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L'écriture de la SF (2)

Publié le 14 août 2010 par Zebrain
291482794.jpg Du temps où les auteurs de SF se préoccupaient moins de technique d'écriture que de leurs idées, les exposés nécessaires à la compréhension du récit étaient délivrés d'entrée de jeu, en une indigeste masse de données. L'arrivée de notre vaisseau spatial, pour un auteur de hard-science, aurait par exemple donné ceci :
« La vitesse de 65 km/s était encore trop élevée, car le vaisseau avait mal profité du freinage gravitationnel en passant au large de Jupiter. L'ordinateur de bord calcula immédiatement la puissance supplémentaire qu'en compensation les moteurs devraient délivrer. Les réservoirs de deutérium et d'helium3 crachèrent 1000 tonnes par seconde de combustible supplémentaire dans les réacteurs à fusion. Dans la chambre de confinement du plasma, les produits de réaction libérèrent une énergie équivalente à 1014 joules par kilo, qui permit d'atteindre une vitesse d'éjection de 0,047 c pendant une durée suffisante pour que le vaisseau puisse se stabiliser sur l'orbite géostationnaire qui lui avait été assignée. Le champ électromagnétique des chambres de confinement fut coupé tandis que le liquide cryogénique se déversa sur le pourtour de l'enceinte de titane des moteurs dont les défauts étaient régulièrement corrigés par des nanoprocesseurs comblant atome par atome les vides dus à l'usure et la surchauffe. Il n'y avait plus qu'à attendre l'arrivée de la navette douanière. » Quelques 170 pages plus loin, le lecteur découvrira donc avec intérêt les charmes de la Terre du futur, augmentées de notations géologiques, écologiques et hygrométriques pour qu'on puisse bien se rendre compte à quel point elle a changé. Malgré la puissance des réacteurs à fusion, on voit combien cette masse de détails est un frein à l'action. Notons toutefois qu'il n'y a pas à réellement parler d'interruption de l'action : celle-ci n'a tout simplement pas encore commencé.
1348407185.jpg Une autre méthode consiste à distiller les détails dans le flot de l'action afin de les rendre plus digestes. Dans le cadre d'un space-opera, cela donnerait ceci : 
« Mark Starr prépara les divers documents que les services douaniers lui réclameraient. La navette fonçait déjà dans sa direction, mais à une si vive allure que l'atmosphère ionisée surchauffée rendait pour l'instant impossible toute communication. C'était un Dys-VIII, un de ces nouveaux modèles rendus très maniables par la présence de moteurs latéraux. La dernière fois qu'il était venu fourguer de la marchandise sur Terre, les contrôleurs utilisaient encore d'antiques Eperviers à combustion hydrogène-oxygène. Le bond technologique avait de quoi affoler : pour être en mesure de se payer pareils engins, les taxes à l'importation avaient dû sensiblement augmenter. Mark coupa le champ électromagnétique de quelques milliTesla qui protégeait le vaisseau du rayonnement cosmique afin de permettre à la navette d'accoster. » C'est déjà mieux. Mais les digressions restent visibles et elles peuvent devenir irritantes quand elles se multiplient, dans certains nœuds de l'intrigue où les informations sont abondantes. C'est le cas quand des informations techniques et d'autres liées à la société se télescopent :
« Vos refroidisseurs ne sont plus très performants. La température à proximité du sas dépasse encore les mille degrés. J'espère pour vous qu'ils sont vraiment en panne. »
271353692.jpg En effet, les sas se situant dans l'axe du vaisseau, à proximité des propulseurs, les contrebandiers utilisaient ce prétexte pour gagner du temps lors des opérations de contrôle inopiné et dissimuler les marchandises prohibées. Bien sûr, seuls les moteurs de décélération avaient fonctionné, mais il était impossible de pénétrer par l'autre côté car la navette de Mark stationnait là.
« J'aimerais bien couper la gravité artificielle, proposa Mark, mais j'ai à bord un extraterrestre qui n'a jamais connu l'impesanteur. »
Le sas de secours demeurait effectivement impraticable tant que le vaisseau tournait sur lui-même pour assurer une pesanteur à bord.
« Il n'est pas de la confédération ? »
Inutile de perdre du temps à justifier cette réplique. On voit bien qu'à chaque phrase un paragraphe d'explication est nécessaire, ce qui peut rend n'importe quelle intrigue passablement décousue si on n'y prend pas garde.
Après la hard-science et le space-opera, voyons comment un récit de SF traditionnelle traiterait ce passage :
« A peine le vaisseau spatial en orbite autour de la Terre, Mark vit accoster la navette des douaniers pour un contrôle de la cargaison. » En effet, pourquoi s'embarrasser de détails techniques, sachant que l'on aura de toute manière d'autres écueils du même type à surmonter quand sera venu le moment d'aborder le vif du sujet ? Peu importent donc les caractéristiques techniques de la boîte de conserve du futur.
Il en va de même en fantasy :
« Les ailes du dragon décrivirent une parabole autour du donjon. Le chevalier Mark-Qui-Touche-Les-Etoiles était encore sur son fier destrier quand il vit les archers venir à sa rencontre. » L'inclusion de détails au fur et à mesure des besoins induit un autre effet pervers, à savoir que le lecteur a une mauvaise perception de l'univers au début du récit. Des pans entiers de l'organisation sociale lui sont soudain dévoilés, qui l'amènent à réviser son jugement premier. Ces révélations inopinées ressemblent à des réajustements successifs auxquels l'auteur aurait procédé pour se sortir des ornières de son intrigue.
552148562.JPG Le héros sera-t-il arrêté par les autorités pour avoir illégalement voyagé avec un extraterrestre étranger à la Confédération, un de la pire espèce qui plus est, un Grumm sale, indolent et gaspilleur ? Non, car il exhibe au dernier moment un texte de loi autorisant le déplacement de tout étranger désireux de faire du commerce et que, pour la première fois depuis la découverte de leur planète, c'est le cas avec ce Grumm.
Un des douaniers surpris par l'arrivée du Grumm en question, plus malodorant que menaçant nonobstant sa quadruple rangée de crocs cariés, et ayant eu le mauvais réflexe de tirer des projectiles paralysants dans sa direction va-t-il créer un incident diplomatique sans précédent, voire susciter une réaction d'une sauvagerie inouïe ? Non ! Car c'est à ce moment seulement que l'on apprend que la rotation du vaisseau assurant la gravité artificielle induit une force de Coriolis perpendiculaire à son mouvement, de sorte que les balles paralysantes sont déviées avec une intensité égale au double du produit de la pulsation de rotation Omega par la vitesse v de l'objet. Ce sera donc Mark qui se prend tout dans la poire.
Les explications délivrées au fur et à mesure risquent fort de ressembler à un deus ex machina du plus mauvais effet sur le lecteur.
La juxtaposition ne donnant donc que peu de résultats satisfaisants, l'auteur a intérêt à intégrer l'information dans l'action. Plusieurs techniques ont fait leurs preuves ; elles peuvent encore servir à condition de dissimuler le procédé pour éviter justement qu'il soit reconnu comme tel. Claude Ecken

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