« II est extraordinaire qu'on puisse mettre tant de mystère dans tant d'éclat » (Stéphane Mallarmé, parlant de Gauguin,exergue du premier chapitre de noa noa)
« Pourquoi êtes-vous allé àTahiti ?
—J'avais été séduit une fois par cette terre vierge etpar sa race primitive et simple ; j'y suis retourné et je vais y retourner encore. Pour faire neuf, il faut remonteraux sources, à l'humanité en enfance. L'Eve de mon choix est presque un animal ; voilà pourquoi elle est chaste, quoiquenue. Toutes ces Vénusexposéesau Salon sont indécentes,odieusement lubriques...
M. Gauguin s'arrêta brusquement de parler, la face un peu extatique tournée vers une toile pendue au mur, représentant des femmes tahitiennes dans la forêt cierge.
•—• Avant de partir, reprit-il au bout de quelques secondes, je vais faire paraître avec mon ami Charles Morice, un livre où je raconte ma vie à Tahiti et mes impressions d'art. Morice commente en vers l'œuvre que j'en ai rapportée. Cela vous expliquera pourquoi comment j'y suis allé.
—Le titre de ce livre ?
—Noa Noa, ce qui veut dire, en tahitien,odorant ce sera : Ce qu'exhale Tahiti. » (L'Écho de Paris, 13 mai 1895.)
« Au milieu de tant de noirceur( l’auteur se refere ici à la vie de l’artiste), NOA NOA semble bien être la seule émergence de bonheur que Gauguin exprime autrement que par ses tableaux. Là est le Tahiti lumineux qu'il espérait trouver: parti pris de joie et de vitalité; émerveillement devant un pays et un peuple fascinants ; passion d'un homme de plus de quarante ans pour une Tahitienne de treize ans qui le rajeunit et stimule son art. NOA NOA gomme les affres de l'isolement, ceux de la maladie et du dénuement. Ombre et soleil, enfer et paradis, Gauguin a toujours été plus proche des premiers, et c'est aussi pour cela que NOA NOA, texte serein et rugueux tout à la fois, nous touche profondément.
Mais la fatalité s'acharne sur cette œuvre brève autant que sur le peintre lui-même. Il faudra attendre soixante-trois ans pour que NOA NOA sorte de l'ombre et reprenne vie. Et si le chemin de Gauguin, plein de bruit et de fureur, fascine toujours, l'histoire du manuscrit de NOA NOA ne manque pas d'étonner. » j.marie dallet.preface à noa noa .edition avant & apres. tahiti.manuscrit de 1893.
C'est à Paris, en effet, que Noa Noa prend corps. De retour dans la capitale après deux années d'absence, Gauguin est bien décidé à reconquerirsa place sur la scène artistique française. Lorsqu'ilquitta la France pour Tahiti, il était à l'avant-garde du mouvement symboliste en plein développement et, en revenant en 1893 avec soixante-six tableaux et plusieurs sculptures, il espérait que ce bagage - en plus de lui rapporter des fonds dont il avait désespérément besoin - saurait convaincre ses collègues de son grand talent et de ses capacités de production. Une fois rentré dansson pays, il batailla pour faire comprendre et apprécier son art polynésien au public français. L'organisation d'une exposition à la galerie Durand-Ruel(qui fut un échec) lui offre l'occasion de faire connaître ses nouveaux travaux. Mais l'artiste a conscience que les œuvres rapportées de Tahiti ne peuvent être présentées sans un minimum d'éclaircissements.
Oublié dans un grenier pendant plus de quarante ans, ce premier manuscrit qui ne porte encore aucun titre, restera longtemps ignoré. Le récit est rédigé dans un style journalistique, direct et imagé, livré au fil de la plume selon un trame de souvenirs choisis.C'est à partir de ce texte initial que sont élaborées les versions postérieures de Noa Noa.
Mais Gauguin doute, à tort, de ses qualités d'écrivain. « Il n'est pas — comme il l'écrit à Daniel de Monfreid — du métier ».
