Ça y est, c’est LA polémique du moment ! Il aura fallu quelques jours d’actions policières et une répétition d’annonces fracassantes et désarticulées par les ministres du gouvernement pour que ça décolle, et qu’à droite comme à gauche, des voix s’élèvent, vibrante de l’émotion mal contenue, dénonçant – comme c’est original – le retour de la France dans ses heures les plus sombres. Sortez le popcorn.
Pour ceux qui auraient loupé épisodes 1 à 20 de Lost Government, saison 3, en voici un résumé succinct :
Nicolas Sarkozy, bousculé dans les sondages d’opinions et explorant les profondeurs insoupçonnées d’un classement que jamais personne n’avait atteint auparavant, se décide à reprendre la main en rejouant la partition de 2007 sur le thème de l’insécurité.
Utilisant absolument toutes les ficelles de communication allant des discours fermes mais creux aux actions médiatiques mais inutiles, le président laisse pour ainsi dire carte blanche à la fine fleur de son gouvernement qui décide d’enfiler des déclarations comme des perles en plastique sur un collier pendant une séance créative en maternelle un mercredi après-midi de pluie battante.
Le résultat est à la hauteur de l’enjeu : tout part très vite en sucette et bientôt, chaque opposant un tantinet connu y va de sa conférence de presse ou de sa lettre ouverte, pendant que la police, noyée dans les ordres contradictoires, se charge à la fois d’expulser, de ne pas faire de vague, d’être présente sans se faire voir et de mener des actions de fond en appréhendant les vilains tout en les relâchant bien vite.
La presse, à la fois aux ordres, massivement subventionnée et mécaniquement outrée par tout ce déballage médiatique, se fait fort de relayer l’ensemble de cette agitation qui lui permet enfin d’exprimer toute la puissance de sa réflexion et de son analyse en pleines pages quadrichromie, reportages sur le terrain et éditos bien enlevés. C’est du cousu-main.
Il ne manquait plus, pour boucler la saison sur un final explosif et chamarré, qu’un n-ième avatar du Capitaine Blâme, ce super-héros venu du fin-fond de l’espace intersidérant qui s’autorise à ne pas résoudre les problèmes avec ses non-solutions. Cette fois-ci, c’est le député villepiniste (non non ce n’est pas une injure… Quoique…) Jean-Pierre Grand qui s’y colle ; pour cela, il se sera fendu d’une de ces déclarations comme seuls les marmottes cendrées socialo-républicaines peuvent se le permettre.
Pour notre nouveau candidat aux actions héroïques sabre-au-clair, les expulsions des immigrés illégaux et le rasage des taudis dans lesquels ils vivent est tout à fait comparable aux rafles qui eurent lieu pendant la guerre ; comparaison d’autant plus facile que notre ardent député est né en 1950 et les a donc connues de près.
Pour bien faire comprendre l’horreur de la situation, notre ami Grand n’aura pas hésité : il a utilisé tout son sang-froid d’homme courageux lui-même confronté directement au problème – puisqu’il héberge maintenant depuis des années des immigrés clandestins Roms dans son jardin – pour s’opposer à ce qu’il appelle une politique de démembrement.
Aparté ludique :Amuse tes amis !
Le démembrement consiste à transférer certains attributs du droit de propriété sur une chose. Sachant cela, colorie en bleu le ou les propriétaires des terrains occupés illégalement par les Roms, souligne en rouge le mot illégal et discutes-en avec ton voisin.
Pour cela, il aura vigoureusement apostrophé l’Agence Fausse Presse en lui filant un virulent communiqué, merdalafin ça se passera pas comme ça.
Et bien évidemment aussi, tout ce que la presse comprend de penseurs, tout ce que la blogosphère connait d’humaniste, tout ce que la politique connait de nobles âmes aura embrayé sur l’ignominie de ces actions policières qui nous rappellent, il faut bien le dire, des trucs avec une bête féconde, des heures dont la luminosité est discutable, et une époque terrible qu’on croyait révolue avec des étoiles jaunes et un petit moustachu qui s’excite.
