L'écriture de la SF (4)

Publié le 16 août 2010 par Zebrain
Il arrive, à ce stade de l'exposé, qu'un auteur débutant avide de mettre en pratique ces conseils caresse le projet de fournir au héros une pulpeuse compagne en guise de naïf. Aujourd'hui, rien ne saurait être plus dangereux pour son avenir littéraire, voire sa sécurité et son intégrité physique : mieux vaut lui conseiller de garder l'idiot congénital.
- Le procédé suivant est plus utile aux informations d'ordre scientifique qui, on l'a vu, passent mal dès que le salon où l'on cause se déroule ailleurs que dans un congrès de spécialistes. Il s'agit du fameux coup de la panne. On remarquera au passage la subtile liaison avec les commentaires qui précèdent.
En effet, utiliser un objet ou une technique dans des conditions normales ne nous apprend rien sur lui. Par contre, une erreur de manœuvre ou un accident permet de déduire sans délai une foule de renseignements, depuis la fonction première de l’appareil jusqu'à son principe. Ce sera le technicien dépêché sur les lieux qui tout en expliquant les défauts de fonctionnement à l’usager, assouvira dans le même temps le légitime désir de compréhension du lecteur. Ainsi, dans l’exemple suivant, où le héros, avant de quitter son vaisseau spatial, a appuyé sur un bouton resté sans effet. On va tout de suite savoir à quoi ça sert...
Non. Le réparateur n’a pas l’air de venir. C’est toujours la même chose avec eux. Profitons de cette réflexion pour signaler qu’il est bon de garder quelques constantes d’une époque à une autre, comme cette absence d'intervention, afin de ne pas égarer le lecteur par un dépaysement trop radical, et passons immédiatement à un autre exemple :
« Distraitement, Marc inséra son index dans l'orifice idoine, puis appuya sur le bouton. »
Suspense…
« Cette carte de crédit a un solde débiteur, l’informa le serveur. J’appelle un agent ou vous êtes disposé à faire la vaisselle ?
– Ce doit être la puce sous mon doigt qui est flinguée… »
Ici, l’information est intimement liée à la narration. On sait à quoi sert l'appareil et les conséquences du geste du distrait permettent de faire habilement diversion sur les explications à intégrer dans l’intrigue.
Bien sûr, les aléas qui en résultent retardent un peu la progression de l’action mais rien n’empêche de faire de ce retard un élément de relance de l’intrigue :
« C’est en faisant la plonge à la cuisine qu’il vit les patibulaires agents de la Guilde de l'Espace se diriger droit vers la table qu'il avait occupée. Ils étaient sur sa piste. »
Les pannes ont un autre avantage, qui tient à la crédibilité. Quoi de plus réaliste qu’une machine sujette à des défaillances à la place des rutilantes fusées à combustion nucléaire propres de la science-fiction des débuts ? Les objets vieillis donnent à l’univers imaginaire une patine qui empêche le lecteur de croire qu’il vient juste d’être inventé par un auteur pressé de combler son déficit bancaire (cette image, soit dit en passant, est un merveilleux sujet de science-fiction, inépuisable de variations car il renouvelle, comme dirait Gérard Klein, le thème inusé autant qu’inusable de la quête). Le crade, le sale, le dégradé, ça a tout de même une autre gueule !
Tout auteur de science-fiction devrait donc introduire dans son univers des pannes ou des dysfonctionnements. A défaut de technicien, le héros peut tenter de réparer lui-même l’avarie, une scène banale qu'un auteur doué exploitera pour délivrer des informations annexes : l'auto intervention prouve que Marc a l’habitude de voir son vaisseau tomber en panne ; elle donne une image de l'état de délabrement dudit, une idée de la situation sociale et financière du propriétaire ainsi qu’une estimation raisonnable de la richesse de son vocabulaire dans les moments de tension. Ce n'est jamais très agréable de fourrager dans des toilettes bouchées par des formulaires de déclaration à la douane.
A ce stade du récit, si l'univers science-fictif a pu être habilement exposé au cours de la narration, le seul problème restant est de savoir comment raconter une histoire qui tienne debout avec un héros malchanceux flanqué d’un imbécile et dont la fusée n’arrête pas de tomber en panne.