« Cette collaboration a eu de ma part deux buts. Elle n'est pas ce que sont les autres collaborations, c'est-à-dire deux auteurs travaillant en commun. J'avais eu l'idée, parlant des non-civilisés, de faire ressortir leur caractère à côté du nôtre, et j'avais trouvé assez original d'écrire (Moi tout simplement en sauvage), et à côté le style d'un civilisé qui est Morice. J'avais donc imaginé et ordonné cette collaboration dans ce sens ; puis aussi, n'étant pas comme on dit du métier, savoir un peu lequel de nous deux valait le mieux ; du sauvage naïf et brutal ou du civilisé pourri » (c’est moi qui souligne ici)
Le 3 juillet 1895, l'artiste repart pour l’Océanie emportant avec lui une copie inachevée . C'est elle qui forme le texte du manuscrit « dit du Louvre » préservé plus tard par Daniel de Monfreid et finalement offert par lui aux Louvre, après la mort du peintre et des démêles judiciaires avec sa famille
Gauguin, de son ile, adjura par lettre Mme Morice de prier son mari qui continuait la rédaction à Paris de ne pas continuer à surcharger le récit et de n'en point gâter la saveur d'origine, par de nouvelles contributions poétiques, (lettre de février 1899).
« Je vous en prie, croyez-moi un peu d'expérience et d'instinct de sauvage civilisé que je suis. Il ne faut pas que le conteur disparaisse derrière le poète. Un livre est ce qu'il est... incomplet - soit... cependant — si par quelques récits on dit tout ce qu'on a à dire ou faire deviner, c'est beaucoup. On attend des vers de Morice, je le sais, mais s'il y en a beaucoup dans ce livre toute la naïveté du conteur disparaît et la saveur de Noa Noa perd de son origine. » (C’est moi qui souligne ici).
Morice passa outre. Dès 1897 il donne des extraits à la Revue Blanche et, en 1901, il réalise même, à compte d’auteur aux Editions de La Plume, un NOA NOA publié sous les deux noms et qui fit grincer des dents à l’artiste perdu au fin fond de l'Océanie. Morice garda aussipour lui le bénéfice de la publication.. Malgré tout le poète a conservé le manuscrit original. Il le vendra, en 1908, bien après la mort du peintre, au marchand d'estampes Edmond Sagot
il faudra attendre 1966 pour que Jean Loize publie chez l’ éditeur parisien, André Balland le NOA NOA écrit par Gauguin, accompagné de notes critiques
« Il existe donc deux versions de Noa-Noa, différant assez sensiblement l'une de l'autre ; la première que l'on pourrait appeler version Morice, la seconde version Gauguin. Elles sont les deux rameaux divergeant d'un tronc commun. Cette divergence, on a réussi à la faire remonter jusqu'à l'origine du livre, dont Morice s'attribue l'idée, tandis que Gauguin la revendique. »rene huygue présentation de l’ancien culte mahorie.
De retour en Océanie ,à l’abri de toute contrainte éditoriale, l'artiste va user d'une entière liberté pour enluminer son manuscrit Pour un ouvrage qui n'est plus destiné qu'à lui-même, il compose un audacieux mélange d'une complète autonomie décorative formant un contrepoids visuel important au texte.Après avoir renoncé à recopier les poèmes de Morice, l'artiste préfère utiliser les pages blanches de son album pour introduire une abondante iconographie, réunie sous forme de séquences visuelles assez longues. Il puise dans la collection d'études, dessins et aquarelles qu'il conserve dans un carton.L'artiste introduit dans son album des gravures sur bois créées à des dates différentes. Il colle également plusieurs titres gravés et illustrés de son journal satirique, Le Sourire, paru àTahiti d'août 1899 à avril 1900. Cette iconographie postérieure à son premier séjour sur l'île constitue une manière originale d'élargir le champ chronologique de Noa Noa et de faire du livre une œuvre irréductible à toute définition étroite du sujet et du genre.
