Un lot de la vente Artcurial (n°128, Deauville, 19 août 2010), « Le casino de Vichy » attire notre attention. Signée Constantin Korovine (1861-1939), pionnier de l’impressionnisme russe et décorateur de théâtre, cette huile sur toile (38 *61 cm) a déjà subi l’épreuve du marteau, sans succès (Étude Martin & Chausselat, Versailles, 29 mars 2009, lot 114). Espérons que cette pièce, caractéristique de ses « notations nocturnes (qui) ont du mouvement et de l’harmonie »[1], aura plus de succès, et surtout qu’une bonne volonté permettra à cette œuvre d’entrer dans une collection vichyssoise, privée ou publique.
Constantin A. Korovine (1861-1939)
Peintre, Sculpteur, Architecte et Décorateur russe, Constantin Alexis Korovine est né le 23 novembre 1861 à Moscou. Élève à l'École de peinture de Moscou (1875-1882) dans l’atelier d'Alexis Savrasov (1830–1897), l’industriel Mamontov l’emploie dans son théâtre privé ; jusqu’en 1901, Korovine y donnera une nouvelle conception du décor.
Parcourant l’Europe, il présente à Paris « Au petit matin » (Salon de la Société des Artistes Français, 1893, n°988).
Affecté à la décoration des opéras aux Théâtres Impériaux de Saint-Pétersbourg (1898), sa peinture de chevalet souffre de la création d’une centaine de décors et costumes de ballets ou d’opéras. Pour l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, Korovine est appelé à diriger la composition et la décoration du Village russe.
Roger Marx[2] souligne « le rationalisme technique », « le sens natif des harmonies », établit « un parallèle avec Henri Rivière (1864-1951) ». Ce rapprochement est également noté par Jean Lahor « Il nous a étonnés et ravis, ce réveil de l’art populaire dû à des artistes rares, à Vasnetzov[3], surtout à Korovine, architecte et peintre admirable, ayant, comme notre Rivière, le génie du paysage décoratif »[4]. Ses réalisations, reproduites dans diverses revues, lui valent la Médaille d’Or.
Le 28 décembre 1900, Korovine est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur[5].
Dès 1901 à 1918, tout en poursuivant ses voyages, il enseigne dans diverses écoles en Russie dont l’École des Beaux-Arts de Moscou.
Membre de l’Académie de Saint-Pétersbourg en 1905, il participe à l’Exposition de l’Art Russe organisée par Serge Diaghilev (1872–1929) dans le cadre du Salon d’Automne de 1906[6].
Les expositions suivantes seront personnelles (1920, 1925).
Ainsi que nombre de ses contemporains, il fuit la Russie bolchevique pour s’installer définitivement à Paris en 1923. Dépouillé de ses tableaux, ruiné, Korovine doit alors compter sur la générosité de ses compatriotes émigrés, et relance sa peinture de chevalet , reprenant ses esquisses et dessins, créant de nouveaux paysages et portraits au fil de ses rencontres, voyages.
Ses créations pour « le Prince Igor » au Théâtre des Champs-Élysées (1929) émergent de la saison de l’Opéra Russe à Paris alors que les noctambules rêvent de la Russie éternelle en soupant et dansant au cabaret russe « Boïard’s » (rue Lécluse, Paris) décorée d’après les esquisses de Korovine.
En 1933, le Musée Galliera permet de revoir les créations d’avant guerre avec son exposition « L’Art décoratif au théâtre et dans la musique » où les œuvres de Korovine côtoient celles de Maxime Dethomas (1867-1929)[7].
Constantin Korovine décède le 11 septembre 1939 à Paris.
Korovine & le Bourbonnais
Précurseur de l’impressionnisme russe, Korovine se plait à représenter les paysages de neige et, surtout, des visions nocturnes de paysages urbains animés, au hasard de ses séjours ou voyages (Paris, Nice, la Savoie et l’Auvergne avec Vichy).
