De nombreux débutants attendaient qu’on leur refile des ficelles faciles à celer ; ne reculons devant rien et procédons à l'inventaire :
- la plus éculée consiste à faire intervenir un médium à point nommé : quelle que soit la chaîne télé que le vaisseau est capable de recevoir depuis sa position, elle diffuse justement un documentaire sur ces étranges Grumms, qui ne quittent un monde pour s'établir sur un autre que lorsqu'ils en ont épuisé les ressources ou irrémédiablement saccagé l'environnement. S'il s'agit d'une revue, même périmée, elle contiendra un opportun article traitant de la question. Pourtant, le livre que le personnage ouvrira ne sera ni une encyclopédie, quelle horreur !, ni un atlas des planètes habitées mais un improbable ouvrage de vulgarisation contenant comme par hasard un article ou une entrée qui déborde très vite son propos pour le compléter par un historique succinct de l'histoire mondiale et l'enrichir avec la définition de tous les termes jugés incompréhensibles pour l’improbable lecteur qui n’aurait pas encore lâché son bouquin parvenu à ce stade du récit.
A l'heure d'Internet et de l'information à portée de tous, ce subterfuge a beaucoup perdu de sa crédibilité. On sait que les 370 623 réponses fournies par les moteurs de recherche ne permettront pas de tomber sur l'information adéquate avant une quinzaine. Ne serait-ce que parce qu'une règle narrative stipule que le héros ne peut rien obtenir sans effort : il n'a aucune chance de tomber juste du premier coup ! Comme ce n'est pas le protagoniste mais le lecteur qui a besoin de l'info, mieux vaut donc s'en remettre au hasard.
Un héros a intérêt à toujours laisser allumées radio et télé, à éparpiller les bouquins ouverts à n'importe quelle page et à feuilleter le premier torchon venu où qu'il se trouve : les renseignements lui parviendront sans qu'il ait à les chercher. Mais sa crédibilité de héros risquant d'être entamée par un comportement de rat de bibliothèque ou de patate de canapé, il convient de justifier ses lectures ou auditions par un motif quelconque. C'est donc en cherchant sur le Net un formulaire de déclaration de douane que le héros verra passer de nombreux sites consacrés à ces Grumms négligents et gaspilleurs au point de faire de leur planète un dépotoir.
On remarquera là un autre effet du procédé sur l'écriture : l'auteur ne se torture plus les méninges pour justifier son univers mais pour justifier l'action qui amène la scène de dévoilement. En l'occurrence, comment un douanier en mission peut-il se trouver en manque de formulaire de déclaration ? On imaginera ce qu'on veut, qu'il a utilisé les derniers feuillets dans les toilettes dépourvues du papier du même nom, qu'il a par mégarde remplacé la version numérique de son e-bloc-notes avec la déclaration d'amour à sa fiancée ou que la nouvelle version du formulaire n'a pas encore été communiquée par le service interplanétaire des douanes aérospatiales deux ans après le retrait de l'ancienne. L'essentiel est d'être crédible.
- un autre procédé consiste à glisser subrepticement les informations dans des conversations très badines d'apparence. Le bavardage remplace ici les médias : n'importe quel sujet abordé par n'importe quel interlocuteur débouchera immanquablement sur un ou deux aspects de l'univers à dévoiler.
« Mais bien sûr, chère madame Apfelsturm, je serais ravi d'être des vôtres au gala de ce soir, dès que j'en aurai terminé avec les formalités administratives concernant l'introduction d'un étranger à la confédération, formalités dont la sévérité reste néanmoins compréhensible car il s'agit davantage de mesures prophylactiques que de précautions touchant à la sécurité du territoire ou au droit commercial.
– Je m'en réjouis déjà ! Il y aura le directeur de Trou de ver Corporation, et aussi Genestrauss, vous savez, le seul ethnologue à avoir réalisé une étude sur ces Grumms qui n'intéressent personne parce qu'ils ne tiennent ni à acheter ni à vendre et qui vivent au jour le jour, en autarcie, sur leur nauséabonde planète. »
Ah ! Que de cocktails mondains et de conversations de bistrot ne trouve-t-on pas en ouverture de récit pour soulager l'auteur d'une partie de sa cargaison d'informations incasables ! Tout héros de science-fiction devrait avoir des relations mondaines par brigades entières ou un sens du contact particulièrement bien développé. N'espérez pas avancer très loin dans l'exposition de votre univers avec un misanthrope agoraphobe, sinon par une maussade rumination de souvenirs.
Le problème posé par l'usage immodéré de ce procédé, outre l'alcoolisme du héros, est de s'enliser dans des bavardages excessifs aussi rédhibitoires pour l'action que l'exposé brut des données en début de chapitre. Essayez d'imaginer le monde de Dune dévoilé de la sorte : il y en aurait pour des pages et des pages de dialogues, voire même plusieurs volumes. L'autre inconvénient est une artificialité de la conversation, qui nuit à sa crédibilité si elle est trop visible :
« Il est bien regrettable que vous ayez manqué l'ouverture de ce dîner de gala à cause d'une bête disparition de formulaires de déclaration dans des toilettes !