Dans un ultime manuscrit illustré, réalisé aux Marquises en janvier-février 1903, Avant et Après, il exposait ainsi sa conception de l'illustration, mise en pratique quelques années plus tôt avec NoaNoa : « Croquis de toutes sortes, au hazard ( !)] de la plume, au hazard de l'imagination ; tendances folles. Mais ce n'est pas de l'illustration. Pourquoi de l'illustration ? n'avez-vous pas la photographie ? Mais ce n'est pas sérieux ? Vous vous trompez -c'est ce qu'il y a de plus sérieux ; le reste c'est de l'exécution. L'instrument ne vient qu'après. »
À mon arrivée à Papeete mon devoir (chargé d'une mission) était d'aller faire ma visite au gouverneur le nègre Lacascade, célèbre par sa couleur, par ses mauvaises mœurs, par ses exploits antérieurs à la banque de la Guadeloupe, récemment par sesexploits aux îles Sous-le-Vent.
. Ce fut donc avec tristesse, et peut-être l'arrogance du dégoût sur le visage que je fis ma visite chez le gouverneur, le nègre Lacascade.
Je fus reçu avec courtoisie, du reste étant annoncé •; comme peintreparle ministère des Colonies, avec défiance. Ce métier rare à Tahiti étant peu. probable,Celui d'espion politique plus supposable
[Variante : A dix heures du matin je me présentai'•: chez le gouverneur Lacascade qui me reçut comme un I homme d'importance à qui le gouvernement a confié I une mission(enapparenceartistique)mais surtout d'espionnage politique. Je fis tout mon possible pour dissuader le monde politique, ce fut en vain. On me croyait payé,j'assurai le contraire.]
Je me retirai : ce fut tout. Et tout le monde à l'envi de me croire autre chose que je n'étais. Et cependant j'avais des cheveux longs, point de casque blanc et surtout d'habit noir. J'eus beau déclarer que je n'avais pas de subsides du gouvernement, que j'étais pauvre, artiste seulement, tout le monde se tenait sur le qui-vive. C'est que dans une ville comme Papeete il y a beaucoup de partis : gouverneur, maire, évêque protestant, missionnaires catholiques, et Mesdames..paul Gauguin .noa noa
Avant son départ pour Tahiti, Gauguin s'était forgé une image idéalisée du pays, dont il avait lu des fabuleuses évocations dans les récits des navigateurs explorateurs comme Cook et Bougainville. Il imaginait probablement en débarquant à Papeete vivre à son tour dans un monde idyllique encore préservé, une oasis à la Rousseau en plein Pacifique. Laréalité, plus prosaïque, fut d’entrée une déception.
Les expéditions successives, l'arrivée des missionnaires à partir de 1797, le protectorat français de 1842 et l'annexion de File par la France en 1880 ont eu raison, depuis la découverte de Tahiti par Samuel Wallis en 1767, des traditions et des croyances religieuses locales. LesTahitiens de 1891, que découvre Gauguin à son arrivée, se sont soumis de gré ou de force à l'autorité coloniale, perdant irrémédiablement leur identité. Les religions catholique et protestante ont remplacé l'ancien culte et interdit certaines coutumes jugées barbares. Quelques superstitions subsistent encore, dont les plus fortes tiennent à la crainte de l'esprit des morts (les tupapau). Mais ce qui constituait la culture et l’orgueuil des populations, leur généalogie qui faisait des Polynésiens les descendants des dieux, leurs coutumes, leurs cérémonies, leurs temples, ne sont plus qu'un vague souvenir.
