La couverture de Marianne du 7 août 2010
Ils étaient sûrs de leur coup. Mais ils ont craqué, tellement ils n'ont pas apprécié la couverture de la dernière édition de Marianne, « Sarkozy, le voyou de la République », placardée sur nombre de kiosques à journaux de la République. Brice Hortefeux faisait pourtant tout son possible pour s'afficher quotidiennement sur nos écrans médiatiques. Mais le piège sécuritaire prend mal. La gauche n'a pas hurlé autant que Sarkozy l'espérait contre ses propos; l'enquête à Grenoble progresse à son rythme, c'est-à-dire trop lentement aux yeux du patron. Et voici que la polémique change de terrain à cause d'un hebdomadaire indépendant...Arroseur arrosé
Mercredi, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU ) fustige « une recrudescence notable du racisme » en France, s'inquiète de l'absence de vraie politique publique ... C'est la seconde fois en deux mois que la France est ainsi prise à partie. Le 15 juin dernier, le Conseil de l'Europe dénonçait un « climat de xénophobie. » C'était avant le discours de Grenoble. Mais ces protestations internationales ne gênent personne en Sarkofrance. Les proches du président enragent, mais pour d'autres motifs : ils croyaient leur piège bien tendu. Mais personne ne conteste la montée de l'insécurité, et leur patron est traité de ... voyou.
A l'UMP, on était prêt à tout pour que la polémique sécuritaire prenne son envol. Même à se vanter d'un boum des adhésions au parti sarkozyen depuis le 23 juillet grâce au discours de Grenoble ... du 30 juillet. Il faut avouer que l'UMP a perdu 170 000 adhérents depuis 2008. L'heure est grave. Mais le weekend dernier, certains nerfs ont craqué. Ils attendaient la confrontation sur les propositions du patron. L'été aidant, la presse magazine s'endormait à coup de dossiers sur Dieu, Voltaire, l'amour, ou le sexe. Mais voici que Marianne a tapé fort.
Nadine Morano, fidèle du Monarque, fut la première à dénoncer l'outrage. Patrick Ollier, député UMp et compagnon de la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie suggéra à Sarkozy de porter plainte. Lionnel Luca, ce nouveau chantre de la droite populaire compara Marianne à la presse fasciste des années 30. Qu'avait donc dit Jean-François Kahn dans cette funeste édition ? Une chose bien simple, un constat évident : Sarkozy est aussi pragmatique que les petits caïds de banlieue qu'il aime à fustiger sur ses estrades de province. Depuis le discours de Grenoble, l'insécurité est à nouveau devenue un sujet médiatique. Il y avait péril en la demeure. En quatre années de ministère de l'intérieur puis trois années de mandat présidentiel, Sarkozy a laissé filer l'insécurité contre les personnes : plus de 100 000 atteintes supplémentaires aux personnes ont enregistré cette année par rapport à 2002.
Depuis le 30 juillet, on a tout entendu, le pire et le plus stupide. La France devrait être purgée de ces voyous, fussent-ils Français. L'immigration «depuis 50 ans» serait un «problème majeur.» Tuer un policier serait plus grave que massacrer une grand-mère. L'excision ou la polygamie sont des motifs de déchéance de la nationalité. Ou encore, «Français ou voyou, il faut choisir», une formule choc de Christian Estrosi, ce ministre et maire de Nice, ancien fidèle de Jacques Médecin dans les années 80, mise en cause en 1993 dans ce qu'il qualifia de « cabale », une affaire de détournement de subvention publique dans le Golf de Nice. Même Sarkozy a pris peur : « il ne faut pas qu'on se caricature nous-mêmes » a-t-il expliqué. Trop tard, sans doute.
Comme pour achever le débat, Marianne publie ce samedi un contre-sondage, réalisé cette fois-ci par téléphone, sur le bilan et les causes de l'insécurité : les résultats sont bien plus nuancés que les affirmations élyséennes, sondage du Figaro à l'appui. 73% placent les inégalités sociales en tête des explications. 66% aimeraient déchoir de leur nationalité... les évadés fiscaux. Mais surtout, 70% des sondés jugent Sarkozy inefficace. La claque, pour l'argumentaire sarkozyen, est monumentale.
Hortefeux est partout... inefficace.