– Oui, d'autant plus que j'avais réussi à convaincre ce fonctionnaire que le Grumm avait droit de séjour dans la confédération puisqu'il cherche à vendre par mon intermédiaire des portes stellaires qui vous expédient instantanément aux endroits où vous les avez disposées… »
L'artifice est encore plus visible si le point exposé est censé être connu de tous, dans la société où évoluent les protagonistes ; il est si banal qu'il ne mérite plus de figurer dans une conversation. On préférera donc glisser dans un assaut de mondanités des sujets susceptibles de faire débat : une situation géopolitique plutôt qu'un concept scientifique. Ces derniers sont d'ailleurs difficilement présentables en l'absence d'un spécialiste : aucun protagoniste n'a une culture étendue au point de prétendre comprendre le fonctionnement du moindre zigbull ou désorientateur de spin. En littérature générale, les personnages ne se posent pas la question de savoir comment l’agitateur de molécules permet d’élever la température d’éléments organiques. Ils utilisent tout bêtement un four à micro-ondes.
Le seul moyen d'intégrer dans un échange des éléments connus de tous est de mettre en scène un naïf dont le rôle se bornera à poser des questions sur ce que contemplent ses yeux ébahis. Avant de multiplier les personnages, profitez de ceux que vous avez sous la main. Par exemple ce Grumm qui pose pour la première fois le pied sur la planète est autorisé à poser les questions les plus stupides :
« Quel est cet appareil fièrement dressé vers le ciel et qui semble trembler de puissance continue ?
– Il est dressé vers le septième ciel et c’est un vibromasseur, ô mon frère. »
On le voit, tout de suite, l’histoire devient plus excitante.
Mais comme on ne saurait faire passer ce naïf pour plus bête qu’il n’est, car il évolue lui aussi dans un environnement familier, à l'exception de quelques détails exotiques, autant utiliser carrément un idiot intégral, un mongolien stupide qui a besoin de se faire répéter dix fois qu’un sani-broyeur n’est pas une moulinette SEB.
« Répétons, dit le douanier. Vous affirmez que ce Grumm, dont l'espèce n'a jamais tenu à vendre quoi que ce soit, tient à ouvrir des relations commerciales avec la Terre ? Et il ne s'agit de rien moins que de concurrencer les voyages à travers l'hyperespace avec un principe de téléportation ? Pourquoi alors ne voit-on jamais les Grumms sur d'autres mondes ?
– Parce qu'ils ne voyagent pas.
– Ah oui ? Et que fait celui-là dans votre vaisseau ?
– C'est pas pareil : c'est mon associé.
– Associé ? Alors que les Grumms ne fraient jamais avec les autres espèces ?
– Oui, mais lui vient vendre quelque chose.
– Je croyais que les Grumms n'avaient jamais rien à vendre. »
Etc. Vous vous arrêtez après trois tours de piste, satisfaits en outre d'avoir dans le même temps diverti votre lecteur. Cet exemple est certes un peu facile, s'agissant d'un fonctionnaire des douanes, des douanes du futur, je me hâte de le préciser au cas où certains spécimens se répartiraient dans cette salle, mais on pourra tout aussi avantageusement utiliser n'importe quel autre personnage un tant soit peu demeuré, comme le frère du héros, blessé à la tête le jour où il lui sauva la vie en pénétrant le premier au domicile conjugal après trois heures du matin, le machiniste qui compense la grossièreté de son esprit par l'intelligence de ses doigts ou n'importe quel autre comparse ramassé en cours de route. Profitez ici aussi de ce que vous avez sous la main : le dîner de gala peut très bien être organisé au profit d'un hospice pour déficients mentaux.
Tout héros de SF devrait emmener un mongolien avec lui. Le seul problème est de savoir où le cacher quand il est invité dans des soirées mondaines.
Ici aussi, le procédé peut être inversé et le héros devenir le naïf le temps de quelques échanges. Un expert commercial peut par exemple lui demander s'il croit sincèrement que la Guilde de l'espace l'autorisera à diffuser des portes spatiales qui rendront caducs les transports. Tous les arguments qu'il avancera favoriseront la compréhension de l'univers de l'auteur. Ce n'est pas pour rien que dans les anciennes séries de SF les principaux protagonistes allaient par trois, l'aventurier, le savant et la belle, qui permettaient de confronter des points de vue et de délivrer des informations appartenant à divers registres. L'aventurier analyse la situation, et expose les informations d'ordre géopolitique, le Zarkoff de service délivre les explications scientifiques, les points de vue plus généraux reviennent à la belle… ce qui permet au passage de démolir l'affirmation selon laquelle les femmes dans la SF de l'époque ne servaient que de potiches tout juste bonnes à être enlevées par des extraterrestres ; on voit ici qu'elles avaient un rôle supplémentaire, celui de dinde forçant le héros à délivrer des explications dont profitera le lecteur. Claude Ecken