (Toulouse 2006), il en est tout autre. C’est vous-même qui coordonnez le comité d’organisation et le programme affichera sûrement la parité de l’APB dans la répartition des communications. Et ça, non seulement, c’est formidable mais cela nous montre bien que l’APB est devenue une terre d’accueil pour les personnes bègues. J’espère que les personnes bègues, leurs familles, leurs amis seront nombreux dans la salle car je pense que, participer à une telle manifestation a déjà, en soi, des effets thérapeutiques.
Vous vous occupez aussi des relations presse de l’APB. Pourquoi souhaitez-vous faire connaître aux autres cette Terre d’Accueil ?
Faire connaître l’APB via les médias, c’est parler du bégaiement. Donner des informations claires sur le trouble, les différentes méthodes thérapeutiques qui existent en France, est une des missions d’une association comme la nôtre. La presse transmet au grand public et c’est ainsi que les personnes concernées par le bégaiement, directement ou non, apprennent l’existence de l’APB. Si elles le souhaitent, elles peuvent se tourner vers nous, juste pour un renseignement, mais ces personnes peuvent aussi nous rejoindre pour participer au mouvement. C’est bien que les gens sachent qu’il y a quelque part un lieu où l’on peut les écouter et parler du bégaiement, de leur bégaiement, car avant la création de l’APB cela n’existait pas. « Quand j’ai été écouté et entendu, je deviens capable de percevoir d’un œil nouveau mon monde intérieur et d’aller de l’avant » a écrit Carl Rogers. C’est vrai, quand les choses peuvent se dire, on y voit déjà plus clair. Et puis aussi, on n’est plus seul. Évidemment, ce lieu, que nous évoquons, est encore virtuel, mais l’APB ouvrira sûrement bientôt les portes de la Maison du Bégaiement, qui est, vous le savez, un de ses projets majeurs. Et en attendant, nous avons notre rendez-vous annuel le 22 octobre, pour la Journée mondiale du bégaiement.
L’avenir vous parait-il mieux éclairé aujourd’hui qu’il y a quinze ans ?
Certainement. J’aime bien votre expression « un avenir éclairé », elle correspond bien à la situation. Je pense, en effet, que l’APB, forte des expériences du passé et s’appuyant sur ses acquis, peut envisager sereinement le futur. Beaucoup de choses sont en place déjà, d’autres se créent ou se développent.
D’abord, l’APB peut compter sur ses adhérents dont la majorité maintenant, est composée de personnes bègues, et aussi sur une équipe animatrice dynamique qui rassemble près de 80 personnes, toutes bénévoles.
Les permanences, le site web, le forum, la Lettre Parole-Bégaiement, les réunions permettent des échanges ouverts et fructueux pour tous. Cela crée des liens.
Des personnes bègues animent des groupes de self-help, tandis que des orthophonistes créent des stages thérapeutiques intensifs pour adultes et maintenant pour enfants. Et ça, c’est innovant !
L’an dernier, nous avons vu la publication simultanée de deux livres traitant du bégaiement (2). Ces ouvrages, différents et complémentaires participent également à l’information du public. Ils ont été écrits l’un par une orthophoniste dans le cadre d’un projet APB et l’autre par vous-même. Trajectoires de vie, hasard de l’histoire, ce fut une heureuse coïncidence, tout à fait inattendue et symbolique, de surcroît, de la parité souhaitée par l’APB.
Et puis, il y a les réalisations hors APB qui apportent, elles aussi, un éclairage nouveau sur l’histoire du bégaiement, en France. Je pense, en particulier, à deux créations récentes : une consultation dédiée au bégaiement à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP) et le Diplôme d’Université (DU) « Bégaiements et troubles de la fluence de la parole ». Le Dr Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel est à l’origine de ces avancées. Pour la mise en place du DU, elle s’est entourée d’un petit groupe de thérapeutes, tous reconnus pour leur expérience professionnelle dans le domaine du bégaiement, et j’espère que leur initiative fera école.
Je voudrais également citer Le Serment, le superbe film de Virginia Bach dont le héros est une personne bègue.
Les idées et le courage pour les réaliser ne manquent pas sur la planète APB et ses satellites. L’énergie circule, l’APB avance et le bégaiement recule.
(1) IMP ou Institut Médico-Pédagogique accueille des enfants débiles légers.
(2) Le bégaiement -La parole désorchestrée par Élisabeth Vincent. Éditions Milan, 2004, Collection Les Essentiels N°246, 64 pages, (4,50 €).
Le Quatrième Automne par Yan-Eric de Frayssinet. Toulouse, AutoEdition, 2004, 205 pages, (15 €). le4automne.com
Propos recueillis par Yan-Eric de Frayssinet
pour la Lettre Parole Bégaiement
septembre 2005