Nicolas Sarkozy, lui, est aux abonnés absents. Préférant se montrer à vélo avec son fils, le prince Jean, ou flânant en bras de chemise blanche, cheveux grisonnants et barbe de trois jours comme un Tony Montana de pacotille, il veille cependant au grain : « je sais que ce n'est pas le meilleur » a-t-il confié à un proche, rapporte le Canard Enchaîné. Du Monde au Figaro, on nous a expliqué dans le détail que cette affaire sécuritaire était concoctée par Claude Guéant, le grand vizir de l'Elysée, depuis l'échec des élections régionales. Pendant l'été, pas question de lâcher la pression. C'est le grand moment. Sarkozy a donné ses consignes à son exécutant Brice Hortefeux. Il doit être partout, tous les jours. On voit donc le ministre de l'intérieur sillonner la France entière. Après Grenoble, il était à Perpignan (samedi) puis à Bobigny (lundi), en Auvergne (mercredi), à Lyon (jeudi), dans le Puy-de-Dôme (vendredi). A chaque fois, il affiche la mine sérieuse et grave, félicite les forces de l'ordre, menace les voyous : « ma méthode, c'est l'action. » Pour masquer la misère de ses moyens et de ses résultats, il exhibe des chiffres souvent ridicules : ainsi la police aura-t-elle 65 voitures rapides pilotées par des policiers entraînés sur circuit pour traquer les chauffards sur les routes de vacances; 200 autres véhicules, soit 0,7% du parc automobile de la police, seront équipés de dispositif de reconnaissance de plaques; 12 hélicoptères dotés de caméras thermiques serviront à suivre les voyous... Déjà une quarantaine de campements sauvages de Roms ont été détruits. Qu'importe si les familles doivent être relogées ensuite, dans d'autres abris de fortune. On n'oubliera pas que Sarkozy lui-même, quand il présidait le Conseil général des Hauts-de-Seine, n'avait fait construire que 10% des aires d'accueil requises par la loi. A Grenoble cette semaine, la banlieue de Villeneuve a connu une seconde opération policière. Toujours à l'aube, toujours massive, toujours avec caméras et journalistes. Cette médiatisation agace les policiers. Ils savent bien qu'identifier et confondre les complices du braqueur tué il y a trois semaines et des violences qui s'en suivirent est complexe, et demande temps et discrétion. Deux paramètres que ni Sarkozy ni Hortefeux ne veulent accepter.
Un responsable syndical départemental a rappelé le manque de moyens. Pour anticiper, prévenir voire réprimer, il faut des effectifs, pas des discours ni des caméras. A Grenoble, grâce aux violences, des renforts permanents ont été attribués aux équipes locales. Grâce aux violences... triste constat. A Perpignan, le ministre se félicitait des 84 caméras de surveillance, bientôt 100, installées dans la ville. Deux jours plus tard, patatras... Lundi soir, trois policiers se retrouvent encerclés puis battus par une cinquantaine de personnes dans le quartier du Moyen-Vernet. Alors, monsieur le ministre, à quoi servaient vos caméras ?
Brice Hortefeux a même retrouvé son épouvantail, le symbole de sa lutte du moment, son obsession : Lies Hebbadj, le mari de cette musulmane en Burqa verbalisée en avril dernier. Islam, polygamie, fraude aux allocations, tout y était. Mieux, l'homme avait été mis en examen vendredi pour viols aggravés, sur plainte d'une ancienne compagne. Brice Hortefeux ne se contrôle plus, il jubile. A la radio, ce ministre de la République condamné pour injures raciales en première instance le qualifie de présumé coupable. Mais mardi, l'avocat de l'accusatrice - oui, l'accusatrice à l'origine de la plainte contre Lies Hebbadj - s'est dit surpris « qu'un ministre s'exprime en tenant des propos très étonnants d'un point de vue juridique avec la ‘ présomption de culpabilité ' déclare rappelle une évidence du droit français »... Arroseur arrosé... Trois jours plus tard, le ministre s'excuse à peine : c'était « mon opinion. »
Samedi, un jeune de 15 ans se noie près de Mantes-la-Jolie, en voulant échapper à la police. Il roulait sans permis, vers minuit, feux éteints, avec la voiture de ses parents. La police est embarrassée, le procureur local également. Personne ne souhaitait cette mort accidentelle. Brice Hortefeux, a attendu deux jours pour réagir. Il a regretté lundi cette « mort 'd’autant plus inacceptable qu’elle fauche une vie encore toute jeune', mais néanmoins bien connue des services de police ».
Emploi, le bilan caché d'Eric Woerth
Dans la torpeur de l'été, le ministère du Travail a rendu public le bilan de l'emploi en 2009, réalisé par la DARES. Eric Woerth n'était pas là pour commenter, pour cause de repos dans son 60 mètres carrés de Chamonix, loin de Liliane Bettencourt. Les analystes se sont concentrés sur la principale nouvelle : l'an passé, la France a perdu 255 000 emplois salariés. Mais ce rapport révélait d'autres trésors. En additionnant les chômeurs enregistrés (toutes catégories confondues), soit 4,4 millions de personnes, les temps partiels contraints (y compris le chômage technique), soit 1,1 millions de personnes, et les chômeurs cachés, soit 850 000 personnes, ce sont plus de 6,3 millions de Français qui sont sous-employés et aimeraient davantage de travail.