Bref. Il faut faire absolument pleurer dans les chaumières, hurler au scandale, et tenter les comparaisons les plus audacieuses pour bien faire comprendre le point essentiel : « ouh je ne suis pas d’accord tout ceci est très vilain je suis choqué ouh« .
C’est noté.
Cependant, à écouter les affirmations fermes – mais humanistes, ne l’oublions pas – de Grand sur Europe1 ce matin, on comprend rapidement qu’aux gesticulations inutiles du président Sarkozy répondent … les gesticulations inutiles du groupuscule d’activistes de Villepin. Pour trouver une solution au « problème des Roms », ils s’apprêtent – attention ça dépote – à créer un groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale. Vlan. Comme ça. Paf.
Eh oui : ça ne rigole pas dans le monde magique des villepinistes et des autres politiciens du pays ! Un problème ? Une loi ! Ou une commission d’enquête ! Ou un nouveau groupe à l’Assemblée ! Go, go, go !
Certes oui, les contorsions pathétiques du gouvernement pour montrer qu’il fait des trucs et des machins ne résolvent en réalité pas grand-chose. Mais d’un autre côté, l’effarouchement des belles-âmes, humides du chagrin qu’on leur fait subir, ne sert absolument à rien non plus. Quant à leurs propositions concrètes, listées et précisées, elles sont… inexistantes.
Parce que les vraies solutions, le vrai discours qu’il faudrait entendre, maintenant, personne ne veut le tenir, et de l’autre côté, personne ne veut l’entendre ou même faire semblant de le supporter.
Personne ne veut supporter l’idée qu’on puisse, tout simplement, appliquer les lois : celles sur la propriété, celles sur l’immigration.
Personne ne veut supporter l’idée qu’on puisse, tout simplement, remettre en question le système d’état-providence, maman ultime de tous les enfants, généreuse en bisous multiples pour tous les bobos de la vie, bisous bien entendu facturés sur ceux qui n’ont pas eu les bons bobos (ceux qui sont humanisto-compatibles).
Pour faire simple, on pourrait par exemple autoriser l’immigration sans aucune démarche, aucun papier. En contrepartie de quoi, on assurerait d’une expulsion les immigrants condamnés au pénal, et on supprimerait absolument toutes les aides, subventions et allocations de toutes sortes ; il y a fort à parier qu’on résoudrait assez vite les soucis de fraudes aux allocations (plus d’allocations, plus de fraudes), les soucis de « polygamie » ou familles aux pères uniques et multiples femmes « seules », les soucis de regroupement familial un peu trop extensif ; bizarrement, l’attrait naturel du pays serait nettement amoindri. Et dans ces nouvelles conditions, on pourrait mesurer efficacement ce que le pays contient d’humanistes et de belles-âmes, prêtes à donner de leur propre temps, de leur propre argent, de leurs propres terrains, pour accueillir ceux qu’ils souhaitent.
Autrement dit, renvoyer à leur responsabilité individuelle ceux qui viennent chercher fortune en France et ceux qui prônent toujours des solutions collectivistes aux problèmes de société. Les premiers ne viendront plus effectivement que pour trouver dans ce pays ce qu’ils ne peuvent avoir ailleurs (état de droit, travail, droit d’expression ou de pratiquer librement sa religion, par exemple). Les seconds pourront enfin exercer leur générosité, et, n’ayant aucun soutien (ni empêchement) de la part de l’État, n’en seront que plus gratifiés.
Mais voilà : il est, de nos jours, beaucoup plus facile et rentable d’être, à l’instar d’un Grand ou d’un Goulard, prêt à distribuer des bons et des mauvais points, et bien sûr, très généreusement, l’argent des autres, que de s’investir personnellement dans un combat qu’on pense juste.
Moyennant quoi, nous avons droit aux heures les plus dégoulinantes, les plus grandiloquentes, de notre Histoire. Et d’action concrête ? Point.
Ce pays est foutu.