Nous ne serions donc pas dans la légende va que révèle la lecture du texte ; pour celui-ci en effet l’acculturation de l’artiste et la révélation de l’âme maorie passent d’entrée par le mystère de la femme :
L'homme maori ne peut pas s'oublier quand on l'a vu, ni la femme cesser d'être aimée quand on l'aime. Paul Gauguin sut aimer là-bas, et voir, plus puissamment que tout être avec deux gros yeux ronds, ces vivants ambrés et nus qu'il ne faut point, pour les peindre, comparer à aucune autre espèce humaine
La femme possède avant toute autre la qualité de l'homme jeune : un bel élancé adolescent qu'elle maintient jusqu'au bord de la vieillesse. Et les divers dons animaux se sont incarnés en elle avec grâce. Ses membres ne sont pas faits des segments que balancent autour de nous les corps de nos âmes dites sœurs. De l'épaule au bout des doigts, la Maorie dessine, mouvante ou courbée, une ligne continue. Le volume du bras est très élégamment fuselé. La hanche est discrète et naturellement androgyne. Les hanches ne s'affichent point comme une raison sociale de reproduction, la raison d'être de la femme. La Maorie n'est point parente au « petit mammifère » de Laforgue, se dandinant, joyeux de se voir « délesté des kilos de ses couches ». Assez rarechezelle, la maternitéest mieux portée. Lacuisseestronde,maisnon point grasse; le genou, mince et droit, regarde bien en face, note Gauguin. Toute la jambe est un autre fuseau mouvant ; ou, immobiles, deux puissantes colonnes. Le pied, grand, élastiquesur unesandale vivante, sait poser avec grâce. Les cheveux opaques, odorants, à peine ondulés, rejoignent et recouvrent les reins qui pourtant seraient vus sans impudeur. Ils sont nets, dessinés pour progresser, rythmer le plaisir ou la danse. Épaules vastes et reins étroits, disait Gauguin, voilà ce qui distingue la femme maorie d'entre toutes les femmes. Victor Segalen hommage à paul Gauguin.
«Je cherche dans cette âme d'enfant les traces du passé lointain»
Le texte nous narre queGauguin avait vite fui la petite capitale provinciale Papeete, qui ne lui offrait que la dérisoire contrefaçon de la civilisation qu'il rejetait. Alors, un matin, dans la voiture prêtée par un officier, Gauguin était parti et, à quarante-cinq kilomètres de la ville, il s'était établi dans le district de Mataïea, avec d’un coté la mer et de l’autre la montagne. Pourtant, la solitude pèse à l’artiste ; il s'est fait des amis de ses voisins, mais : « A l’ombre des pandanus Tu sais qu'il est bon d'aimer ». Le voilà, un jour, qui part en quête à travers l'île ; le voilà dans la montagne, dans les vallées; puis, sur un cheval prêté par un gendarme, il trotte vers la côte orientale. A Fanoé, on l'invite à descendre et à manger. Tu cherches femme ? Veux-tu ma fille ? lui dit une Maorie ; un quart d'heure après elle revient avec une grande enfant, élancée, vigoureuse. C'était Tehura (Teha'amana) : « cette enfant, d'environ treize années (équivalant à 18 ou 20 ans d'Europe) me charmait et m'intimidait, m'effrayait presque. »
« Ma femme était peu bavarde, mélancolique et moqueuse.
Nous nous observions l'un l'autre sans cesse, mais elle me restait impénétrable, et je fus vite vaincu dans cette lutte. J'avais beau me promettre de me surveiller, de me dominer pour rester un témoin perspicace, mes nerfs n'étaient pas longs à l'emporter sur les plus sérieuses résolutions et je fus en peu de temps, pour Tehura, un livre ouvert.
Je faisais ainsi — en quelque sorte, à mes dépens et sur ma propre personne — l'expérience du profond écart qui distingue une âme océanienne d'une âme latine, française surtout. L'âme maorie ne se livre pas de suite ; il faut beaucoup de patience et d'étude pour arriver à la posséder. Elle vous échappe d'abord et vous déconcerte de mille manières, enveloppée de rire et de changement; et pendant que vous vous laissez prendre à ces apparences, comme à des manifestations de sa vérité intime, sans penser à jouer un personnage, elle vous examine avec une tranquille certitude, du fond de sa rieuse insouciance, de sa puérile légèreté.
