Sarkozy et Medvedev, le 19 juin 2010
La Russie a déployé des missiles sol-air russes S-300 en Abkhazie. Cette république fantoche du Caucase du Sud a été créée il y a deux ans, à l'issue de l'invasion russe en Géorgie. La France s'inquiète mollement. C'est normal. On ne compte plus les hommages de Nicolas Sarkozy à ses «amis russes». Et en août 2008, Nicolas Sarkozy a couvert le dépeçage de la Géorgie. Voici comment, en très peu de temps, le chantre des droits de l'homme est devenu fournisseur d'armes à l'un des régimes autoritaires les plus importants du monde.La rupture, quelle rupture ?
Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis de rompre avec la diplomatie jugée complaisante de la France de Jacques Chirac avec la Russie de Vladimir Poutine. On se souvient de cette légion d'honneur, discrètement épinglée par Chirac lui-même sur le col de son homologue Poutine un jour de septembre 2006. Sarkozy, qui cherchait à incarner la rupture sur tous les fronts, avait trouvé judicieux de se démarquer. Cet engagement lui valu, entre autres, le ralliement de l'intellectuel pourtant classé à gauche André Glucksmann.
Hélas, à peine élu, cette promesse d'un jour fut rapidement oubliée. Nicolas Sarkozy afficha très rapidement sa proximité avec le dirigeant russe. Lors de son premier G8, des millions d'internautes et de téléspectateurs purent même contempler un Sarkozy visiblement ivre lors d'une conférence de presse, juste après un rendez)-vous sans doute arrosé avec Poutine. Début octobre 2007, Sarkozy fit son premier déplacement officiel en Russie. Des droits de l'homme, il ne fut pas question.
L'été suivant, la France préside pour 6 mois l'Union européenne. En août, la multiplication des échauffourées verbales ou physiques entre Géorgiens et Russes dérape. Les Russes envahissent leur petit voisin. Sarkozy file à Moscou avec une délégation européenne, et revient en criant victoire. Il aurait sauvé l'intégrité géographique géorgienne. Il faudra attendre quelques jours pour réaliser la tartufferie: la Russie reconnaît l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud le 26 août 2008. Sarkozy a bien accepté le démembrement de la Georgie. Avait-il le choix ? Sans doute pas. Allait-il l'avouer ? Certainement pas. On a même voulu nous faire croire que Sarkozy avait menacé Poutine et Medvedev de quitter leur salle de négociation. Déjà en 2008, Sarkozy se comportait en caïd diplomatique.
La France, fournisseur de technologie militaire
Depuis, les relations franco-russes sont au beau fixe. Le seul sujet, éventuel, de friction entre les deux pays est l'Iran. La Russie se voudrait conciliante. La Sarkofrance se voudrait inflexible. Mais sur le reste, on nage en plein bonheur. Sarkozy compte toujours beaucoup sur la Russie pour exister tant bien que mal face aux Etats-Unis. Non seulement le chef de Sarkofrance suit-il la même ligne diplomatique que ces prédécesseurs, mais il a développé une proximité avec les autorités russes inédites depuis longtemps. Pour preuve, la vente d'un navire de guerre, un porte-hélicoptères Mistral, l'un des fleuron de la défense française, avec transfert de technologie à la clé, par la France à la Russie est une vraie rupture. Jamais un Etat de l'OTAN n'était allé aussi loin. Les Etats-Unis, et les pays limitrophes de la Fédération russe s'inquiètent. Quand la nouvelle fut annoncée en novembre dernier, le Figaro commentait sobrement: «Un peu plus d'un an après la brève guerre en Géorgie, le pays négociateur du cessez-le-feu d'août 2008, régulièrement violé par Moscou, s'apprête à vendre des bateaux de guerre à la Russie. Certains, assurément, y verront un symbole politique embarrassant.» C'est le moins qu'on puisse dire.
En visite sur des chantiers navals à Saint-Nazaire début juillet, Nicolas Sarkozy se félicita de l'acquisition prochaine de 4 navires français par les Russes. Un emballement prématuré puisque, comme pour les Rafales brésiliens, l'affaire était loin d'être conclue. Et elle inquiète tout autant. les navires prévus servent ... au transport de troupes. Le 19 juin dernier, Sarkozy rendait visite à son homologue russe à Saint-Pétersbourg. Une nouvelle occasion de se féliciter des rapports franco-russes: «Je veux porter témoignage, que dans les grandes instances internationales, les positions de la France et celles de la Russie sont extrêmement proches». La Sarkofrance se félicitait des multiples promesses de contrats: deux grandes tours à la Défense (pour l'EPAD dans les Hauts-de-Seine), une joint-venture entre Gazprom et GDF-Suez, une autre pour la fourniture de robinetterie nucléaire aux réacteurs russes, l'entrée de GDF SUEZ à hauteur de 9% dans le consortium de gestion du gazoduc Nord Stream, et celle d'EDF à 10% dans le consortium de gestion de South Stream. Lors de la conférence de presse conjointe qui s'en suivit, un journaliste français s'inquiéta des limites aux transferts de technologie acceptables sur des contrats aussi sensibles que le nucléaire, l'aéronautique ou l'armement. Sarkozy eut cette réponse évasive : «les limites aux contrats que nous signons, elles sont toutes simples. C'est que ces contrats doivent être dans l'intérêt réciproque de la Russie et de la France. C'est ça que nous essayons de faire.» Ou encore: «nous ne sommes pas dans une relation client-fournisseurs. Nous sommes des partenaires.»
La Georgie peut se taire
Mercredi 11 août, le commandant en chef de l'Armée de l'air russe Alexandre Zeline annonçait l'installation de missiles S300 dans la petite République d'Abkhazie. Quel bel anniversaire des accords du 12 août 2008 ! La réaction française fut... embarrassée: «Nous avons pris note avec préoccupation de l'annonce du déploiement de missiles de défense aérienne en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Il n'est pas de nature à contribuer à la stabilisation de la région. (...) Nous appelons l'ensemble des parties à la retenue et au respect complet des accords du 12 août et du 8 septembre 2008" après le conflit militaire entre la Russie et la Georgie.» a déclaré jeudi 12 août le porte-parole du Quai d'Orsay. Ce à quoi à répondu le ministre abkhaz des Affaires étrangères: «Nous renforçons notre frontière (avec la Géorgie) avec le concours de la Russie. Ce déploiement des missiles s'inscrit dans le cadre de nos ententes bilatérales en matière de coopération militaire.» Et paf !
Critiquer l'un de ses nouveaux clients n'est pas chose aisée. Sur ce sujet, comme sur d'autres, Nicolas Sarkozy a avalé ses promesses en un temps record.
Ami sarkozyste, où es-tu ?