– Si l'ampleur de la tâche rebute, on peut s'en tirer avec une dernière solution, très en vogue actuellement : ne pas délivrer d'explication du tout ! Il est en effet préférable de montrer plutôt que d'expliquer, et les astuces qui précèdent, aussi répandues qu'elles soient, ne sont que des explications déguisées en scènes. L'absence d'explication a le mérite de donner à voir un univers qu'on ne décryptera que progressivement, par déduction et comparaisons successives. Après tout, c'est bien ce qui se produit dans la vie de tous les jours : on ne commence à connaître une question qu'après s'être frotté au problème.
C'est d'ailleurs ce qui se passe quand Marc se met en quête d'associés. Les gouvernements mis au courant lui ont demandé s'il a réalisé l'ampleur du bouleversement qui découlerait de ce moyen de transport instantané : les faillites prévisibles, l'accélération des échanges entraînant des bouleversements sociaux, augmentant les risques de contrebande et d'attentats terroristes. Pour prendre la mesure de cette révolution, il conviendrait d'introduire la téléportation avec parcimonie dans un premier temps. Marc en est tout secoué, jusqu'à ce qu'il réalise que la parcimonie signifie, pour chaque état, l'exclusivité de la chose. L'auteur sera au contraire ravi : ce problème lui aura permis de citer nombre d'aspects de son univers.
Le lecteur obstiné glanera donc lui-même les éléments qui éclairciront progressivement sa vision de l'univers présenté. L'avantage qu'il en retire est un temps de lecture doublé pour le même prix : en effet, quand il aura enfin compris, dans les dernières pages, de quoi il retourne dans l'ouvrage, il ne lui reste plus qu'à le relire, en connaissance de cause cette fois. L'inconvénient pour l'auteur est qu'il a des ventes diminuées de moitié, car les lecteurs obstinés ne sont pas si nombreux que ça !
Ne rien expliquer ne signifie pas non plus que l'auteur n'a plus aucun effort à fournir. Ce qu'il économise en fastidieuses explications, il l'investit dans la clarté d'exposition. L'univers est rendu lisible par l'inclusion de détails au niveau stylistique.
Le vocabulaire, par exemple, qui, en SF, abonde en néologismes, exotismes, termes anciens récupérés tels quels ou dans de nouvelles acceptions, devient, de fait, transparent : la définition est induite. Ce sont bien la Guilde de l'Espace et ses concurrents Liberty Space, Trou de ver corporation, qui cherchent à faire la peau à Marc Starr, pas la Duni MayCo ou Messier Universal qui ne renseignent en rien sur leur nature.
De même, la forgerie de termes doit être évocatrice par ses sonorités et ses racines. Dans la littérature policière, on aime créer une ambiance en citant non pas des objets mais des marques. Pour reprendre l'exemple du tout début, on écrirait :
« La flamme du Dupont fit rougeoyer l’extrémité de sa Marlboro. Sur l’écran Sony, Danone et Loréal disparurent un instant derrière l’épais nuage de fumée qu’il souffla devant lui. » L'effet d'un univers saturé de signes est garanti. Certains auteurs de science-fiction utilisent le même procédé pour illustrer leur société dominée par les grands groupes économiques et les trusts industriels. Tant pis si la lecture est brouillée par ces sigles surabondants, cette désorientation participe de l'effet recherché, provoquer un sentiment de déréalisation devant un monde devenu illisible. Ceci ne fonctionne cependant que pour des futurs proches. Dans des avenirs plus lointains, le jeu devient sans objet, se vide de sa substance et si les référents ne sont pas identifiables par eux-mêmes, ils doivent l'être par le contexte ; le sigle ou la marque s'effacera donc au profit d'un néologisme lui aussi porteur de sens. En effet, en l'absence d'explication, il est difficile d'appeler les portes spatiales des FlashMarc ou des MGD, ni même des Corrélateurs ou des Intricateurs quantiques qui ne donnent pas une idée claire de leur fonction ; ce sont plutôt des téléporteurs, des portes télétrans ou distrans que Marc installe aux quatre coins du globe, avec la bénédiction des exoporteurs et des professions annexes… pardon, satellites. Les termes anciens, celui de guilde en est un bon exemple, se parent des mêmes vertus allusives et suggestives, à condition qu'ils ne soient pas ringardisés : on imagine mal Marc chercher la protection de la maréchaussée ni la prévôté demander l'intervention de l'host pour protéger l'acheminement des portes télétrans.
Point trope n'en faut, cependant : l'accumulation réintroduirait cet hermétisme qu'on avait cherché à dissiper. Claude Ecken