L’étude des quelques six cents pièces passées en salle de vente depuis une vingtaine d’année, nous a permis de trouver une petite dizaine de peintures concernant la cité thermale bourbonnaise outre le tableau au Musée Russe de Saint-Pétersbourg[8] cité dans le Bénézit, « Rue à Vichy » (1900).
Avec deux tableaux datés, les séjours de Korovine à Vichy peuvent être situés entre 1900 et 1926. Cependant, en l’état actuel de nos recherches, nous n’avons une certitude que pour deux séjours : celui, à une date encore indéterminée, ayant produit cette vue d’une « Rue à Vichy », et, un deuxième en 1911.
Datée de 1902, la « Place de Vichy », huile sur toile de petit format (230*315mm), ne nous est connu, pour l’instant, que par la vente Boisgirard (n°91, Paris, Drouot Richelieu, 16 juin 2004) où elle a été adjugé 30000€, trois fois son estimation. Fait-elle suite à des esquisses prises lors du séjour ayant produit la toile de 1900 ou à un autre plus récent ?
En juillet 1911, Korovine accompagne le chanteur d'opéra Feodor Ivanovitch Chaliapine (1873-1938) à Vichy qui doit se produire sur la scène du Théâtre du Casino[9].
Le 27 juillet, Chaliapine y interprète le rôle titre de Don Quichotte, comédie en 5 actes d’Henri Caïn (1857-1937) sur une musique de Jules Massenet (1842-1912). Quelques années auparavant, Korovine avait crée pour le Bolchoï les décors du Don Quichotte de Ludwig Minkus (1826-1917).
Korovine, subjugué par la lumière, passe tout l’été 1911 à Vichy, résidant au Pavillon Sévigné où les propriétaires, impressionnées par sa Légion d’Honneur, lui réservent la meilleure chambre avec vue sur les parcs, l’autorisant à y installer son chevalet. Komarovskaia mentionne ce séjour comme très productif bien que les toiles sur Vichy, composées à un sens de la mise en scène, demeurent rares.
Trois toiles représentent le Théâtre du Casino ou ses environs : deux paysages urbains animés diurnes et un nocturne.
Prise de jour, une vue du Casino, dans un format tout en hauteur (61*50cm), est apparue une première fois à Marseille où elle a été adjugée 15000€ (Damien Leclere, 1er novembre 2008) sous le titre imprécis de « Vue de Vichy ». Cette huile sur toile réapparait dans la même Étude en mars 2010, sans succès. Plus statique, ouatée comme ces après-midis d’été, chauds et languissants, que connaissent les cités thermales, et qui n’incitent pas à partager l’intimité. Le lieu est d’ailleurs moins animé. Les quelques personnages regardent ou se dirigent vers l’Opéra où se trouve, peut-être, la fraîcheur ! Seule, la femme attablée, dans l’ombre d’un feuillus, devant quelque boisson rafraîchissante tourne le dos à l’édifice, écrasé par un ciel qui recouvre plus du quart de la surface peinte.
Lors de la vente Damien Leclere du 1er novembre 2008, une autre huile sur toile était présentée sous le titre « Entrée du parc thermal à Vichy » (n°105, 40*61cm). Estimée entre 15000 et 20000€, elle ne trouva aucun acquéreur. Située au carrefour des rues du Casino, Wilson, Georges Clemenceau, la vue est prise en venant de la rue de la Source de l’Hôpital. Cette vue perspective présente à gauche la verdure des feuillus de l’allée bordant le parc thermal, à droite l’immeuble de l’ancien Hôtel Astoria. Les ombres des personnages indiquent une matinée d’une cité thermale…
La toile qui nous a conduit dans le sillage de Korovine est, nous l’avons mentionné, caractéristique de son style. Elle traduit l’instant, en dégage l’âme. Cette vue du « Casino du Vichy » nous invite à rejoindre les noctambules dans la suite de leur soirée, à l’issue d’un spectacle à l’Opéra qu’ils quittent vers d’autres lieux animés de la cité.
