La maison en lames de rasoir, de Linda Maria Baros
Publié le 16 août 2010 par Onarretetout
Les rois ne touchent pas aux portes.
Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, — tenir dans ses bras une porte.... Le bonheur d'empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l'un de ces hauts obstacles d'une pièce; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l'œil s'ouvre et le corps tout entier s'accommode à son nouvel appartement.
D'une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s'enclore, — ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l'assure.
Ce texte de Francis Ponge a hanté toute ma lecture du livre de Linda Maria Baros. Sa maison en lames de rasoir est plus qu’une maison, pourtant elle a sa porte, sa fenêtre, son plancher, ses murs. Il y a surtout cette poignée, ce poignet où tiennent en équilibre dangereux les lames de rasoir. Au-dessus, les maçons de l’éternité sur leurs échafaudages (tiennent-ils les lames des échafauds d’âges ?) ; au dessous, sur le seuil, les loups, au nombre de sept. Sept poèmes pour finir, pour promettre, car le seuil est aussi bien promesse d’arrivée que de départ. Promesse de quitter l’enfance, de changer tout, du sol au plafond, pour aller jusqu’à l’autre, « jusqu’à toi ». Sans pourtant renier la Roumanie natale de Linda Maria Baros, toujours présente, par quelques mots semés ici et là, par les légendes évoquées, et par ces cordes de violon qu’elle utilise pour coudre sur nos lèvres son nom.