Je me souviens de la première fois que j’ai vu Casey Affleck. C’était sur grand écran, au ciné 104 de Pantin, vers Noël 1995. J’avais 14 ans, lui dix de plus, et il faisait un peu chien fou à côté de Joaquin Phoenix (son futur beau-frère tiens) dans Prête à tout de Gus Van Sant. Le chien fou, il l’a encore fait la seconde fois que je l’ai vu deux ans plus tard, dans Will Hunting du même Gus Van Sant. Les rares films visibles qu’il a tourné les quelques années qui ont suivi auraient difficilement pu présager que le p’tit frère de Ben Affleck serait aujourd’hui l’un des acteurs les plus mystérieux et fascinants de sa génération. Le chien fou a depuis longtemps disparu.
S’il l’a encore portée au cours de la trilogie Ocean’s Eleven, il a depuis laissé la panoplie du déconneur derrière lui, et s’est imposé en quatre films (ni plus, ni moins) comme un grand acteur, sortant de l’ombre de son frère (dont je parlerai également plus tard dans la semaine...). Gerry, une troisième collaboration avec Gus Van Sant, en 2002, Lonesome Jim de Steve Buscemi en 2005, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik et Gone Baby Gone de son frangin Ben, tous deux en 2007. Quatre films qui ont grandi Affleck, quatre films ayant révélé une présence insaisissable. Il y a une étrange tristesse chez l’acteur que ces quatre cinéastes ont su capter et canaliser dans des rôles puissants. Après avoir frôlé le Prix d’Interprétation à Venise pour Jesse James (finalement remis au seul Brad Pitt pour le même film), Affleck a décroché une nomination à l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle pour son portrait de Robert Ford.
Bizarrement, Casey Affleck n’a pas capitalisé sur cette exposition soudaine sur sa carrière, due aux sorties conjuguées du film de Dominik et de son frère, tous deux largement salués par la critique. Non, au lieu de cela, le comédien a pris du recul, a suivi son beauf Joaquin Phoenix dans son drôle de délire musical en signant le documentaire I’m still here (qui sortira peut-être un de ces quatre en France), et n’a retrouvé les plateaux que l’année dernière pour The killer inside me réalisé par le prolifique Michael Winterbottom. Inutile de préciser qu’après un hiatus de près de trois ans dans sa carrière, l’adaptation du roman de Jim Thompson est un vrai petit évènement cinématographique (au moins à mes yeux).D’autant que le rôle qu’a choisi Affleck pour son retour n’est pas consensuel : c’est celui de Lou Ford, shérif d’une petite ville du Texas des années 50. Un shérif bien sous tous rapports, fiancé, un bon p’tit gars du sérail, serviable, fils de docteur. Mais un shérif torturé, qui a une part d’ombre, se transformant à l’insu de sa petite communauté en tueur lorsque la mort d’autrui peut arranger son propre sort.
L’ellipse de trois ans dans la carrière de Casey Affleck m’a probablement fait placer trop d’espoir dans The Killer inside me, un film précédé d’une réputation sulfureuse depuis sa présentation à Berlin en février dernier. Un film auquel nombreux sont ceux à avoir reproché une violence gratuite. La violence est effectivement bien là, insistante, dérangeante. Lorsque Ford s’acharne à coups de poings sur sa maîtresse, difficile de garder les yeux à l’écran sans remuer sur son siège.
Pourtant le problème de The Killer inside me ne se situe pas là, mais bien dans le scénario. Le film de Winterbottom m’a surpris, car je ne m’attendais pas à un film aussi hésitant. D’un côté le film semble accorder une vraie attention à son intrigue, à son côté polar. Le film est très bavard pour bien nous expliquer les différents enjeux et nous plonger dans cet engrenage de violence dans lequel s’engage Lou Ford.
Mais d’un autre côté, Winterbottom ne semble pas se donner la peine de nous offrir les clés de son personnage central, des clés nécessaires à comprendre les enjeux de l’intrigue. Comment le film peut-il être une exploration du personnage si les flashbacks restent vagues ? Comment le mécanisme mis en branle par Lou Ford peut-il être assimilé s’il ne nous est jamais dit pourquoi le personnage agit ainsi, tout en suggérant qu’il y a pourtant une cause très précise aux évènements dépeints ? Winterbottom préfère tout laisser entendre, en suspens, sans vraiment nous tenir au fait. C’est peut-être ce qu’il pense être l’essence du film noir, mais le résultat est un détachement général pour l’intrigue et les personnages. On voit la direction empruntée, sans jamais savoir d’où l’on est parti et pour quelle raison. C’est embêtant, et dommage, car le réalisateur s’était entouré d’une belle distribution de seconds couteaux pour peupler son film, mais les personnages sont si difficiles à cerner qu’on a du mal à comprendre quel est leur rôle précis, en particulier ceux campés par Elias Koteas, Simon Baker et Bill Pullman (au passage, bien trop rare à l’écran ces dernières années).
Winterbottom semble avoir retenu du film noir que l’on se fout un peu de l’intrigue, que l’on n’est pas sensé tout comprendre, et qu’une ou deux actrices sexy, ici Jessica Alba et Kate Hudson (Alba l’emporte haut la main pour ce qui est de la température qui monte dans la salle), emballent l’affaire. Cette base qu’il pose tue, à mes yeux, son film.Et Casey dans tout cela ? Mi-ange mi-démon, il est plus troublant et glaçant que jamais, à défaut de l’être dans un excellent film comme il nous y avait habitués avant son hiatus. Je lui pardonne volontiers, et attend le prochain avec impatience.