Une semaine s'écoula, pendant laquelle je fus d'une « enfance » qui m'était à moi-même inconnue. J'aimais Tehura et je le lui disais, ce qui la faisait sourire : — elle le savait bien ! Elle semblait, en retour, m'aimer — et ne me le disait point. Mais quelquefois, la nuit, des éclairs sillonnaient l'or de la peau de Tehura...paul Gauguin .noa noa.(C’est moi qui souligne ici).
Ainsi parlait Tehura, — et de ses récits allait naître Noa-Noa.
« Mais voici la nomenclature tahitienne des étoiles. Je complète la leçon de Tehura à l'aide de documents trouvés dans un recueil de Moerenhout, l'ancien consul. Je dois à l'obligeance de M. Goupil, colon à Tahiti, la lecture de cette édition.
Il n'est peut-être pas trop audacieux d'y voir l'ébauche d'un système raisonné d'astronomie plutôt qu'un simple jeu d'imagination.
Rua (grande est son origine) dormait avec sa femme la Terre ténébreuse. Elle donna naissance à son roi, le Sol, puis au Crépuscule, puis aux Ténèbres. Mais alors Rua répudia cette femme.
Rua (grande est son origine) dormait avec la femme dite Grande-Réunion. Elle donna naissance aux reines des cieux, les Étoiles, à Fa'ati, étoile du soir.
Le roi des cieux dorés, le seul roi, dormait avec sa femme Ta'urua. D'elle est né l'astre Ta'urua, Vénus, étoile du matin, le roi Ta'urua qui donne des lois à la nuit et au jour, aux étoiles, à la lune, au soleil, et sert de guide aux marins. Il fit voile à gauche, vers le nord et là, dormant avec sa femme, il donna naissance à l'Étoile Rouge, cette étoile rouge qui brille, le soir, sous deux faces...
Étoile Rouge, ce dieu qui vole dans l'Ouest, prépara sa pirogue, pirogue du grand jour qui cingle vers les cieux. Il fit voile au lever du soleil.
Rehua s'avance dans l'étendue. Il dormit avec sa femme Ura Taneipa : d'eux sont nés les rois Gémeaux, en face des Pléiades. Les Gémeaux sont assurément les mêmes que nos Castor et Pollux
— Qui a créé le Ciel et la Terre ? Le Moerenhout et Teura me répondent
— Ta'aroa était son nom. Il se tenait dans le vide — avant la terre, avant le ciel, avant les hommes — Ta'aroa appelle, rien ne lui répond, et seul existant, il se change en l'Univers.
Les pivots sont Ta'aroa : c'est ainsi que lui-même s'est nommé. Les rochers sont Ta'aroa, les sables sont Ta'aroa.
Ta'aroa est la clarté, le germe et la base : l'Univers n'est que la coquille de Ta'aroa. C'est lui qui met tout en mouvement et règle l'harmonie universelle.
« Vous ! pivots, vous ! rochers, vous ! sables nous sommes. Venez, vous qui devez former la terre. »
Et il presse entre ses mains les roches et les sables et les presse longtemps : mais ces matières ne veulent pas s'unir. Alors, de sa main droite, il lance les sept cieux pour en faire le fondement du monde et la lumière est créée. Tout se voit, l'Univers brille jusque dans ses profondeurs et le dieu reste extasié devant
l'immensité. L'univers brille jusque dans ses profondeurs et le dieu reste extasié devant l'immensité.
