Il n’aura fallu finalement que très peu de temps pour nous permettre de comprendre qui tire réellement les ficelles. Dans le précédent billet, je m’interrogeais sur qui pouvait bien être l’auteur du rapport gouvernemental sur la neutralité du Net. Je viens d’avoir confirmation que les auditions se sont déroulées à Bercy au Ministère des finances et de l’industrie et j’y vois là un très mauvais présage. Si les conseillers de NKM ont bien participé aux auditions, ce n’étaient pas eux qui tenaient les rennes. Pour m’être entretenu avec deux d’entre eux, il me paraissait évident qu’ils ne pouvaient pas être les auteurs de ce rapport, ils sont techniquement trop compétents pour accoucher de ce genre de choses. Les auditions conduites à Bercy ont débouché au rapport que nous connaissons, tout indique aujourd’hui qu’il est l’oeuvre du Ministère des finances et de l’industrie
Un incompétence compréhensible mais pas pardonnable
Quand on souhaite faire passer des idées en force, le meilleur moyen dy parvenir, c’est de choisir de bons soldats corvéables à merci et surtout totalement incompétents pour avoir une réflexion sur le sujet qu’on leur demande de traiter. On l’a vu avec HADOPI, quel meilleur réprésentant que Christine Albanel pour venir nous parler de firewall et défendre des idées auxquelles elle ne comprenait manifestement pas grand chose puisque ce n’était pas les siennes mais celles dictées par le lobby des moines copistes de DVD. Il faut croire que le secrétariat d’Etat à l’Economie Numérique était, lui, trop compétent pour conduire une réflexion sur la neutralité du Net. Cruelle ironie, le destin de notre Internet encore neutre à ce moment a donc été placé dans les mains du Ministère des finances et de l’Industrie. On comprend donc mieux les égarements et les inexactitudes dont le rapport est truffé.
Des auditions orientées
De toute évidence, Bercy aurait conduit les auditions de manière très orientée, en faveur deux fournisseurs d’accès : Orange et SFR. Les deux FAI se rejoignent effectivement sur beaucoup de points, je ne vais pas tous vous les énoncer ici mais en vrac nous avons :
- une convergence de rancoeur contre Free à qui SFR a déjà publiquement d’avoir imposé un prix d’abonnement trop bas ;
- la conviction qu’il est nécessaire d’avoir des offres différenciées ;
- un accord sur le déploiement de la fibre optique (GPON et monofibre) … à priori, rien à voir avec le sujet qui nous intéresse ici, mais quand on y regarde de plus près…
Parmi les points abordés dans les auditions, la segmentation de l’offre portées par SFR et Orange est un principe qui est lui aussi adopté et préconisé dans le rapport. D’un point de vue personnel je ne suis pas spécialement d’accord car je flaire que ceci sera un prétexte supplémentaire à une nouvelle foire d’empoigne sur le déploiement de la fibre optique. A ce sujet, Orange prétendait avoir stoppé ses déploiements, la réalité est toute autre, l’opérateur historique pose des kilomètres de fibres et entend bien proposer son réseau en location aux autres opérateurs.
Le prix des abonnements et la spécificité française qui consiste à ne proposer qu’une seule offre et un prix aligné sur celui de Free qui historiquement n’a toujours eu qu’une seule offre haut débit (nous ne parlerons volontairement pas des zones non dégroupées où l’opérateur historique jouit d’une position dominante), est aussi l’un des facteurs qui ont pesé sur les négociations. Là encore l’arbitrage de Bercy est perceptible, le rapport indique à plusieurs reprises que les financements nécessitent une hausse des tarifs et donne ainsi sa bénédiction à SFR pour qui il devient crucial d’augmenter ses marges et une offre premium serait pour l’opérateur la solution.
Enfin quand une consultation portant sur la neutralité du Net débouche sur des préconisations ouvrant la porte à la deep packet inspection et qu’il préconise le filtrage et le blocage, on se doute bien qu’il n’est pas l’oeuvre d’un travail de réflexion issu d’une réflexion réelle sur la question et qu’il n’est en fait que le produit d’une stratégie décidée dans d’autres sphères.
Les représentants du secrétariat d’État l’économie numérique semblent ne pas avoir pesé bien lourd pendant les auditions et il y a peu de chances qu’ils aient réellement participé à l’élaboration de se rapport.
Mouvement de troupes à l’ARCEP
Depuis le départ de Paul Champsaur de la présidence de l’ARCEP, il y a eu un sacré turnover. C’est assez triste car l’ARCEP a des compétences bien réelles et une vision plutôt juste du secteur. Jean-Claude Mallet, président pendant seulement 6 mois, selon la version officiel, serait parti pour des raisons de santé. Des rumeurs font état d’une autre version, ce dernier aurait compris qu’on ne le laisserait pas évolué comme il l’aurait souhaité, il aurait donc préféré partir. L’actuel président, Jean-Ludovic Silicani aurait lui des position bien moins pro net neutrality que beaucoup de membres du collège comme Nicolas Curien ou Joelle Toledano.Depuis l’arrivée du nouveau président, des tensions internes auraient conduit certains des membres du collège à quitter l’autorité de régulation des télécoms. C’est par exemple le cas de Igor Primault, l’un des principaux rédacteurs du rapport sur la neutralité du net, faisant suite au colloque organisé par l’ARCEP. On trouve donc aujourd’hui dans l’autorité de régulation des membres issus du gouvernement.
Le rapport du gouvernement intervenant 3 mois à peine après le rapport de l’ARCEP sur le même thème et affichant des positions bien plus tranchées, on se demande si le jeux de chaises musicales n’est pas une conséquence des frictions que susciterait un projet de controle de l’Internet.
L’économie numérique devrait être confiée à Bercy
La suite, vous la connaissez, je vous en ai parlé plusieurs fois sur ce blog. Ça avait commencé fin mai, je m’interrogeais sur le futur du secrétariat d’Etat à l’Economie Numérique, je réaffirmais mes interrogations en juillet dernier à ce sujet. Peu de doutes aujourd’hui sur ce qui va suivre au prochain remaniement ministériel. Internet devrait être confié au Ministère des finances et de l’industrie. On comprend donc mieux les positions pro fournisseurs d’accès et le rejet systématique des positions des autres parties.
Parallèlement, plusieurs sources m’ont confirmé que le secrétariat d’Etat à l’Economie Numérique s’est désertifié, normal me direz vous, tout le monde est parti en vacances… et bien non, on sent cette brise légère annonciatrice d’un remaniement ministériel. Le sort du Secrétariat d’Etat à l’Economie numérique semble gravé dans le marbre et il se pourrait bien que notre prochain ministre soit Christian Estrosi.
En confiant Internet à un fidèle, l’Elysée amorce une stratégie de pré-campagne pour « contrôler Internet » avant l’échance de 2012.