Je sais, je délaisse ce blog, la faute à une actualité débordante, un travail très prenant, un déménagement, bref beaucoup de mauvaises raisons. Mes derniers posts traitant beaucoup de vieille musique coréenne, je reste dans le sujet pour vous présenter l'une de mes chroniques ciné pour KBS. Promis, j'essaie de reprendre "Carnets de Corée" dès que possible !
Waikiki Brothers, une bande-son coréenne
Myung Films, la célèbre société sud-coréenne de production, fête cette année ses 15 ans d'existence. Pendant cette décennie et demi, qui correspond d'ailleurs à l'explosion créatrice vécue par le cinéma coréen, Myung Films a produit nombre de succès majeurs, parmi lesquels « Contact » en 1997, « JSA » en 2000... ainsi que l'exceptionnel « Waikiki Brothers », sorti en 2001, et réalisé par Im Sun-rae.
Au travers de ses nombreux films, cette réalisatrice dresse avec justesse et subtilité des portraits d'individus représentatifs de la société coréenne, ce qui lui permet de pointer avec force les contradictions et les malaises de cette dernière. Ce talent et ce regard uniques étaient déjà à l'œuvre dans « Waikiki Brothers ». Le film nous raconte l'histoire d'un groupe de musiciens en galère, de véritables pieds nickelés de la guitare et du micro.
Vêtus de chemises disco, mauves ou roses, ces « Beatles des clubs dansants », comme ils sont surnommés, battent la campagne et courent le cachet, de ville perdue en ville perdue. Ils accompagnent de leurs chansons fêtes, mariages, ou événements importants, telle que cette mémorable « sixième édition de Miss Piment ». Sans le sou, voyageant en stop, ces musiciens désabusés sont les survivants d'un monde finissant, tué par les boîtes de nuit et le karaoké. A leur tête, Kang Sun-woo, interprété par Lee Eol, est un guitariste dépressif qui a décidé de vivre son rêve d'adolescent... et qui mesure la distance qui sépare justement les rêves de la réalité, alors qu'il se retrouve à jouer dans un club dansant de sa ville natale, quinze ans après l'avoir quittée. Il est accompagné par un batteur, alcoolique et joueur compulsif, et par un pianiste dragueur invétéré, pour qui la musique est surtout le moyen de multiplier les conquêtes extramaritales.
S'il est souvent mélancolique, « Waikiki Brothers » est aussi parfois parfaitement hilarant. Il appartient à cette catégorie – rare ! – de films capables de vous donner le sourire pour le restant de la journée. Ce qui ne l'empêche pas d'offrir une critique acerbe de certains milieux, gangrenés par le fric et la médiocrité, comme le montre cette scène inoubliable dans un room salon, dans laquelle le guitariste, perdu dans ses souvenirs, finit littéralement à poil. Mais la tonalité reste, le plus souvent, douce-amère. Le film ajoute le plaisir du kitsch à cette description acérée mais souvent tendre d'une société à la peine, pour laquelle le seul moyen de rendre le quotidien supportable est le soju et... la musique.
Car « Waikiki Brothers » est avant tout un magnifique hommage à la passion coréenne de la chanson. Tous les styles, tous les merveilleux tubes coréens, les classiques des années 50 à ceux des années 90, sont ainsi passés en revue. Une bande-son idéale, qui ajoute une dimension très jubilatoire à ce véritable chef d'œuvre.