L'immobilité du néant a cessé ; la vie existe et tout se meut. »
Teha'amana, incarneraitainsià la fois l'Eve exempte de culpabilité de l'Ëden tahitien et l'initiatrice privilégiée de son amant-peintre aux mystères de la culture polynésienne.
dans son manuscrit. On tout d’abord demandési la Teha'amana, de Noa Noa n’était pas qu'une fiction littéraire concentrantsur elle tous les traits du caractère maori destinée à servir le dessein poétique de son auteur? Ne serait elle pas finalement que l'une des maîtresses de Gauguin, parmi bien d'autres, tout au plus son modèle préféré. Jean Loize en a publié une photographie en regard du seul portrait d'elle auquel Gauguin a donné son nom (Les Ancêtres de Teha'amana).
D’autre part et selon selon René Huyghe, les mythes d’origine ne peuvent venir de la jeune fille :ils avaient disparu des mémoires et de toute facon, elle n’aurait pu apprendre ce qui ne se communique que dans le secret de l’initiation. Comme déjà dit, la véritable source que Gauguin cite d’ailleurs en passant dans le texte précédent n’est autreque Moerenhout.
« Iln'y a plus de Tehura : il y a seulement J. A. Moerenhout dont les Voyages aux Iles du Grand Océan furent écrits à Paris entre deux séjours en Océanie et achevés le 22 juin 1835.
Et c'est de son témoignage que Gauguin s'est servi. Au moment où le dernier harepo (prêtre), le dernier promeneur de la nuit, ainsi qu'on les appelait poétiquement, désespérait de confier à une mémoire humaine le trésor de la connaissance, il s'était trouvé un Européen dont la largeur d'idées, et le respect avaient gagné sa confiance. Sous sa dictée, cet Européen (semblable à Marcel Griaule recueillant de nos jours la mythologie des Dogon du Soudan qu'il a publiée dans le Dieu d'Eau) avait transcrit les croyances antiques. C'était vers 1830. Il en avait ensuite tiré la matière d'un livre.
Ce livre, Gauguin l'a connu, l'a lu, l'a recopié à son tour. L'Ancien Culte Mahorie n'est pas autre chose que le cahier où il a enregistré, soit mot à mot, soit en la résumant, la précieuse moisson dont il allait nourrir Noa'Noa. La légende de Tehura, créée par Gauguin, s'efface.
Devrons-nous faire grief à Gauguin d'avoir camouflé ses sources? Ce serait injuste : la fiction littéraire a ses droits ; l'œuvre d'art, livre ou tableau, permet à l'auteur de réaliser ce dont il rêve, de compenser la vie. Gauguin,
Comme toujours là où la vérité gagne, la poésie perd. Tehura l'énigmatique, par qui parlait encore la voix des ancêtres, a dissipé son mystère ; elle n'est plus que l'Eve primitive de Gauguin, une Eve de treize ans qui n'avait jamais mordu aux fruits de l'Arbre de la Connaissance.
Mais Gauguin, lui, en est-il moins émouvant? Que non pas. Je sens encore davantage le tragique de sa destinée. Il a fui l'Europe, il a fui une civilisation qui avait le goût de mort ; il a tenté de rejoindre l'humain là où peut-être il était encore intact.
Alors Gauguin a voulu sauver le mirage, pour lui-même d'abord, et aussi peut-être pour ceux qui de loin suivaient sa légende, et, du pinceau et de la plume, il a superposé ses songes à la réalité décevante ; il a voilé son atroce misère, son échec, sa déchéance, qui l'amènent à un moment à se faire, pour un salaire de misère, gratte-papier d'une administration et à ne plus peindre que le Dimanche, — qui l'amenèrent au seuil du suicide, manqué lui aussi.
La Tahiti de son rêve, qui s'éloignait, non seulement dans l'espace mais dans le passé, hors de toute portée, il l'a ressuscitée de ses seules forces, il l'a recréée par la puissance de son imagination.
Et c'est entre les pages déjà fanées d'un livre qu'il a poursuivi, la plume à la main, le fantôme de Tahiti, Noa-Noa, la parfumée, qu'il avait tant désirée et qui, déjà, depuis un demi-siècle n'existait plus.
rene huygue présentation de l’ancien culte mahorie. (c’est moi qui souligne ici)