Sans le vent qui secoue le télescope et fouette nos visages de son sable poussiéreux, l'instant serait presque parfait. J'ajuste la lentille, assez pour entrapercevoir les anneaux de Saturne tandis que le soir tombe, pendant que les autres s'acharnent à éteindre un lampadaire perdu, seul relique civilisée dans ces collines désertées. Entre les hauteurs, quelques lointaines lumières dansent dans l'obscurité - celles d'une colonie juive, d'une ville palestinienne peut-être, à moins qu'elles ne soient déjà jordaniennes. Qu'importe. Le noir s'épaissit, apparait peu à peu la voie lactée qui laisse soudain filer une étoile, illuminer le ciel un court instant, puis une autre. La première nuit perséide commence.
Une myriade d'étoile semble éclairer une nuit sans lune. La pluie de météores annoncée est une légère bruine. Allongée à même le sol sur des nattes tissées, je laisse mon esprit vagabonder entre les constellations, oublie peu à peu les échos des paroles qui m'entourent, et les grattements des touffes d'herbe drue jaunie par la sécheresse. La décision est prise, c'est la bonne. Tout n'est plus qu'une question de semaines. Je rentre dans l'armée pour deux ans, probablement plus tôt qu'initialement prévu. Mon champ de bataille sera celui des idées.
Je repasse dans ma tête les événements de ces derniers jours, les discussions nocturnes sans fin avec les copains, les cousins, et ma maman, justement de passage à Jérusalem. La tension accumulée s'échappe par vagues dans les bourrasques de vent frais. Je m'imagine en uniforme vert olive dans les rues de Tel Aviv, apprivoise doucement ce sentiment d'appréhension légère mêlée d'excitation.