Cette nouvelle sonne comme un désaveu pour l'argumentaire sarkozyen. Primo, la défiscalisation des heures supplémentaires depuis octobre 2007 ne sert à rien, sauf à plomber de 2 ou 3 milliards d'euros le budget de l'Etat. A quoi bon subventionner les heures sup quand plus de 20% de la population active ne travaille pas suffisamment ? Deuxio, les discours lénifiants sur le moindre soubresaut baissier du chômage de catégorie A paraissent bien dérisoires. Autre enseignement, précieux en ces temps de réforme des retraites, le taux d'activité des seniors a bien progressé. Sarkozy, et son Wauquiez chargé de l'Emploi nous l'ont redit et répété, quitte à confondre (volontairement) activité et emploi : être actif dans les statistiques ne signifie pas avoir un travail. Et les seniors pointent désormais plus rapidement et en plus grand nombre au chômage. En cause, la crise, et ... le durcissement des conditions d'accès à la dispense de recherche d'emploi (les préretraites). En d'autres termes, Sarkozy a transformé nombre de pré-retraités en ... chômeurs. Bravo ! Le rapport lève aussi le voile sur les fameuses mesures d'accompagnement social mises en oeuvre par le gouvernement Sarkozy, contraint et forcé par la crise. Rappelez-vous le chef de Sarkofrance nous rappeler à chaque sommet social combien il avait boosté le nombre de contrats de transition professionnelle. Ô surprise ! La France comptait moins de contrats aidés en 2009 qu'en 2007 avant la récession !
Ce même bilan nous rappelle que la première cause de sortie des statistiques officielles du chômage n'était pas la reprise d'un emploi, ou d'un stage, mais la cessation d'inscription administrative. Le Canarde Enchaîné, ce mercredi 11 août, s'attardait d'ailleurs sur la procédure à la mode, chez Pôle Emploi, pour « rencontrer » les chômeurs : le rendez-vous téléphonique. Ratez l'appel du conseiller, et vous êtes radiés.
Et pour le reste ?
Il paraît qu'on ne parle plus de l'affaire Bettencourt.
On aurait pu parler des jeux en ligne. Le dircab d'Eric Woerth est mouillé dans un autre conflit d'intérêt. Voici que la justice vient d'exiger des fournisseurs d'accès à internet qu'ils interdisent l'accès à un site de pari illégal. Hadopi attend toujours sa mise en service. Mais quand il y a du vrai argent et de solides intérêts en jeu, la justice est plus rapide. On aurait pu applaudir les bons résultats de la chasse à la fraude sociale : l'an passé, l'URSSAF a récupéré 70% de mieux que l'année précédente, 781 millions d'euros de cotisations sociales que deux tiers des entreprises contrôlées en 2009 avaient omis de payer ! Au gouvernement, personne ne s'est félicité. Il y a trois ans, Eric Woerth, alors ministre du Budget, avait désigné d'autres boucs-émissaires, les salariés, les assistés, les chômeurs, les travailleurs clandestins.
On aurait pu applaudir la reprise d'Alcan EP, ex-Péchiney, enfin cédé par son propriétaire australo-britannique Rio Tinto grâce aux efforts du Fond Stratégique d'Investissement créé par Nicolas Sarkozy fin 2008. Mais Alcan EP ne fait que changer de mains ... anglosaxonnes. Le FSI a obtenu des « garanties » : il aura 10% du capital, trois sites français (sur treize) seront maintenus, et ... le siège social restera à la Défense. Du côté du maintien de l'emploi, ... rien. La réindustrialisation de la France, des fausses promesses de Saint-Nazaire aux usines d'aluminium d'Issoires, a du plomb dans l'aile.
On attendait la confirmation brésilienne de la commande des Rafales de Dassault. Elle était annoncée en octobre, puis reportée en février, puis en avril, puis en mai, puis pour la fin juillet. Hervé Morin, le ministre de la Défense, ronge son frein. Le Brésil est fâché. La France bloque toujours les importations du boeuf brésilien, dans les discussions reprises en mai dernier sur la libéralisation des échanges agricoles entre les Etats du Mercosur et l'Union européenne.
On aurait pu se désoler pour Roselyne Bachelot. La ministre de la Santé voulait créer des salles de drogue. Une proposition qui, à droite, fait bien tâche. Xavier Bertrand n'a pas apprécié. Et François Fillon, pourtant en vacances et très silencieux depuis le 30 juillet (au grand dam de Sarkozy), a fait connaître son hostilité.
Et l'affaire Bettencourt, alors ? Les enquêtes progressent. Trois collaborateurs du procureur de Nanterre se relayent pour suivre, vérifier, compléter les dossiers. Philippe Courroye, lui, passe quelques weekends à la montagne.
A Chamonix ?
Ami sarkozyste, où es-tu ?