Nous aurions pu les rejoindre au « Café à Vichy », huile sur toile adjugée 15300€ (61*50cm, Finlande, Vente Bukowskis à Helsinki le 11 février 1996), presque au double de son estimation. Ou sur ces terrasses désertées du « Vichy », huile sur toile (69*97cm) de grand format vendue 235885€ par Sotheby's (New York, 5 novembre 2008)
Nous les retrouvons au croisement des rues de Paris et Gorges Clemenceau, avec cette vue prise de la rue Lucas face à l’immeuble occupé, actuellement, par un opérateur mobile : « Vichy », huile de petit format (355*270mm) adjugée 13000€, au-dessous de son estimation (Boisgirard, 2 décembre 2009).
Une toile identique, plus lumineuse et plus panoramique (38*46cm), était présentée avec le même titre« Vichy », quelques mois plus tôt, par Artcurial (Deauville, 22 août 2009) pour une estimation de 15000 à 20000€ et comme datée de 1926.
Vous retrouverez Korovine et d’autres peintres et graveurs dans notre prochain ouvrage « Vichy & ses peintres » à paraître fin 2010. Pour plus de renseignement, me contacter.
Suivez cette notice. Les réponses à des demandes de renseignements et de documents qui ne nous sont pas encore parvenues seront l’objet de mises à jour.
Bibliographie :
Roger Marx « Les arts à l’Exposition Universelle de 1900. La décoration et les industries d’art », La Gazette des Beaux-Arts, 1900, pp.397-421.
Roger Marx « Les arts à l’Exposition Universelle de 1900. La décoration et les industries d’art », La Gazette des Beaux-Arts, 1900, pp.136-168.
Roger Marx « La décoration et les industries d’art à l’Exposition Universelle de 1900 », 1901, Delagrave édit.
Charles Saunier, « Roger Marx et l'Art décoratif du temps présent », La Plume mars 1902, pp.402.
La Revue du Bien, février 1903.
Paul Jamot, « Le salon d'automne (2e et dernier article) : L'exposition de l'art russe », La Gazette des Beaux-Arts, Janvier 1907, pp.43-53.
« Des impressions parisiennes », exposition 1920.
« Œuvres récentes de Constantin Korovine (La Riviera et Paris) », Bernheim Jeune & Cie, 1925.
N.I. Komarovskaia , « O Korovine Konstantine », 1961.
R. Vlasova, « Constantin Korovine and his works », Léningrad, 1970.
Valentine Marcadé, « Le renouveau de l'art pictural russe, 1863-1914 », L'Âge d'Homme, 1971, 395 p.
Sophie Monneret, « L'impressionnisme et son époque: dictionnaire international illustré », 1981, Volume 3
Jean Jacques Lévêque, « Les années de la Belle Époque: 1890-1914 », www.acr-edition.com, 1991, 725 p.
Dr Mikhaïl Guerman, « Impressionnistes et Postimpressionnistes russes », collection "écoles et mouvements", Ed. Parkstone, 1998, 200p.
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[1] Paul Jamot « Le salon d'automne (2e et dernier article) : L'exposition de l'art russe », La Gazette des Beaux-Arts, Janvier 1907, pp.43-53.
[2] « Les arts à l’Exposition Universelle de 1900. La décoration et les industries d’art », in La Gazette des Beaux-Arts, 1900, pp.405-406, avec des dessins de René Binet (1866-1911), l’architecte de la porte Monumentale, qui reproduisent les œuvres de Korovine.
[3] Viktor Mikhailovich Vasnetsov (1848-1926)
[4] « L’art populaire », in La Revue universelle, 1902, n°53, p.3.
[5] Mes remerciements à Monsieur Thomas, Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, qui a bien voulu consulté ses dossiers suit à ma demande téléphonique.
[6] Rappelons que ce salon compte parmi ses membres fondateurs, le peintre et graveur Lopisgich qui en assura le secrétariat général jusqu’en 1907.
[7] M. Dethomas illustra « Amica, America » de Jean Giraudoux (Émile Paul frères, 1918).
[8] Nous restons dans l’attente d’une réponse à une demande de renseignements et de reproduction pour cette œuvre.
[9] Mes remerciements à Fabien Noble (Musée de l’Opéra de Vichy) pour ses indications sur Chaliapine.